Du 19 au 21 juin, les 150 membres de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) ont rendu leurs conclusions, après neuf mois de travail. Parmi les propositions votées, l’une d’entre elle est emblématique : la reconnaissance du crime d’écocide dans le cadre des neuf limites planétaires, accompagnée de la création d’une Haute Autorité aux Limites Planétaires. Si cette proposition passe la prochaine étape du référendum, elle pourrait constituer le socle juridique nécessaire pour infléchir nos pratiques et modes de pensée à travers le prisme des enjeux socioécologiques. Décryptage.
La Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), constituée en octobre 2019, est une initiative du Président de la République, Emmanuel Macron, en réponse au grand débat national. Elle a été proposée par les collectifs Démocratie Ouverte et Gilets Citoyens, suite au mouvement des « gilets jaunes » et au retentissement de l’Affaire du Siècle. La semaine dernière, après neuf mois de travail, la CCC a voté 150 propositions en vue de réduire d’au moins 40% les gaz à effet de serre d’ici 2030, dans un esprit de justice à la fois climatique et sociale.
Parmi celles-ci, deux types de propositions sortent du lot : celles pour une Constitution écologique ; mais également celle ayant pour but de légiférer sur le crime d’écocide. Cette dernière, votée à 99.3% par le groupe « Se nourrir » de la CCC, est emblématique. Elle consiste à adopter une loi qui pénalise le crime d’écocide dans le cadre des neuf limites planétaires, et dont la mise en œuvre serait garantie par la Haute Autorité aux Limites Planétaires. Ces propositions pourraient constituer le socle juridique nécessaire pour infléchir concrètement nos pratiques et modes de pensée à travers le prisme des enjeux socioécologiques. Elles permettraient de reconnaître que l’avenir de nos sociétés est conditionné par le respect des grands équilibres écologiques de notre maison commune, dans la mesure où les droits humains découlent des droits de la nature.
Or, ces propositions citoyennes doivent passer la prochaine étape du référendum, sans quoi elles resteront lettres mortes. C’est pourquoi Emmanuel Macron a annoncé publiquement hier, le lundi 29 juin 2020, la création d’un groupe de suivi « pour que la définition du crime d’écocide soit rédigée dans le respect de nos principes fondamentaux ». En parallèle, il s’est engagé à porter au nom de la France la demande de reconnaissance du crime d’écocide devant la Cour Pénale Internationale (CPI).
Mais cette position d’apparence courageuse est totalement incompatible avec la politique libérale menée par le gouvernement et son culte voué à la croissance économique. La mobilisation citoyenne doit donc continuer, afin que ces mesures soient bel et bien inscrites dans le droit français et surpassent les volatilités politiques des gouvernements temporaires. Il est ainsi indispensable de bien communiquer et informer sur chaque proposition, et notamment sur la légifération du crime d’écocide, lorsque les lobbys s’empressent de s’opposer. Les notions d’écocide ou de limites planétaires vous paraissent encore trop floues et complexes ? Voici un décryptage pour mieux vous y retrouver.
Pour la reconnaissance du crime d’écocide et des limites planétaires
Les citoyens de la CCC proposent une loi pénalisant le crime d’écocide, définit comme :
« toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées »
Reconnaître l’écocide, qualifié et quantifié par les neuf limites planétaires, semble être une révolution juridique nécessaire pour pouvoir prétendre lutter efficacement contre le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité.
L’ambition d’inscrire l’écocide et les neuf limites planétaires dans le droit français ne date pas d’hier et n’est pas une initiative d’Emmanuel Macron. À l’automne 2019, Valérie Cabanes, Paul Mougeolle de Notre Affaire à Tous et Marine Calmet de Wild Legal, ont co-rédigé une proposition de loi portant sur la reconnaissance du crime d’écocide et des limites planétaires à un groupe transpartisan de députés et sénateurs. Parallèlement à cette initiative, le groupe Socialistes et apparentés de l’Assemblée nationale déposait une autre proposition de loi sur le crime d’écocide, laquelle a été rejetée. La notion d’écocide s’est vu popularisée dans les années 2000 avec la prise de conscience globale du problème climatique. Or, la proposition SN7.1.1 de la Convention Citoyenne pour le Climat semble pouvoir changer la donne.
