Les décodeurs de #datagueule s’attaquent aujourd’hui à une question particulièrement clivante, celle de l’automobile. En effet, difficile de critiquer cette dernière alors que dans l’imaginaire collectif la voiture est avant tout un synonyme de liberté pour les uns, de réussite sociale pour les autres. Pourtant, une remise en cause du modèle basé sur le tout voiture semble nécessaire au regard des défis économiques, sociaux et environnement qu’elle provoque.

Les politiques des pays industrialisés ont longtemps tout misé sur l’automobile en faisant de cet objet une centralité dans les ménages. Les aménagements urbains ainsi que l’espace de la ville lui sont ainsi entièrement consacrés, au détriment des autres moyens de locomotion. Symbole de réussite économique pour les uns, gage de liberté pour d’autres, nécessité absolue pour beaucoup, cet objet bien encombrant est inutilisé 95% de son temps de vie. Si l’image de la voiture s’est cependant légèrement terni ces dernières années, en particulier chez les jeunes, elle n’en reste pas moins le moyen de déplacement dominant.

Au regard des défis écologiques et géographiques posés par ces véhicules, #datagueule souligne la nécessité d’accorder une place plus importante aux autres moyens de transport. Montrant que l’aménagement de l’espace public doit être le fruit d’un choix collectif, l’équipe évoque avec Philippe Gargov, fondateur du cabinet de conseil pop-up Urbain, les conséquences négatives de la voiture sur les villes ainsi que certaines pistes pour faire évoluer le modèle dominant. Loin de stigmatiser les conducteurs, #datagueule met cependant en question un système uniquement pensé pour la voiture.

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La voiture, entre imaginaire et réalité

La voiture, dont le développement fulgurant date des années 1950, a profondément changé la morphologie des territoires. Le sociologue britannique John Urry, cité par Alternatives économiques, souligne que l’avènement du tout voiture a « [délié] les territoires du domicile, du travail et des loisirs, qui historiquement étaient étroitement intégrés ». De plus, la généralisation de l’usage de la voiture se solde aujourd’hui par un échec tant on constate une saturation de l’espace public. Et pourtant : l’essentiel de cet espace est déjà consacré à la voiture ! Par ailleurs les voitures causent des nuisances en termes de pollutions depuis sa fabrication à son utilisation en finissant par son démantèlement. Si une seule voiture semble poser peu de problème, offrir une voiture (dans l’état actuel de la technique) à chaque humain sur terre semble une perspective aussi délirante qu’impossible. Devant l’importance structurelle prise par la voiture au sein de la société, construire une alternative est bien évidemment compliqué mais nécessaire.

Le discours politique dominant et l’omniprésence de la publicité ont contribué à façonner un imaginaire collectif très favorable à ce mode de déplacement en occident. Associée à la liberté, à la mobilité et au plaisir personnel, la voiture nourrit le sentiment de réussite et d’indépendance. Aussi, elle est devenue le symbole même d’une forme d’individualisme, malgré les coûts individuels et sociaux qui y sont associés. L’avènement de la voiture n’avait d’ailleurs rien d’inéducable, sa place restant toujours très marginale dans nombre de pays, notamment en Asie. Cependant, son développement présentait un intérêt évident pour les industriels et les exploitants de pétrole. Si bien que l’avènement de la voiture s’est fait dans un déni institutionnel d’autres solutions et en particulier les transports en commun. En conséquence, on aboutit à une situation absurde dans laquelle 40 % des trajets urbains en voiture concernent des distances de moins de 3 km. #datagueule note en outre qu’en France le secteur des transports est responsable de 29% des émissions de gaz à effet de serre. À elles seules, les voitures provoquent 51% de ces émissions.

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Une mise en cause compliquée

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Le discours positif articulé autour de l’idée de Liberté associée à la voiture rend sa critique délicate et génère souvent les pires réactions. André Gorz notait déjà en 1973 que malgré le caractère nocif de l’automobile « le mythe de l’agrément et de l’avantage de la bagnole persiste alors que les transports collectifs, s’ils étaient généralisés, démontreraient une supériorité éclatante ». Pour soutenir un changement de comportement, les politiques sont appelés à proposer des alternatives convaincantes. Les aménagements destinés aux mobilités douces doivent être améliorés et les transports publics rendus plus accessibles comme c’est le cas par exemple au Japon. Seule une politique globale peut permettre de trouver une solution.

Comme le suggère Philippe Gargov, l’objectif n’est pas de bannir entièrement l’utilisation de la voiture de nos vies ; en revanche, les constats faits précédemment montrent l’impérative nécessité de « rééquilibrer la balance entre les différentes mobilités ». C’est l’occasion de redynamiser les centres-villes et de redonner vie aux espaces délaissés par les habitants – en particulier la rue ! – parce que les voitures y empêchent tout autre usage. Certaines villes ont déjà entamé ce changement. Les villes de Copenhague ou d’Amsterdam sont souvent citées comme exemples : par le biais d’une politique audacieuse et novatrice, l’espace public y est mieux partagé. On remarquera d’ailleurs que dans ces villes, l’essor du vélo et des transports en commun n’est pas freiné par la météo capricieuse qui y règne… La clé réside surtout dans une vision politique holistique qui peine encore à s’exprimer, faisant trop souvent passer les considérations économiques avant la logique et le bien-être citoyen.


Pour aller plus loin : André Gorz, L’idéologie sociale de la bagnole, 1973 / Ivan Illich, Énergie et équité, 1973

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