Beaucoup pensent que le masculinisme serait le « pendant » du féminisme : si l’un défend les femmes, l’autre défendrait les hommes. Cette idée séduit par sa simplicité, mais elle repose sur une erreur fondamentale. Le féminisme est un mouvement d’émancipation né de l’oppression des femmes, tandis que le masculinisme s’inscrit dans une réaction défensive cherchant à préserver une domination. Derrière l’illusion d’équivalence se cache une profonde asymétrie de pouvoir, de légitimité et d’objectifs.

Loin d’être son opposé, le féminisme est un mouvement qui bénéficie à toute la société, y compris aux hommes. Il s’appuie sur des faits, des données et une analyse rigoureuse des rapports sociaux. Le masculinisme, lui, se nourrit de ressentiments, d’inversions victimaires et d’expériences individuelles mises en avant comme des généralités, sans jamais reconnaître les privilèges masculins ni les inégalités persistantes à l’échelle globale. Il est plus que temps de déconstruire l’idée d’une équivalence entre ces deux mouvements qui n’ont ni les mêmes origines, ni les mêmes fondements, ni les mêmes objectifs.

Origines et finalités opposées

Le féminisme est né pour corriger des injustices systémiques ; le masculinisme, pour défendre des privilèges. Ils ne peuvent donc en aucun cas être considérés comme « symétriques ».

Le féminisme est un mouvement historique, né de l’oppression des femmes dans une société patriarcale. Il s’attaque à des inégalités structurelles réelles et documentées : discriminations socio-économiques, violences sexistes, exclusions juridiques. Il n’est ni le fruit d’un effet de mode, ni une idéologie abstraite, mais l’héritier d’une longue histoire de luttes menées par les femmes contre des injustices tangibles.

Dès le XIXᵉ siècle, en Europe en Amérique du Nord, les premières féministes revendiquaient des droits fondamentaux (disposer de leur corps, voter, accéder à l’éducation, disposer de ses biens sans l’autorisation de son mari…). Rappelons qu’il y a encore quelques décennies, les femmes avaient un statut juridique proche de celui d’un enfant : dépendantes de leur père puis de leur mari, sans véritable échappatoire en cas de violences domestiques.

Au fil du temps, les combats féministes se sont élargis : lutte contre les violences sexistes et sexuelles, conjugales, inégalités socio-économiques, sous-représentation politique, accès aux soins, etc. Bref, le féminisme répond à une oppression structurelle mesurable par des statistiques et des faits sociaux.

Le masculinisme, lui, n’a pas cette base historique, il ne repose sur aucune oppression systémique des hommes par les femmes. Il apparaît au XXᵉ siècle, dans le sillage du backlash, ce retour de bâton qui survient après chaque avancée des droits des femmes et des minorités. Il s’alimente non pas d’une domination subie, mais d’un sentiment subjectif de perte : perte d’autorité dans la famille, perte d’exclusivité dans l’espace public, perte d’avantages symboliques. C’est une idéologie défensive, réactionnaire, qui cherche à freiner ou inverser le progrès de l’égalité.

Alors que le féminisme est un projet d’émancipation et de nivellement par le haut, le masculinisme lui, n’est qu’une tentative de préserver la domination.

Un système construit par les hommes, pour les hommes

Un autre point central : la question du pouvoir. Les rapports entre les sexes ne sont pas neutres ; ils s’inscrivent dans des structures sociales qui continuent de favoriser massivement les hommes. Aujourd’hui encore, les hommes dominent les sphères politique et économique : ils représentent la majorité des chefs d’État, des élus, des PDG et des détenteurs de grandes fortunes. Les médias, la culture et même la recherche scientifique sont encore largement façonnés par un regard masculin.

Un exemple concret : dans la recherche en santé mentale, les études ont longtemps été menées par des hommes et centrées sur des sujets masculins. Résultat : l’expression de nombreux troubles chez les femmes reste méconnue. On commence à peine à mieux identifier, par exemple, les spécificités de l’autisme féminin, alors que les manifestations chez les hommes sont documentées depuis longtemps. Ce biais a conduit à un sous-diagnostic massif des femmes et à une invisibilisation de leurs expériences.

Aussi, les femmes restent confrontées à une série d’inégalités persistantes : salaires inférieurs, moindre accès aux postes à responsabilité, violences sexistes et sexuelles massives, surcharge de travail domestique et parental, discriminations multiples dès l’école et dans le monde professionnel. Ces réalités montrent que l’égalité est encore loin d’être atteinte.

