Aliments, produits de soins, textiles, cosmétiques… Une grande partie des produits de consommation quotidienne contiennent des substances nocives pour la santé et pour l’environnement, comme des pesticides, des métaux lourds ou des perturbateurs endocriniens. La législation demeure pourtant souvent laxiste dans l’encadrement de la composition de ces produits. Pire, les budgets alloués aux organismes de contrôle sont en baisse, donnent plus que jamais le champ libre au marché. Si la santé est une question publique, ce sont pourtant des initiatives citoyennes qui voient le jour pour exiger plus de transparence dans la composition des produits du quotidien par la veille continue et le pouvoir de contrôle du consommateur. C’est dans ce cadre de désobéissance civile que voit le jour Konsoleader.
Parmi les produits les plus toxiques pour les êtres vivants et l’environnement, on retrouve des microplastiques, des métaux lourds mais aussi des pesticides et des perturbateurs endocriniens. Ces éléments communs composent aujourd’hui largement notre environnement alimentaire. L’OMS alerte régulièrement sur les risques sanitaires importants chez les personnes exposées aux pesticides par voie directe (travailleurs agricoles, et voisinage immédiat des zones qui subissent les épandages) et indirecte (par le biais des aliments et de l’eau). La corrélation entre l’usage des pesticides et le déclin de la biodiversité n’est par ailleurs plus à prouver, particulièrement dans le cas des insectes et des oiseaux. D’après le dernier rapport de l’ANSES, 30% des colonies d’abeilles auraient ainsi été décimées en France pendant le seul hiver 2017-2018. Une hécatombe directement liée, selon l’Union Nationale de l’apiculture française, à un usage trop intensif des pesticides dans l’agriculture.
Les perturbateurs endocriniens à l’origine de nombreuses pathologies
En ce qui concerne les perturbateurs endocriniens, leur présence est en constante augmentation dans l’environnement. Leurs effets sur la santé humaine sont encore mal connus, mais l’Agence Nationale de Santé Publique française met en évidence l’altération de nombreuses fonctions hormonales essentielles à notre équilibre et à notre développement. Les perturbateurs endocriniens sont ainsi suspectés de contribuer à diverses pathologies comme l’infertilité, la puberté précoce, l’obésité, certaines maladies thyroïdiennes, mais aussi des malformations congénitales, des cancers hormono-dépendants, et même des troubles de l’immunité.
Ces effets ont d’abord été observés sur la faune sauvage, en contact avec les perturbateurs présents dans l’environnement, puis des études expérimentales ont été menées sur des animaux. Si l’extrapolation chez les humains soulève toujours des questionnements et des inconnues, de fortes préoccupations sont exprimées par la communauté scientifique sur l’impact sanitaire de ces substances, présentes dans de nombreux produits de consommation, en particulier par un effet cocktail.
Les moyens toujours plus réduits des organismes de contrôle
Dans le même temps, les organismes de contrôle de la composition des produits voient leur budget et leurs effectifs se réduire inexorablement. En 2019, le Bureau Européen des Unions de consommateurs (BEUC) publiait un rapport sur l’insuffisance des contrôles alimentaires en Europe. Cette étude réalisée dans 12 états-membres dressait un constat alarmant sur la réduction considérable des effectifs des services officiels observée ces dernières années et sur les risques qu’elle comporte pour les consommateurs. Comme la majorité des pays européens, la France a fortement diminué les effectifs des services de contrôle, dans le but de réduire les dépenses publiques. Le budget alloué au contrôle sanitaire des produits a ainsi baissé de 20% en 5 ans.
Le rapport insiste aussi sur la réglementation trop laxiste sur certains points, fragilisant le dispositif censé garantir la sécurité des aliments. Le BEUC presse donc les pouvoirs publics de renforcer sans délai les moyens humains et réglementaires des organismes de contrôle, afin de garantir la sécurité des aliments.
Une initiative citoyenne pour pallier les manquements actuels
En attendant, des initiatives citoyennes tentent de mettre en place de nouveaux moyens alternatifs pour contrôler les produits consommés, qu’ils s’agissent d’aliments mais aussi de textiles, de cosmétiques ou de produits de soins, pour lesquels il existe encore moins de dispositifs de contrôle. C’est ainsi que le projet de Konsoleader a vu le jour. « Mon équipe et moi avions trop vu et trop entendu pour garder le silence et ne rien faire sur cette contamination par les pesticides et les failles des garanties sanitaires » explique Carole Tawema, à l’origine du projet. Ils ont donc décidé de proposer une solution sous la forme d’une plateforme coopérative de citoyens qui permet à chacun de participer à la lutte contre les contaminants potentiellement toxiques grâce au contrôle et à l’analyse mensuelle des produits de consommation quotidienne.
