Entre les voyages à l’autre bout du monde, les haul de vêtements interminables, les dernières tendances cosmétiques livrées à domicile ou les hôtels de luxe tout frais payés, la vie d’un influenceur a de quoi nous faire rêver… ou pas ! Le mode du vie ultra-consumériste que la majorité des influenceurs exposent aujourd’hui sur les réseaux sociaux apparaît de plus en plus comme une aberration écologique et sociale. En dénonçant ses dérives et en appelant à une transition urgente du secteur, Paye ton Influence (PTI) donne un coup de pied bien senti dans la fourmilière très agencée du monde de l’influence.
Le secteur de l’influence se porte plutôt bien et il ne semble pas près de s’essouffler. Pesant déjà plus de 14 millards de dollars selon une étude de publiée par Kolsquare en 2021, le modèle est simple : plus vous consommez, plus ils gagnent de l’argent, plus ils vous donnent envie de consommer.
Réseaux sociaux : spirale infernale de la consommation
Cette spirale infernale s’avère dévastatrice, autant pour la planète que pour votre portefeuille et votre santé mentale. Alors que les placements de produits plus ou moins déclarés s’enchainent, les concours aux prix toujours plus fabuleux – des vacances à Dubaï ou 5000 € de bons d’achat dans une enseigne de fast fashion – défilent sur votre fil d’actualités. Résultat : achats compulsifs, comparaisons inopportunes et frustrations continues deviennent les maîtres-mots des réseaux sociaux.
Et ça, ils l’ont bien compris. « Ils » ? Les influenceurs, certes. Mais aussi leurs agences et les marques qui sont prêtes à tout pour atteindre leur cible. Alors, qui de mieux qu’une personne que vous voyez tous les jours, qui se confie à vous et qui partage le moindre détail de sa vie pour vous certifier que ce produit est celui qu’il vous faut ?
Une surenchère continue pour exister
L’instantanéité des réseaux sociaux exige toutefois un constant renouvellement de l’offre. Place alors à la surenchère : pour conserver sa fan base, il faudra s’enquérir de s’afficher au fait des dernières tendances vestimentaires, de proposer des codes promos toujours plus avantageux et de faire rêver son audience avec une vie de magazine. Les profils lifestyle pullulent sur les réseaux, notamment sur Instagram, entretenant le mythe de la société capitaliste : achetez-vous le dernier pull à la mode ou la dernière paire d’écouteurs high tech et tout ira (enfin) mieux.
L’histoire avait pourtant si bien commencé… Mais voilà, tandis que les haul* Shein à répétition exposent avec mépris les dégâts de l’hyper fast fashion, de plus en plus de personnes optent pour des vêtements de seconde main. Les impacts de la crise écologique et sociale que nous traversons viennent fissurer le parfait modèle du marketing d’influence.
* Un haul est une vidéo présentant les achats d’une session de shopping
Un décalage qui se fait sentir
Pour Amélie Deloche, fondatrice du collectif Paye ton Influence, « lorsque l’on commence à comprendre l’ampleur du défi climatique, on constate d’autant plus rapidement le fossé qu’il peut y avoir entre ce que l’on voit sur les réseaux sociaux, ce qui est promu en termes d’imaginaires et ce qu’il se passe dans le monde en termes d’enjeux climatiques ».
Il y a trois ans, la jeune diplômée d’une école de management de la transition écologique s’investit au sein du collectif Pour un réveil écologique. C’est là qu’elle rencontre ses futurs partenaires. Ils lanceront ensemble un compte Instagram intitulé « Paye ton Influence », en résonance avec le compte « Paye ta Shnek » qui recueillait de 2012 à 2019 les témoignages de femmes victimes de harcèlement de rue.
Ici, l’idée n’est pas de dénoncer les machistes et agresseurs, mais plutôt les dérives de l’industrie de l’influence.