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Dans ce contexte, il est absurde de parler de symétrie. On ne peut pas mettre sur le même plan un groupe historiquement dominant, qui continue de bénéficier d’avantages systémiques, et un groupe historiquement dominé, qui se bat pour obtenir les mêmes droits et la même dignité. Par définition, celui qui détient le pouvoir ne peut pas se présenter comme « opprimé » par celui ou celle qui réclame simplement l’égalité.

En d’autres termes, tant qu’il existe une relation de domination, il n’y a pas deux camps équivalents : il y a un dominant et un dominé. Et cela suffit déjà en soi à montrer que le féminisme et le masculinisme ne sont pas comparables.

 

Le féminisme profite aussi aux hommes, le masculinisme non

Un argument encore méconnu et peu diffusé est que le féminisme ne se limite pas à la défense des droits des femmes : il libère aussi les hommes des carcans imposés par la virilité traditionnelle [À ce sujet, vous pouvez (re)lire notre article « Ce que le féminisme change aussi pour les hommes »]. En dénonçant les stéréotypes de genre, le féminisme ouvre la possibilité pour chacun·e de vivre autrement.

Les hommes peuvent ainsi se dégager de l’injonction à être toujours forts, compétitifs, stoïques, pourvoyeurs de revenus. Ils peuvent aussi s’impliquer davantage dans la parentalité ou exprimer leurs émotions sans être jugés comme « faibles ». En élargissant les libertés, le féminisme ouvre un espace où hommes et femmes peuvent s’émanciper.

Le masculinisme, à l’inverse, défend une vision rigide et rétrograde des rôles de genre. Il enferme les hommes dans la virilité traditionnelle et rejette les transformations qui pourraient les libérer. Il exalte l’autorité masculine, le rôle de « chef de famille », la domination sociale des hommes et la dépendance des femmes.

En maintenant ces normes, il contribue à enfermer les hommes dans une identité virile étroite qui les empêche d’explorer d’autres formes de masculinité, plus libres, plus épanouissantes et in fine, bien plus séduisantes que des vieux stéréotypes complètement dépassés. Donc en réalité, le féminisme élargit le champ des possibles pour tout le monde, tandis que le masculinisme cherche à les restreindre.

Le féminisme s’appuie sur des faits, le masculinisme sur des ressentis biaisés et individuels

Une autre différence cruciale tient aux fondements mêmes des deux mouvements. Le féminisme s’appuie sur une base empirique solide : statistiques, recherches sociologiques, témoignages de masse, enquêtes judiciaires et médicales. L’écart salarial entre hommes et femmes est mesurable ; les violences sexistes et sexuelles font l’objet de chiffres accablants ; la sous-représentation des femmes dans les lieux de pouvoir est visible. Autrement dit, le féminisme se fonde sur des réalités sociales documentées et reconnues.

Le masculinisme, lui, se construit principalement sur des ressentis, des anecdotes ou des généralisations abusives. Les discours masculinistes invoquent par exemple la prétendue « toute-puissance » des mères dans les affaires de garde d’enfants, alors que les chiffres montrent surtout que les hommes demandent moins souvent la garde exclusive.

Par ailleurs, lorsqu’ils demandent une garde alternée, ils l’obtiennent dans l’immense majorité des cas. Pourtant, la résidence alternée ne concerne que 11,5 % des enfants dont les parents sont séparés. Les masculinistes prétendent que les femmes bénéficient de privilèges, mais peinent à démontrer l’existence d’un système global d’oppression dirigé contre les hommes.

Ces arguments relèvent donc davantage de la perception, de cas particuliers érigés en généralité, que de l’analyse objective et systémique. Là encore, l’opposition est claire : le féminisme repose sur des faits, le masculinisme sur une inversion victimaire. L’un est fondé sur une réalité sociale mesurable, l’autre sur des mythes.

Le masculinisme tue, le féminisme non

L’une des différences les plus effrayantes entre féminisme et masculinisme réside dans leurs conséquences concrètes. Le féminisme n’a jamais engendré de massacres, d’attentats ou de mouvements de haine visant à détruire une catégorie de population. Ses combats sont politiques, sociaux, culturels : ils visent à élargir les droits, non à punir ou éliminer qui que ce soit. Le masculinisme, lui, porte en lui une violence latente qui s’est traduite, à de multiples reprises, par des passages à l’acte meurtriers, mais aussi des appels au harcèlement, aux violences physiques et sexuelles.

