« Tu redeviendras poussière », où comment, par recherche de sens ou peut-être pour accorder ses dernières volontés à un mode de vie qui se veut aussi respectueux de la nature que possible, l’entreprise Recompose Life, aux Etats-Unis, a mis au point un processus mortuaire qui transforme la dépouille du défunt en compost. Explications.
Cela fait 10 ans que Katrina Spade met au point son projet : pouvoir transformer complètement et éthiquement les corps des personnes qui nous ont quitté en compost 100% utilisable. Après avoir monté son projet de toute pièce, son entreprise Recompose s’est lancée du côté de Seattle, aux Etats-Unis.
« Malgré quelques difficultés dues au Covid, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait une vraie demande. » s’exprime la responsable communication Anna Swenson. Les gens sont en recherche de sens, à donner à leur vie, mais aussi à ce qu’il advient après.
Comment ça marche ?
Recompose nous explique le processus via quelques postes sur les réseaux sociaux. Le corps du défunt est d’abord placé dans une sorte de chambre hexagonale, presque semblable à un tube de scanner, qui sert en fait de « serre ». On ajoute avec lui des copeaux de bois, du paillis, de la luzerne. A ce moment les proches sont libres d’assister à la cérémonie ou non, tout comme lors d’une incinération.
Ce « tombeau-serre » temporaire sert de demeure au corps durant environ un mois, pendant lequel la dépouille est portée à une chaleur optimale, avec en plus de la composition naturelle, de l’eau, de l’oxygène et de l’azote. Un mois, c’est ce qu’il faut pour que les bactéries fassent le travail de décomposition.
Résulte à la suite de ces 30 jours environ 1 mètre cube de « terreau », qui est mis à sécher pour deux à trois semaines. Ensuite, le compost est remis dans une urne à la famille, si elle souhaite en faire usage de façon naturelle, en plantant par exemple, ou bien léguée à un projet écologique, comme à la Bells Mountain, une forêt entièrement replantée qui s’étend sur un territoire de non-profit commercial de 280 hectares environ (700 acres) dans le sud de Washington.
Les cimetières surchargés…
Le projet Recompose s’accorde avec un problème que nos sociétés rencontrent depuis quelques temps : nos cimetières sont surchargés. Les gens meurent plus vite ? Loin de là, justement : des observations durant cette dernière décennie ont révélé que, à cause en partie de notre alimentation et de la consommation de conservateurs, les corps se décomposaient plus lentement, trop lentement…
Le fonctionnement d’un cimetière est assez simple : on enterre un corps, dans un cercueil, à une place. Au fil du temps, la dépouille va se décomposer et s’enfoncer naturellement dans la terre, jusqu’à ce qu’elle soit suffisamment « effacée » pour qu’on puisse enterrer un nouveau corps au-dessus. Mais voilà : alors qu’avant il fallait environ une grosse dizaine d’années au corps pour se décomposer, il faut maintenant… plus de quarante ans !
« “Les corps mis en terre il y a trente ans ont l’air d’avoir été inhumés la semaine dernière […] “C’est comme s’ils avaient mariné dans des produits conservateurs.”
C’est ce que déclarait Walter Müller, un entrepreneur des pompes funèbres de Berlin chez Courrier International. Le problème de surcharge des cimetières touche particulièrement l’Allemagne, la France, l’Autriche et la Suisse, allant au point parfois, comme à Cologne, Munich ou Kiel, où les cimetières sont contraints de refuser de nouvelles inhumations, faute de place. Un phénomène difficilement vécu par les familles endeuillées, qui doivent soit recourir à l’incinération par défaut, ou bien déplacer la dépouille dans une autre commune.
Des biologistes et entrepreneurs des pompes funèbres se sont réunis pour trouver les causes et solutions à ce problème lors d’une conférence à Hambourg, en Allemagne, en 2003. Pour les scientifiques, les causes possibles de cette longue conservation des corps pourraient être : les habitudes alimentaires, et notamment la consommation de conservateurs.
Mais est aussi avancée l’hypothèse de l’absence de bactéries nécessaires à la décomposition des corps dans les sols, à cause de la pollution de ces derniers (traitements chimiques, déchets, eaux polluées…). Enfin est avancée l’hypothèse des processus utilisés lors de la thanatopraxie, où, en éliminant les fluides du défunt par des produits à base de formol, le processus de décomposition naturelle serait ralenti. De même, les cercueils beaucoup plus robustes qu’avant et surtout plus hermétiques à l’air et l’eau pourraient aussi être en cause. Cependant, ces hypothèses nécessitent encore d’être confirmées et admises par d’autres corps de la science.
Alors que les services funéraires avancent quelques solutions comme le retour des caveaux ou de cercueils plus dégradables, le projet Recompose apparaît comme opportun. Retourner à la terre, peut-être la façon la plus évidente pour associer sa mort à ses choix de vie et donner un sens à notre existence.
Cependant ce choix est toujours illégal ici. En France et en Belgique, une pétition circule, lancée par Robert Morez, un spécialiste de l’agriculture raisonnée. « J’ai 84 ans et je ne pourrai pas profiter de ce mode de sépulture en France de mon vivant, si je puis dire » s’exprime auprès du Parisien. Pourtant, l’humusation, comme on l’appelle ici, est une pratique dont la demande augmente. Dans l’idée, il ne s’agirait pas de « serre-tombeau » comme dans l’entreprise Recompose Life, mais d’une solution plus simple. Le processus envisagé est plus long — il faut compter 1 an au lieu d’1 mois ! — mais aussi moins coûteux : la dépouille est tout simplement confiée à un « cimetière d’humusation », sur une place d’environ 6m2, et enterrée sans préparation sous un lit végétal entièrement dédié à sa décomposition naturelle. Au bout d’un an, la famille obtient aussi environ 1 mètre cube de terre fertile.
Une idée qui, pour Tanguy Chatel, sociologue spécialiste du funéraire, pourrait faire son petit bonhomme de chemin : « Il y a cinquante ans, la crémation semblait une hérésie. Aujourd’hui, elle a dépassé l’inhumation dans les souhaits des vivants ». Cependant, il ne s’attend pas à ce que l’idée explose non-plus : « L’idée de pourrissement des corps va constituer un frein, analyse-t-il auprès du Parisien. Retourner à la terre, c’est romantique dans l’idée, mais pas tant que ça quand on pense décomposition. »
En France, seuls deux modes de sépulture sont autorisés par la loi : l’inhumation et la crémation. Sollicité par une sénatrice en 2016 sur la question de l’humusation, le ministère de l’Intérieur avait considéré que la pratique « posait des questions de compatibilité avec le Code civil ». Le texte indique que les restes des personnes décédées doivent être traitées avec « respect, dignité et décence ». A contrario, Robert Morez, dans sa pétition, met en avant la liberté de choix du défunt, mais aussi les bienfaits écologiques de l’humusation : contrairement à la crémation et l’inhumation, l’humusation ne recourt pas aux énergies fossiles, préserve la qualité des eaux et s’inscrit dans une volonté de régénération des sols.
– Moro
Sources : https://www.vice.com/en/article/93wmd5/the-first-us-funeral-home-that-turns-bodies-into-compost-is-now-open?utm_content=1620039610&utm_medium=social&utm_source=VICE_facebook&fbclid=IwAR2Umh_Jtyh0qrifEKWvdkXfaMo3Ma1ng1q07ysI4uQJMB8dlM5ZE-VO84I