Il faisait 10°C lorsque des tonnes de glace et de roche se sont détachées du sommet de la Marmoldada, atteignant pourtant une altitude de plus de 3000 mètres. De tout temps prisée par les randonneurs venus arpenter les Alpes italiennes, la surnommée « reine des Dolomites » a finalement cédé face aux températures inhabituellement hautes pour la saison et aux épisodes de sécheresse récurants. Elle a emporté 11 vies humaines et a laissé de nombreuses autres personnes blessées. Si cet épisode peut sembler exceptionnellement violent, il s’inscrit pourtant dans la lignée des prévisions du Groupe d’Experts International sur l’évolution du Climat (GIEC) qui livrait cet hiver une étude des impacts observés et projetés du changement climatique dans les régions de montagne. Une funeste illustration des bouleversements en cours et à venir si l’humanité n’enraye pas rapidement la voie d’une transition radicale.
Les images sont saisissantes et le bruit qui les accompagne est assourdissant : la rupture partielle du glacier de la Marmolada, ce dimanche 3 juillet, a rapidement fait le tour des réseaux sociaux et des médias italiens. On y voit des tonnes de glace et de roche dévalant la vallée à plus de 300 km/h, emportant tout sur leur passage, y compris certains randonneurs venus arpenter les sommets italiens.
Des signes annonciateurs
Alors que le bilan ne cesse de s’alourdir, les secouristes décomptaient 11 victimes le samedi 9 juillet. Pour Aurelio Soraruf, propriétaire du refuge « La Marmolada », la surprise était totale. « Cela fait cent cinquante ans qu’on monte sur la Marmolada, mais de mémoire d’alpiniste, jamais un événement de cette gravité n’était arrivé, un morceau du glacier qui dégringole vers la vallée, jamais ! », confie-t-il à La Libre Belgique.
Pourtant, d’autres avaient déjà décelé certains signes annonciateurs. C’est notamment le cas de l’alpiniste Reinhold Messner, né à quelques kilomètres de la Marmolada et mondialement connu pour être la première personne à avoir gravi les quatorze sommets de plus de 8 000 mètres de la planète. Sur les ondes de la chaine nationale italienne, il commente l’évènement : « avec le réchauffement, et particulièrement les fortes températures de ces dernières semaines, la glace devient très fine par endroits, ce n’est plus le glacier d’il y a cinquante ans ».
Le trou béant laissé par l’effondrement se situe au niveau de l’une des cimes du massif appelée la Punta Rocca, située à 3 309 mètres d’altitude, qui se trouve être le point culminant d’un itinéraire régulièrement emprunté par les randonneurs. Sur sa face nord, où se trouve le glacier, les températures atteignaient une dizaine de degrés quelques heures avant le drame.
Le réchauffement climatique officiellement mis en cause
Ce climat exceptionnel a incontestablement contribué à accélérer la fonte des neiges déjà observé depuis plusieurs années. « Ce glacier a perdu 30 % de son volume de glace en dix ans. Si rien ne change, nous pensons que d’ici 2042, il aura disparu », affirme ainsi Jacopo Gabrieli, glaciologue à l’Institut des sciences polaires de Venise. « Le glacier, comme on le voit aujourd’hui, a une taille comme si on était déjà en septembre après un été sec. Avec ces températures, une poche d’eau s’est formée sous le glacier et quand le sérac s’est détaché, il n’a pas trouvé d’appui, il a glissé à grande vitesse. On voit clairement l’effet des températures excessives qui durent depuis des mois ! ».
Pour le Premier Ministre italien, Mario Draghi, la catastrophe survenue en pleine vague de chaleur précoce sur la péninsule italienne, est « sans aucun doute » liée à « la dégradation de l’environnement et de la situation climatique ». Et pour cause, avec une diminution sévère des chutes de neige et de pluie et températures très élevées, le nord de l’Italie affronte sa pire sécheresse depuis 70 ans.
Des conséquences déjà largement observées par le GIEC
Fin février, le GIEC présentait une analyse des impacts observés et projetés du changement climatique dans les régions de montagne, leurs principaux risques associés et les mesures d’adaptation possibles et nécessaires. Les scientifiques identifiaient déjà les zones montagneuses comme des régions « très importantes dans le contexte du changement climatique et du développement durable, à la croisée d’un réchauffement accéléré et d’une importante population qui en dépend directement ou indirectement ». Depuis plusieurs années, ils notent ainsi une variété de conséquences directes du dérèglement climatique dans ces zones de haute altitude : augmentation des températures, évolution des conditions météorologiques saisonnières, réduction de l’étendue et de la durée de la couverture de neige à basse altitude, perte de masse glaciaire, augmentation du dégel du pergélisol et encore augmentation du nombre et de la taille des lacs glaciaires.
Alors que ces régions abritent une grande diversité biologique, les chercheurs constatent aussi une migration des espèces végétales vers des altitudes plus élevées au cours des dernières décennies, « conformément à la hausse des températures dans la plupart des régions montagneuses », bouleversant irrémédiablement les écosystèmes locaux.
Le rapport fait également état des impacts négatifs de changement climatique sur le cycle de l’eau dans les montagnes, source d’eau douce pourtant essentielle pour de nombreuses populations à travers le monde. « Le nombre de personnes largement ou entièrement dépendantes de l’eau des montagnes a augmenté dans le monde entier, passant d’environ 0,6 milliard dans les années 1960 à environ 2 milliards au cours de la dernière décennie et, dans le monde, les deux tiers de l’agriculture irriguée dépendent des apports essentiels du ruissellement des montagnes », détaillent ainsi les scientifiques. En Italie, les agriculteurs déplorent déjà la gravité de la situation.
Une illustration du monde à venir ?
De manière générale, le GIEC estime que l’augmentation des températures continuera d’induire des changements dans les régions de montagne tout au long du XXIe siècle, avec des conséquences négatives attendues pour la cryosphère des montagnes, la biodiversité, les services écosystémiques et le bien-être humain. Certains mécanismes d’adaptation, comme la mise en place d’une coopération régionale et une gouvernance transfrontalière dans les régions de montagne, doivent urgemment se concrétiser selon les chercheurs, qui déplorent aujourd’hui « un rythme, une profondeur et une portée actuels de l’adaptation insuffisants pour faire face aux risques futurs dans les régions montagneuses», en particulier à des niveaux de réchauffement plus élevés (+1,5°C).
Si le drame de la Marmolada apparait ainsi comme un évènement d’une intensité inouïe, il ne dessine en réalité que les prémices des bouleversements majeurs que les zones montagneuses s’apprêtent à connaître si les moyens de lutte contre le changement climatique ne sont pas rapidement mis en oeuvre.
L.A.