Depuis une dizaine d’années, on a vu émerger une galaxie de groupes et de forums en ligne liés au mouvement incel (involuntary celibate, « célibataire involontaire »), où des hommes persuadés que les femmes leur « doivent » l’amour et le sexe nourrissent une haine virulente à leur égard, plutôt que de remettre en question leurs propres comportements. Ce terreau idéologique a donné naissance des attentats terroristes.

Par exemple, en 2014, une tuerie de masse a eu lieu à Isla Vista, en Californie. Motivé par sa haine des femmes, Elliot Rodger a tué six personnes et blessé 14 autres, avant de se suicider, laissant derrière lui un manifeste haineux contre les femmes qu’il jugeait responsables de ses frustrations. En 2018, à Toronto, Alex Minassian a tué dix personnes et blessé 16 autres dans l’attaque au camion-bélier, se revendiquant lui-même de la mouvance incel. En 2021, à Plymouth (Royaume-Uni), Jake Davison a assassiné cinq personnes, dont sa mère, se décrivant lui aussi comme un incel.

Et ce ne sont que des exemples parmi d’autres. En France, plusieurs affaires récentes témoignent aussi de cette imprégnation idéologique : menaces d’attentats « anti-féministes » sur les réseaux, appels à « punir les féministes », multiplication des discours haineux dans certains espaces masculinisés. Trois attaques incel ont été déjouées rien que cette année sur le territoire français.

Ce ne sont pas des cas isolés : il existe aujourd’hui une radicalisation masculiniste comparable, dans sa structure, à d’autres formes d’extrémisme idéologique. La logique est la même : désigner un ennemi (ici, les femmes et les féministes), construire un récit victimaire, puis justifier la violence au nom d’une « reconquête » de la virilité perdue.

Certains invoquent parfois Valerie Solanas comme contre-exemple, pour tenter de prouver que le féminisme « peut être violent lui aussi ». Pourtant, l’acte de Solanas, autrice du SCUM Manifesto et connue pour avoir tiré sur Andy Warhol en 1968, est le produit de multiples violences patriarcales qu’elle a subi. Son acte n’a donné naissance à aucun courant violent, à aucun attentat, ni à aucune doctrine meurtrière. Le masculinisme, lui, génère des communautés entières dédiées à la haine, qui produisent des passages à l’acte meurtriers en série.

Comparer cette situation isolée à une mouvance internationale de radicalisation misogyne relève d’un argument fallacieux : le féminisme, en tant que pensée politique, n’a jamais promu la violence, là où le masculinisme s’en nourrit.

Ainsi, affirmer que « le masculinisme tue » n’est pas une figure de style. C’est une réalité mesurable, documentée, tragiquement concrète. Le féminisme, lui, ne tue personne : il cherche au contraire à ce que plus personne ne meure de domination, de haine ou de frustration masculine.

L’étiquette trompeuse

Il faut aussi insister sur un piège rhétorique. Le mot « masculinisme » donne l’illusion d’une symétrie linguistique avec « féminisme », comme si les deux étaient les deux faces d’une même médaille. Mais cette impression est fallacieuse. Le féminisme est un mouvement d’émancipation ; le masculinisme est avant tout une idéologie antiféministe, qui cherche à délégitimer ou à contrecarrer les avancées pour l’égalité.

D’ailleurs, lorsque l’on examine les thématiques réellement défendues par les groupes masculinistes, elles tournent presque toujours autour de la critique du féminisme et rarement autour de propositions constructives pour améliorer la vie des hommes. Les rares enjeux réels qui concernent les hommes – comme les taux élevés de suicide, la stigmatisation des victimes masculines de violences, la santé mentale ou l’aliénation par la virilité traditionnelle – sont déjà pris en charge par la pensée féministe, qui analyse justement ces souffrances comme des effets pervers du patriarcat.

Il ne s’agit en aucun cas de nier souffrance masculine, bien réelle pour beaucoup d’hommes confrontés à des injonctions de virilité, à la solitude affective (d’où le mouvement incel notamment) ou à des difficultés familiales. Mais ces souffrances, au lieu d’être analysées comme les effets d’un système patriarcal qui pèse aussi sur eux, sont trop souvent instrumentalisées par des mouvements masculinistes qui en font un fond de commerce idéologique, détournant une détresse légitime vers la haine du féminisme.

