Partout dans le monde, la droite identitaire semble gagner du terrain, en particulier auprès des classes populaires. À travers leurs stratégies et leur Histoire récente, il apparaît pourtant évident que ce camp politique n’a rien à apporter à cette catégorie de la population sur le plan social et économique. Décryptage d’une arnaque politique.  

Pour le démontrer, il convient d’abord de replonger dans les programmes de ses principaux  représentants en France, à savoir Éric Zemmour et Marine Le Pen. Et lorsque l’on gratte un peu le vernis social destiné à attirer les électeurs et électrices, on s’aperçoit très vite qu’il s’agit en réalité d’un projet capitaliste traditionnel qui n’améliorerait en rien le sort des classes populaires. 

Meeting extrême droite Le Pen Zénith de Paris le 17.04.12 @MaudRose/Flickr

Contre l’augmentation du SMIC 

La première chose qui saute aux yeux lors de la lecture des programmes d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen, c’est qu’ils consacrent extrêmement peu de place aux salaires. Tous deux s’opposent d’abord à l’augmentation du SMIC. Les députés RN ont d’ailleurs récemment voté « contre » à l’Assemblée Nationale. Utilisant la même rhétorique que la droite traditionnelle, les deux candidats se cachaient derrière « les difficultés des petites entreprises » pour ne pas avoir à pénaliser les grosses… 

Il s’agit pourtant d’une fausse excuse, puisqu’il était tout à fait possible d’épauler les PME en mettant davantage à contribution les grosses compagnies. Lors des dernières élections, les partis se revendiquant à gauche proposaient d’ailleurs d’augmenter les cotisations des grandes sociétés afin de pouvoir abaisser celles des petites, leur permettant ainsi d’améliorer les salaires.  

De plus, la hausse des bas revenus aurait nécessairement généré des profits supplémentaires pour les entreprises modestes. Et pour cause, si les plus pauvres avaient gagné plus d’argent, ils l’auraient dépensé, ainsi que le prouvent toutes les règles d’économie classique. De cette manière, les carnets de commandes se seraient sans nul doute remplis. 

Contre le dégel du point d’indice des fonctionnaires 

Marine Le Pen a bien laissé apparaître dans son programme quelques mesures sporadiques  pour la progression des salaires des soignants, des policiers et des professeurs. Mais elle s’est en revanche opposée au dégel du point d’indice des fonctionnaires. Par ailleurs, les maigres augmentations qu’elle souhaitait accorder ne se faisaient qu’au prix d’économies dans d’autres secteurs.  

Pour les enseignants, elle prévoyait ainsi une réévaluation de 15% sur 5 ans, financée par des  « réductions des dépenses administratives au sein du ministère ». Il ne s’agit donc en réalité pas d’une augmentation de budget, mais de réaffectations. Pour les soignants hospitaliers, seuls 2 milliards d’investissement sur 5 ans étaient planifiés, à peine la moitié de ce que réclament immédiatement les syndicats. 

L’arnaque à la baisse d’impôts

Comme la droite traditionnelle, toutes les promesses d’augmentation du « pouvoir d’achat »  des droites identitaires reposent sur la baisse des impôts. Éric Zemmour a même utilisé le  slogan « taxer moins pour gagner plus ». Il faut dire que cette proposition de départ a de quoi séduire les masses tant elles sont accablées par leur manque d’argent. L’impôt pèse d’ailleurs effectivement d’une manière considérablesur la classe moyenne.

Mais il est également un levier pour davantage taxer la classe riche et ultra-riche qui est proportionnellement plus épargnée et jouit d’un traitement de faveur indécent face à ses devoirs citoyens : or, baisser l’impôt, plutôt que d’augmenter les travailleurs, ce serait à nouveau favoriser les grosses fortunes, bien plus que les foyers moyens. Une énième façon de faire sentir une plus-value pour le citoyen, quand il s’agit d’un changement dérisoire, et plutôt d’un cadeau pour les grands portefeuilles.