A premier abord, les concepts « d’écocide » et de « limites planétaires » peuvent paraître complexes dans la pratique. Après tout, il est question de punir des entreprises et des individus, ce qui implique une grande rigueur. C’est pourquoi il est nécessaire, à l’approche d’un potentiel référendum en 2021 et dans le contexte de la création du groupe de suivi dédié à la définition du crime d’écocide, de s’informer à ce sujet. Faisons le point.
Le crime d’écocide est quantifié par neuf limites planétaires mesurables. L’objectif ? S’assurer que l’activité humaine ne menace pas l’habitabilité de la Terre sur le long-terme et les conditions d’existence des sociétés présentes et à venir. Plus précisément, les limites planétaires sont des valeurs seuils définies par une équipe internationale de 26 chercheurs, menés par Johan Rockström et Will Steffen. Ces scientifiques ont identifié dès 2009, neuf processus et systèmes régulant la stabilité et la résilience du système terrestre – les interactions de la terre, de l’océan, de l’atmosphère et de la vie qui, ensemble, garantissent à l’Humanité l’existence d’un écosystème sûr et stable.
Les neufs limites planétaires sont les suivantes : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, les apports d’azote et de phosphore à la biosphère et aux océans (résultant notamment de l’agriculture et de l’élevage intensifs), le changement d’usage des sols, l’acidité des océans, l’appauvrissement de l’ozone atmosphérique, l’usage de l’eau douce, la dispersion d’aérosols atmosphériques et la pollution chimique. Selon le dernier Rapport sur l’état de l’environnement en France, publié en 2019 par le ministère de la transition écologique et solidaire, la France dépasse déjà six des neuf limites planétaires.
Non seulement cette proposition de loi s’inscrit dans le cadre des neuf limites planétaires, mais elle intègre également le devoir de vigilance et le délit d’imprudence. Renforcer le devoir de vigilance envers les grandes entreprises permettrait un meilleur contrôle, notamment dans le secteur des énergies fossiles, dont l’impact environnemental est certain et dont les engagements en matière d’environnement sont trop peu effectifs. Cette proposition prévoit que les personnes ayant commis un crime d’écocide de manière non intentionnelle, parce-qu’ils n’ont pas tenu compte des obligations de prudence ou de sécurité en vigueur, soient également poursuivies. Plus moyen de contourner ses responsabilités.
La reconnaissance des limites planétaires intégrées à la loi donnerait donc à l’administration, mais aussi et surtout au juge, le pouvoir d’apprécier la dangerosité d’une activité industrielle en s’appuyant sur des valeurs seuils déterminées par une autorité scientifique reconnue. Autrement dit, juger si une activité industrielle est viable ou non, en se basant sur un outil de mesure scientifique. Ce cadre permettrait de pouvoir analyser toute nouvelle proposition de loi ou règlement de manière transversale et transgénérationnelle.
Pour la création d’une Haute Autorité aux Limites Planétaires
Pour garantir le respect de la loi pénalisant le crime d’écocide dans le cadre des neuf limites planétaires, les citoyens de la CCC ont également proposé de créer une Haute Autorité aux Limites Planétaires composée d’experts scientifiques reconnus.
Wild Legal, ONG engagée pour la reconnaissance des droits de la Nature, explique :
« La HALP se verrait attribuer le contrôle et l’application des neuf limites planétaires, de manière à ce que les décisions publiques fassent l’objet d’un examen de ‘soutenabilité écologique’ systématique et transversal.
Des sous-entités pourront être déclinées au niveau régional afin de s’assurer de la cohérence des plans et programmes nationaux ainsi que des projets locaux, vis-à-vis des limites planétaires. »
Les instances administratives compétentes en matière d’environnement sont nombreuses mais seulement consultatives aujourd’hui. C’est-à-dire que lorsqu’elles émettent un avis négatif sur un projet, celui-ci peut tout de même voir le jour sans contrainte. C’est pourquoi il est nécessaire de faire de la Haute Autorité aux Limites Planétaires une institution forte. Lorsque une décision publique (lois, règlements, plans, programmes ou projets autorisés par L’État) dépasse les limites planétaires, son autorité doit être suffisamment importante pour que l’avis donné soit respecté.