« Nous avons fait le constat que la grande majorité des influenceurs, ceux notamment ayant les plus larges audiences, continuent à vanter des modes de vie et de consommation à rebours des enjeux climatiques et qu’ils normalisent et alimentent un imaginaire de la surconsommation complètement dépassé », déclare Amélie Deloche à Mr Mondialisation.
« Les influenceurs font aussi partie de la solution »
Si aujourd’hui l’équipe ne compte plus que deux de ses membres – Amélie Deloche et Carla Monzali – le combat ne s’arrête pas. À coups de posts, de live ou de commentaires mordants, les deux femmes alertent, informent et sensibilisent le monde des réseaux sociaux sur les enjeux climatiques et leur responsabilité.
Pour Amélie Deloche, nul besoin de se faire des ennemis, les influenceurs font autant partie du problème que de la solution. « Pour certains, ils sont suivis par des centaines de millier voire des millions de personnes, ils ont ainsi le pouvoir de dicter les comportements de masse, ce qui est tendance, ce qui ne l’est pas ».
Alors certes, « ils retardent la prise de conscience et l’engagement de toute une génération, notamment les 15-35 qui sont pour 80% à être présents sur les réseaux sociaux » mais « grâce justement à leur influence, à leur large communauté, ils pourraient être des acteurs dans la transition écologique en sensibilisant à grande échelle sur des modes de vie plus sobres », estime la co-fondatrice du collectif.
(R)éveiller les consciences
Pour qu’une réelle transition de l’influence puisse voir le jour, il faut avant tout passer par l’information. Car si les influenceurs jouissent d’un statut privilégié sur les réseaux, « ils sont finalement représentatifs d’une majorité de la population », estime Amélie Deloche, « ils ne sont pas formés aux enjeux climatiques et leurs répercussions, aux ordres de grandeurs, à l’impact environnemental et social de ce qu’ils promeuvent ».
Malheureusement, il ne suffira pas d’expliquer à certains d’entre eux que leurs habitudes sont délétères pour la planète pour voir le monde de l’influence transitionner vers des pratiques éthiques et écologiquement responsables, leur business modèle étant intrinsèquement lié aux dérives d’une société de surconsommation. « Nous sommes tout à fait conscientes qu’ils ne peuvent pas arrêter leur activité du jour au lendemain mais nous pensons qu’il existe des marges de manœuvre faciles à mettre en place pour d’autant plus inclure les enjeux écologiques dans leurs contenus », défend tout de même Paye ton Influence, qui met à disposition des influenceurs des outils pour exercer leur métier dans des conditions plus responsables.
Une influence vertueuse est-elle possible ?
Si au début de la création de leur compte le collectif avait du mal à atteindre sa cible, aujourd’hui le dialogue « s’ouvre plus facilement », nous confie celle qui est récemment intervenue auprès d’une agence parisienne pour décrypter les impacts environnementaux des activité d’influence. « Beaucoup commencent à comprendre que l’audience à de nouvelles attentes envers eux au niveau climatique et qu’ils ne peuvent plus ignorer le problème ».
Même le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime que « les influenceurs et les leaders d’opinion peuvent favoriser l’adoption de technologies, de comportements et de modes de vie à faible émission de carbone », peut-on lire dans son dernier rapport.
Les deux militantes décident donc de croire au possible d’une influence vertueuse : « ils ont le pouvoir de faire émerger des comportements collectifs qui s’inscrivent dans la transition écologique, de montrer l’exemple et d’être des leviers dans l’adoption de modes de vie plus sobre. Ils peuvent ainsi pousser toute une génération à s’engager et prendre conscience de l’urgence d’agir », espère la fondatrice de Paye ton Influence, qui félicite notamment la youtubeuse franco-américaine Sandrea, récemment repentie de la fast fashion, ou encore EnjoyPhoenix qui avait appelé les marques à ne plus lui envoyer de colis intempestifs.
Elle assure tout de même que, malgré le poids des transitions individuelles, un encadrement législatif du secteur qui est à ce jour « totalement dérégulé » serait assurément bénéfique.
– Propos recueillis par L. Aendekerk