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Taux-Global-Imposition-Classe-France @www.captaineconomics.fr

En outre, il faut garder à l’esprit que les impôts permettent de financer nos services publics. Lorsque l’on réduit le contenu des caisses publiques, on affaiblit donc du même coup les écoles, les hôpitaux, la police, la justice, le réseau énergétique, les transports ou encore la culture. Et au regard de l’état désastreux de ces services à l’heure actuelle, le bon sens voudrait plutôt une augmentation du budget.

D’autant que cette poursuite de la casse des services publics contribue, c’est un comble, à enrichir les multinationales privées, impatientes de se saisir d’un nouveau marché en perdition. Ces groupes se remplissent les poches en s’imposant comme les nouveaux leaders de ces marchés anciennement de droit, une concurrence impossible à déjouer pour les fonctionnaires abandonnés par l’Etat, et ainsi, inversement aux promesses, l’écart de injustices sociales se creuse puisque les populations doivent dorénavant payer pour des services autrefois dus, au profit d’un monopole par une poignée de PDG, actionnaires et autres dirigeants. 

Destruction des services publics en vue 

En effet, si l’on baisse les impôts sur les classes populaires, ce qui paraît souhaitable, il apparaît nécessaire de compenser cette perte. Force est de constater que les identitaires ne proposent rien de suffisant dans ce sens. Il s’agit donc, ici, de la même démagogie employée depuis des décennies par la droite traditionnelle. Politique qui a conduit à détruire nos services publics afin de faire accepter les privatisations massives. 

C’est d’ailleurs dans cette idée que le RN a voté, de concert avec le gouvernement, la  suppression de la redevance télé. Sans même essayer de se cacher, une députée RN reprenait à son compte la proposition de privatisation de l’audiovisuel public porté par Éric Zemmour pendant les présidentielles. « Une grande démocratie comme la nôtre n’a plus besoin d’un service public », s’est-elle exclamée pendant les débats. 

Attaque du système social 

La perversité de ce stratagème va même plus loin puisque, là encore, à l’image de l’ensemble de la droite, les identitaires entretiennent volontairement une confusion entre les impôts, les  charges et les cotisations sociales. Le patronnât et les capitalistes en général ont d’ailleurs tout fait pour que les cotisations sociales soient désignées dans le langage courant comme de simples « charges ».  

Et sous couvert d’une prétendue « augmentation des salaires », Eric Zemmour et Marine Le Pen n’hésitent pas à s’attaquer au système social français avec des mesures ultralibérales.  Ainsi Marine Le Pen proposait d’exonérer les chefs d’entreprises de 10% de cotisations, en échange de la même avancée de revenus. Son de cloche identique chez Éric Zemmour qui suggérait d’abaisser les cotisations patronales et d’augmenter le salaire net en réduisant la part des prélèvements sociaux.  

Mais de cette façon, le gain réel pour l’employé reste nul. Pire encore, il met en danger notre système de solidarité. Le travailleur aurait effectivement l’impression d’empocher plus sur le moment, mais il serait en réalité spolié par la suite puisqu’il lui faudrait nécessairement compenser les baisses de cotisations qui financent par exemple la sécurité sociale, le chômage ou la retraite.  

C’est, en particulier, ce genre de mesures qui participent à, par la suite, justifier l’augmentation de l’âge légal de départ à la retraite. De la même façon, elles détériorent notre système de santé public et favorisent les acteurs privés comme les mutuelles.  

Protéger les riches 

En réalité, derrière cette manière de procéder, que ce soit dans la baisse générale des impôts ou dans l’attaque du système social, se cache une volonté de protéger les grandes fortunes. C’est d’ailleurs le point commun principal entre le gouvernement et la droite identitaire. 

Eric Zemmour n’hésite pas à le dire en public, il est « contre la lutte des classes », et il milite même pour « réconcilier la bourgeoisie patriote avec les classes populaires ». Un slogan absurde puisque les intérêts économiques et sociaux de ces deux classes, respectivement la capitalisation extrême et la redistribution solidaire, sont foncièrement incompatibles. 

