Selon « Libération » le gouvernement Philippe souhaite renoncer à l’objectif de division par quatre des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 à la faveur de la « neutralité carbone ». Est-ce un feu vert pour le recours massif aux techniques de captage de C02 ?… Techniques pour lesquelles il existe des incertitudes majeures et de nombreuses controverses scientifiques.
Ce serait une énième reculade. D’après le journal Libération, qui s’est procuré le projet de loi « énergie » du gouvernement, l’objectif de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays entre 1990 et 2050 pourrait être supprimé. Mais le gouvernement ne peut pas donner le sentiment d’abandonner les politiques environnementales. Ainsi, le « facteur 4 », doit être remplacé par un nouvel objectif, celui « d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon [2050] ».
Zéro émission nette ?
Ce « zéro émission nette » est mentionné dans l’accord de Paris de 2015. Selon l’Institut Pierre-Simon-Laplace, « il s’agit de tendre vers un équilibre entre les émissions anthropiques, en grande partie liées à l’utilisation de combustibles fossiles, et les absorptions anthropiques, comme la plantation de forêts ou la capture et le stockage éventuel de CO2 atmosphérique ». En d’autres termes, l’objectif est de compenser les émissions de gaz à effet de serre par des systèmes de captage, naturels ou technologiques.
Qu’en est-il actuellement en France ? « Pour permettre une comparaison, les émissions totales sur notre territoire sont actuellement aux alentours de 450 MtCO2/an, tandis que le puits net français est à environ 40 MtCO2/an. La neutralité reste donc un horizon très, très lointain », nous apprend César Dugast, consultant senior chez Carbone 4, cabinet de conseil fondé par Alain Grandjean et Jean-Marc Jancovici. Dès lors, cet objectif – qui évite par ailleurs de réinventer nos institutions économiques – est-il bien sérieux ?
En théorie, le zéro émission nette impose une politique plus ambitieuse en matière de réduction des émissions. En effet, pour atteindre cet objectif, il faudrait réduire les émissions par 6 ou par 7, le stockage de carbone jouant un rôle résiduel. « Il est important de voir que les puits de carbone ne pourront vraisemblablement pas jouer le rôle de joker pour se défausser de l’objectif crucial de réduction des émissions. Au contraire, leur développement est difficile et connaît des limites physiques immuables », commente César Dugast.
Mais sur le papier, la proposition de loi du gouvernement fait disparaître un objectif de réduction clair. « Le Gouvernement propose au Parlement de remplacer un objectif précis, chiffré, daté et relatif à toutes les émissions de gaz à effet de serre, par un objectif reposant, pour l’heure, sur une notion imprécise et non définie et dont le lien avec la [Stratégie Nationale Bas Carbone] n’est même pas établi », commente l’avocat Arnaud Gossement.
En retirant des objectifs de réduction précisément chiffrés, le gouvernement joue donc sur l’ambiguïté. C’est d’autant plus inquiétant que les émissions sont reparties à la hausse en 2015 et en 2016, le pays étant incapable de respecter sa propre Stratégie nationale bas carbone. Le risque, qu’on ne peut pas écarter, c’est que la politique environnementale française soit désormais moins regardante sur les émissions, au motif que la finalité des mesures prises est désormais la compensation. Les principales associations écologistes ont d’ailleurs regretté la nouvelle formulation de la loi : la neutralité carbone à l’horizon 2050 est « un objectif trop vague et trop éloigné qui ouvre grand la porte aux fausses solutions, comme les agrocarburants ou les procédés industriels de stockage du carbone », a réagi Greenpeace par communiqué. Est-ce bien sérieux à l’heure des grandes manifestations pour le climat ?
Le mirage du captage du carbone
En mettant la compensation des émissions de gaz à effet de serre au centre, le gouvernement laisse miroiter l’efficacité des technologies de captage. Or ces technologies ne sont pas au point, et a fortiori, si les émissions globales ne baissent pas, on peut raisonnablement douter de leur efficacité à grande échelle.
Mais de quoi parle-t-on exactement ? Parmi ces techniques on compte l’afforestation, la reforestation, la renaturation et la séquestration du dioxyde de carbone, mais aussi des techniques dites de bioénergie avec capture et stockage du carbone ou encore la capture directe du carbone dans l’air. À ce jour, elles posent de graves problèmes de rentabilité financière et énergétique. Miser sur leur efficacité n’est-il pas de nature à hypothéquer un peu plus notre avenir ?
Dans son compte rendu aux décideurs, le GIEC évoque ces techniques avec la plus grande des prudences, non seulement parce que l’état des connaissances scientifiques à leur sujet est insuffisant, mais également parce que ces procédés impliquent des risques sociaux, économiques et environnementaux. Tous les scénarios envisagés par le panel pour limiter une hausse des températures à 1,5 °C au-dessus de l’ère préindustrielle impliquent l’usage de techniques de captage des gaz à effet de serre. Néanmoins, précisent immédiatement les scientifiques, les techniques de captage dioxyde de carbone posent « des contraintes de faisabilité et de soutenabilité ».
En effet, insiste le GIEC, l’ensemble de ces techniques pourraient avoir « une incidence importante sur les terres, l’énergie, l’eau, ou les nutriments si déployées à grande échelle ». Autrement dit, ces techniques risquent d’accroître la pression sur les sociétés humaines et leur environnement. Ainsi, l’afforestation pourrait entrer en compétition avec d’autres usages des sols, et pourrait donc avoir des conséquences importantes sur la production alimentaire et la biodiversité. L’arbitrage entre stockage du carbone et production alimentaire pourrait être la source de nouvelles compétitions entre population pour le partage des ressources (= risque de conflits armés), oppositions particulièrement difficile à gérer en période de contraction énergétique.
Il faudra donc surveiller de près l’avenir de la nouvelle proposition de loi « énergie » du gouvernement, texte qui, dans l’ambiguïté de ses formulations, pourrait permettre aux politiques de se défausser sur d’éventuels progrès technologiques futurs pour justifier une nouvelle fois l’inaction d’aujourd’hui et la non-poursuite des objectifs de réduction.
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