Autrement dit, revendiquer le terme de « masculinisme » n’ajoute rien de neuf au combat pour l’égalité : cela ne sert qu’à affaiblir le féminisme et à maintenir des rapports de domination. Il n’y a pas de symétrie possible car il n’existe pas de système oppressif global dirigé contre les hommes, par les femmes. Et s’il existe bel et bien des femmes violentes, ces violences demeurent très marginales en comparaison des violences masculines, et n’ont pas de valeur systémique. Ce que l’on qualifie de « misandrie » aujourd’hui, par opposition à la misogynie, ne se réfère très souvent qu’à des femmes qui évitent les hommes pour se protéger, après avoir subi des violences par le passé.

Et quand certains prétendent que « les deux extrêmes se valent », il suffit de regarder les corps tombés : les attentats incels, les féminicides, les violences conjugales ou les viols massifs ne sont pas le fruit d’un « excès de féminisme », mais bien d’un système patriarcal où le masculinisme prospère. Une minorité d’homicides conjugaux sont commis par des femmes mais la moitié de ceux-ci ont lieu dans contexte d’années de violences subies au préalable, infligées par leur conjoint. Il s’agit donc souvent de cas légitime défense. Pour les féminicides en revanche, l’un des schémas typiques et celui de la domination et de la possession : l’homme qui ne supporte pas que sa femme le quitte, au point de la tuer.

Féminisme et lutte des classes : un combat commun contre la domination

Il est toutefois primordial de rappeler que les rapports de domination ne s’arrêtent pas à la question du genre. La bourgeoisie et son capitalisme prédateur exercent une oppression systémique qui touche l’ensemble de la société, hommes comme femmes, en exploitant le travail, en précarisant les vies et en transformant chaque relation humaine en rapport marchand. Les hommes issus des classes populaires en font eux aussi les frais : chômage, salaires bas, conditions de travail pénibles, instabilité sociale.

Mais attention toutefois au piège de l’appropriation par les masculinistes de la souffrance des hommes des classes populaires. Oui, ces hommes subissent des conditions de vie difficiles mais ces réalités sont le produit d’un système capitaliste et inégalitaire (en lien étroit avec le patriarcat, car les deux se nourrissent entre eux), non d’une prétendue domination des femmes. Le masculinisme détourne ces souffrances réelles pour les utiliser comme arme antiféministe, en cherchant à faire croire que les hommes seraient « les nouvelles victimes » d’une société devenue « trop féminisée ».

Mais cette réalité n’a rien à voir avec le masculinisme, car ces difficultés ne découlent pas d’une oppression des femmes envers les hommes, mais bien d’un système économique inégalitaire. Et au sein de la bourgeoisie même, l’immense majorité des richesses est détenue par des hommes.

Les femmes, quant à elles, subissent une double peine : celles qui sont membres des classes populaires partagent ces mêmes difficultés, et, en tant que femmes, elles endurent en plus les violences sexistes, les discriminations, la surcharge domestique et l’invisibilisation de leur travail. Autrement dit, l’oppression de classe et l’oppression de genre s’entrecroisent et se renforcent mutuellement.

C’est pourquoi féminisme et lutte des classes ne s’opposent pas mais se complètent pour lutter contre l’oppression. Pour aller plus loin, vous pouvez (re)lire notre article « Le féminisme est indissociable de la lutte des classes ». Pensées ensemble, ces deux luttes permettent de comprendre que l’émancipation des femmes est inséparable d’une émancipation collective de tous et toutes face aux logiques de profit et de domination.

Là où le masculinisme enferme les hommes dans une posture victimaire stérile et agressive, le féminisme offre une lecture structurelle : ce n’est pas l’égalité qui opprime, mais la combinaison du patriarcat et du capitalisme. C’est pourquoi seule une pensée émancipatrice, inclusive et solidaire peut réellement répondre aux injustices vécues par toutes et tous.

Le féminisme n’est en aucun cas l’envers du masculinisme. Il est une lutte d’émancipation universelle, là où le masculinisme n’est qu’une réaction défensive. L’un ouvre des horizons, l’autre les referme.

Elena Meilune


Photo de couverture : Elliot Rodger. En 2014, une tuerie de masse a eu lieu à Isla Vista, en Californie. Motivé par sa haine des femmes, Elliot Rodger a tué six personnes et blessé 14 autres, avant de se suicider. Flickr

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