 

 

Pluie de cadeaux pour les grandes fortunes 

Comme expliqué plus haut, la situation de nos services publics et de notre système social  nécessiterait un accroissement massif du budget de l’État. Et pour ce faire, la solution la plus évidente consiste à élever le niveau d’imposition global. Or, si l’on souhaite dans le même temps soulager les classes populaires, il convient d’une part d’augmenter les salaires, et d’autre part de rehausser conséquemment les prélèvements des plus aisés. 

Pourtant, il n’en est absolument pas question dans le camp des identitaires, bien au contraire. On retrouve d’ailleurs dans leurs programmes bon nombre de cadeaux aux plus riches. Du  côté de Marine Le Pen, par exemple, on offrait de baisser la TVA sur les hydrocarbures et on refusait de bloquer les prix. Or, en agissant ainsi, le RN protège les pétroliers et creuse le déficit dans les caisses du pays. De la même manière, le parti souhaitait exonérer les moins de 30 ans d’impôts sur le revenu : y compris les plus aisés. Enfin, elle préconisait de ne pas prendre en compte la résidence principale dans la taxation des plus riches.  

Du côté de Reconquête, les cadeaux aux plus fortunés sont également légion, en particulier pour les grandes compagnies. Éric Zemmour proposait ainsi d’abolir tous droits de succession pour la transmission d’entreprises familiales : peu importe leur taille. Les mesures de suppression de cotisations patronales, vues précédemment, vont, elles aussi, dans ce sens. 

Monter les pauvres les uns contre les autres 

Par ailleurs, de véritables politiques sociales d’envergures doivent concerner l’ensemble des classes précaires et populaires. Les identitaires, au contraire, passent leur temps à monter les pauvres les uns contre les autres. Tantôt, ils dénoncent – avec virulence et déshumanisation – les personnes immigrées, tantôt les « assistés ». On  s’inscrit parfaitement dans le vieil adage du « diviser pour mieux régner ».  

De cette façon, les identitaires instrumentalisent la précarité pour véhiculer leurs idées  xénophobes et leur mépris de classe. Les étrangers, ces pauvres d’ailleurs, seraient ainsi responsables de la misère des Français, pauvres nés ici sans l’avoir voulu, et viendraient leur voler leurs emplois et leur pain. De l’autre côté, une fraction  paresseuse du peuple refuserait de travailler et serait donc coupable du péril du système  économique.  

Pire encore, ceux-ci seraient coupables de fraudes sociales massives. S’il existe sans aucun doute quelques personnes extrêmement minoritaires qui profitent (faiblement) de la solidarité nationale, c’est une exception qui confirme la règle fonctionnelle de solidarité, et faire reposer sur leurs épaules la misère du pays est un procédé extrêmement  malhonnête, là encore destiné à protéger les plus fortunés. 

Car dans les faits, ce sont bien les plus prospères qui accaparent l’immense majorité des  richesses. De leur côté, les immigrés et les plus pauvres (qui sont bien souvent les deux à la fois) ne possèdent qu’un capital extrêmement restreint : des miettes dont se disputer la répartition ne changera rien au niveau de vie de chacun. Rappelons par exemple que les cinq Français les plus riches détiennent autant que les 27 millions les plus modestes. Or, seuls 10 millions de personnes en France vivent sous le seuil de pauvreté, et à peine 3.8 millions d’entre elles touchent le RSA. 

Selon ces proportions d’échelles, il paraît donc complètement absurde d’accuser ces mêmes pauvres d’être à l’origine des  défaillances économiques du pays. C’est au contraire, dans le capitalisme et dans sa variante néolibérale que la misère puise sa source.

Malgré tout, les identitaires ne remettent pas une seconde en cause ce mode de fonctionnement qui leur va bien. Marine Le Pen prônait d’ailleurs un  « capitalisme populaire ». Tout au plus s’opposent-ils à la mondialisation, mais plutôt pour des raisons nationalistes que sociales. 