Pour vous aider à comprendre, voici des exemples de mise en situation, proposés par Wild Legal :
- Sans la Haute Autorité aux Limites Planétaires → « Fin 2018, la compagnie TOTAL lance une campagne de forage exploratoire offshore au large de la Guyane française. Malgré la ratification de l’Accord de Paris et l’adoption de la loi Hulot, le préfet, représentant de l’État, autorise ces travaux avec l’aval de l’autorité environnementale alors que le bilan carbone de l’opération a été fourni par TOTAL : un rejet de 55 000 teqCO2, soit une augmentation de 5,5 % des émissions sur l’ensemble de la Guyane. Un projet à lui seul manifestement incompatible avec les limites planétaires et les objectifs de réduction des émissions de GES sur le territoire. En février 2019, la justice a rejeté le recours intenté par les associations contre le permis de forage. Aucune administration ne s’est opposée à la délivrance de cette autorisation de forage car le droit minier prévaut sur les engagements climatiques. »
- Avec la Haute Autorité aux Limites Planétaires → « La compagnie Montagne d’or souhaite s’implanter sur le territoire de la Guyane pour y exploiter une mine d’or à ciel ouvert pendant 12 ans. Elle doit réaliser un bilan carbone ainsi qu’une étude afin de déterminer l’impact de son projet sur l’ensemble des limites planétaires. Ce bilan carbone met en évidence qu’à lui seul, le projet constitue une augmentation des émissions de 50% des gaz à effet de serre du territoire guyanais. Le projet est donc manifestement incompatible avec l’objectif de réduction de 40% des GES d’ici 2030 et a fortiori de la neutralité carbone. la Haute autorité des Limites Planétaires interdira donc la réalisation de ce projet. »
Pour Marine Calmet, présidente de l’association Wild Legal :
« le soutien des citoyens à la création d’une Haute Autorité pour les limites planétaires ayant des missions d’information, d’expertise et d’alerte afin de veiller au respect des limites planétaires est un message très fort en faveur d’une nouvelle gouvernance pour la protection de notre planète. »
Malgré l’aspect très scientifique de cette autorité, la création de la HALP ne se veut pas technocratique. C’est même tout le contraire !
En effet, cette autorité aurait la compétence, pour les entreprises des secteurs les plus polluants qui en font la demande, de les guider vers un modèle d’activité plus respectueux des limites planétaires. La HALP disposerait également d’un pouvoir de mise en demeure de celles qui participent directement au dépassement des limites planétaires.
Elle dote les citoyens d’un outil scientifique, les limites planétaires, leur permettant d’avoir une meilleur vue d’ensemble de l’impact environnemental des projets. Cet outil peut donc être appréhendé comme un moteur de la démocratie participative, en ce qu’il donne aux citoyens les clés de compréhension nécessaires pour appréhender toute décision publique (loi, règlement, projet privé) à travers le prisme de la crise écologique.
Le droit de l’environnement actuel ne dispose pas d’outils juridiques suffisants et efficients pour faire face à la crise écologique. Adopter une loi pénalisant le crime d’écocide dans le cadre des neuf limites planétaires, dont la mise en œuvre serait garantie par une autorité forte, semble être l’occasion de créer un nouveau cadre juridique pour la protection de notre système Terre. Un système qui dépasserait l’anthropocentrisme du droit en vigueur, puisque nos droits humains découlent invariablement de la reconnaissance de notre interdépendance avec la nature. Un modèle assez fort et légitime pour mettre frein d’arrêt aux entreprises les plus destructrices.
Une telle révolution juridique en France – puis à l’échelle internationale, si le crime est reconnu par la Cour Pénale Internationale – permettrait d’apporter une première réponse transversale aux enjeux climatiques mais aussi et surtout de favoriser la collaboration entre scientifiques, juristes et citoyens. Il s’agit donc aussi de promouvoir la démocratie participative et la transparence des décisions politiques, dans un contexte urgent d’effondrement de la biodiversité et de réchauffement climatique.
– Camille Bouko-levy