Concrètement, en adhérant à Konsoleader, le consommateur prend part à un réseau de veille citoyenne. Au lancement de l’application en septembre 2020, les utilisateurs pourront voter pour les marques qu’ils souhaitent voir contrôler. Celles-ci seront libres de refuser l’analyse de leurs produits, l’explication de leur refus étant publiée sur leur profil. Chaque produit sera ensuite acheté anonymement par un utilisateur tiré au sort, pour garantir l’indépendance vis à vis des marques contrôlées. Les achats et les analyses s’effectuent grâce au fond mutualisé de la communauté Konsoleader, qui devient donc propriétaire du produit et est en droit de l’analyser comme tout autre consommateur. Il sera donc envoyé à l’un des 50 laboratoires français recensés par l’équipe parmi ceux qui sont agréés par le ministère de l’agriculture et capables de fournir une analyse sous 2 à 15 jours.
Une transparence qui fait souvent défaut
Des applications de santé déjà existantes permettent d’être informé sur la nocivité des ingrédients qui entrent dans la composition des produits telle qu’elle est inscrite sur l’étiquette. Mais en l’absence d’obligation légale précise, et par méconnaissance des processus de fabrication de leurs propres produits, beaucoup d’entreprises omettent en réalité certaines informations importantes. Konsoleader propose donc d’analyser directement les produits en laboratoire afin de détecter ce qui n’est pas visible sur les étiquettes, mais qui est tout aussi nocif pour la santé des êtres vivants et pour l’environnement (pesticides, métaux lourds, microplastiques…).
À terme, le but est de pousser les marques (qu’elles soient bio ou non) à respecter et prouver leurs engagements, et notamment à renoncer à l’usage des pesticides et autres substances toxiques. Et pour celles qui ne respectent pas les règles, les citoyens savent qu’ils doivent s’en détourner. Grâce à la veille continue, Konsoleader espère que les marques prendront davantage de précautions sur l’origine et la qualité des ingrédients qui entrent dans les compositions. Partant du postulat auto-proclamé que toute marque est digne de confiance et respecte ses clients en évitant de vendre des produits toxiques pour leur santé et l’environnement, Konsoleader estime qu’il n’y a par conséquent aucune raison pour une marque de refuser le contrôle de ses produits directement par le consommateur ! Tout refus serait donc nécessairement douteux.
Un soutien aux associations de victimes des pesticides
Le rééquilibrage du pouvoir d’accès aux informations d’utilité publique entre les entreprises et le consommateur est un autre but poursuivi par le projet. Konsoleader souhaite ainsi obtenir des informations claires et transparentes sur les dangers et les risques des pesticides et métaux lourds afin de se libérer des informations parfois contradictoires qui circulent, relayées par de nombreux canaux et organismes variés, aux intérêts divergents.
Mais Konsoleader aspire aussi à aider les entreprises et les producteurs qui le souhaitent à garantir la qualité sanitaire de leurs produits. Ils veulent également encourager les concitoyens à privilégier les filières courtes et locales, plus écologiques et dont la traçabilité est plus simple et efficace. Un autre de leur projet est d’accélérer le processus de “compensation pesticides” grâce à un fonds d’appui permanent aux associations de victimes des pesticides. Celui-ci sera prélevé sur le fonds mutualisé de Konsoleader, lui-même composé par les abonnements des membres, qui s’élève à 24 euros par an et des marques (de 250 à 500 euros par an). Ce seront les utilisateurs eux-mêmes qui choisiront par vote quelle association soutenir en fonction de l’urgence de la situation.
Pour réaliser tous ces projets, Konsoleader a lancé un appel à financement participatif dans le but d’évaluer l’intérêt du citoyen pour l’initiative et de financer l’application. Ils pourront ainsi développer la plateforme applicative qui permettra à tous de voter et aux utilisateurs abonnés d’analyser tous les mois des produits textiles, boissons, alimentaires, de beauté et d’hygiène grâce au fonds mutualisé des Konsoleaders. Mais doit-on s’inquiéter de cette « privatisation » du contrôle de qualité ? Carole Tawema estime avec raison que « c’est une question de santé publique et ce ne devrait pas être à une structure privée de porter un tel projet ». Pourtant, en attendant que les pouvoirs publics fassent de la lutte contre les composés toxiques une vraie priorité, il apparaît aujourd’hui essentiel que les citoyens fassent eux-mêmes ce que l’État soumis aux intérêts des industriels fait de moins en moins…