De plus, on a régulièrement vu ce camp politique afficher son mépris aux mouvements  sociaux, parlant par exemple de « gréviculteurs » et n’hésitant pas à hurler avec les loups en qualifiant la grève de « mode d’action archaïque ». Le malaise des identitaires lors des manifestations des Gilets Jaunes était d’ailleurs palpable. Soutenues du bout des lèvres d’un côté, elles étaient aussi durement dénoncées lors des affrontements avec la police. Marine Le Pen avait d’ailleurs vivement rejeté l’idée d’amnistier les Gilets Jaunes condamnés par le gouvernement. 

On peut également détecter la « supercherie sociale » du projet des identitaires à travers leur refus de s’associer à l’un des grands combats du socialisme, celui de la baisse du temps de  travail. Ainsi, Le Pen comme Zemmour se sont toujours montrés hostiles aux 35h. Sur la retraite, la première a renoncé à défendre l’âge de départ à 60 ans et le second réclamait même le report à 64 ans. 

Les expériences récentes à l’étranger 

Il est également possible d’analyser la politique sociale de la droite identitaire à la lumière des actions menées dans les pays où elle est récemment arrivée au pouvoir et où elle puise son inspiration. En Europe, elle est encore actuellement aux manettes : en Hongrie avec Victor Orban et en Pologne avec le PiS. Mais elle l’a aussi été partiellement en Autriche avec le FPÖ et en Italie avec la ligue du Nord. En Amérique, on peut de même citer Jair Bolsonaro au Brésil ou Donald Trump aux États Unis. 

Au Brésil, l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir a fait bondir le taux de pauvreté, dans la  continuité du coup d’État judiciaire contre la gauche, orchestré en 2014. Et pour cause, le président sortant n’a pas cessé de mener une politique austéritaire.  

Jair Bolsonaro – Flickr

En Amérique du nord, l’homme d’affaires Donald Trump s’est violemment attaqué aux droits des travailleurs et n’a rien fait pour les protéger. On l’a d’ailleurs constaté lors de la crise du covid-19 où des millions de gens se sont retrouvés sur le carreau en un instant. L’ancienne star de télé-réalité a également profité de son mandat pour limiter l’activité des syndicats, saboter la réforme de l’assurance maladie ou encore faciliter le licenciement des agents publics. Et bien évidemment, il a critiqué et rejeté avec insistance le concept d’aide sociale qu’il assimilait à du communisme. 

En Europe, on a également eu un aperçu de ce que pourraient donner Marine Le Pen ou Éric Zemmour au pouvoir. En Hongrie, Victor Orban a mis en place une politique de baisse  massive des impôts pour les entreprises et il a dérégulé le droit du travail. L’exécutif a ainsi fait grimper les heures supplémentaires de 250 à 400 par an. Pire encore, il a offert aux patrons un délai de trois ans pour payer les salariés. Mêmes circonstances en Autriche, où le gouvernement de coalition de 2018 avait permis la semaine de 60 heures, soit 12 heures par jour.  

De nombreuses expériences récentes qui pourraient faire réfléchir bon nombre de membres de la classe populaire sur leurs véritables intérêts. D’autant plus que la totalité des droites identitaires a également la fâcheuse tendance à s’attaquer aux droits humains et à fermer les yeux sur le désastre environnemental…

– Simon Verdière


Photo de couverture : Viktor Orbán à Varsovie, 3 décembre 2021.

Sur cette photo publiée par le Bureau de presse du Premier ministre, le Premier ministre Viktor Orbán participe à un dîner de travail des dirigeants des partis conservateurs européens à Varsovie, le 3 décembre 2021. À ses côtés, le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki et Marine Le Pen, candidate à la présidence du Front national français.

MTI/Service de presse du Premier ministre/Zoltán Fischer @szpattila/Flickr

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