Dans la lutte contre le racisme, l’interculturalité représente une posture qu’il est nécessaire d’affirmer pour construire une société plus inclusive. Mariana Hanssen, avocate assistante de projets à Elan Interculturel et Hugo Arruda, consultant chez Élan Interculturel font le point sur la question.
Un jour de semaine, en février dernier. Une dame asiatique portant un masque de protection monte dans le métro parisien. Elle s’assoit. Une femme assise en face d’elle lui lance un regard accusateur, se lève et va s’assoir au fond du wagon. Quelques semaines plus tard, selon la presse, deux enfants d’origine chinoise subissent le harcèlement de leurs camarades de classe dans une école en périphérie de la ville. Leur père explique : « Des élèves s’approchent d’eux en faisant semblant d’avoir peur, puis partent en courant. Des camarades ne veulent plus leur parler. ». » Le premier de ces deux évènements montre bien comment les stéréotypes et préjugés fonctionnent de manière pernicieuse. Le deuxième met au jour les discriminations et les dommages réels auxquels les préjugés conduisent. L’épidémie de Covid-19 a non seulement marqué la nécessité de prendre des mesures sanitaires, elle a aussi montré comment la peur généralisée puise dans les préjugés et conduit à des formes de discriminations. Si aucune solution toute faite répondant à cette problématique n’existe, nous sommes convaincu•e•s que l’interculturalité représente une manière de la traiter.
Le 21 mars 2020 marqua la 44ème journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale. Cette journée prend ses sources en 1960, lorsque la police sud-africaine tua 69 personnes, en blessant 300 autres lors d’une manifestation pacifique contre les lois de l’apartheid. Les luttes contre le racisme ont progressivement permis d’identifier de multiples formes d’oppression qui se manifestent aujourd’hui : ethnique, religieuse, genrée, sexuelle, entre autres. Dans notre pays d’origine, le Brésil, la Cour Suprême a établi, dans le cadre de lois existantes criminalisant le racisme, que l’homophobie était une atteinte à l’encontre des droits et de la dignité des personnes LGBT. Ici en France, la législation interdit et punit le racisme, défini comme un tort fait à une ou des personnes en raison de leur ethnicité, nationalité et religion perçues ou réelles, et se manifestant sous la forme d’injures, de propos diffamatoires, de discriminations ou d’agressions physiques. Le racisme est un phénomène complexe et se manifeste de nombreuses manières, et quand bien même il est souvent lié à la discrimination, la loi distingue les deux.
La discrimination est définie comme le fait d’avantager ou désavantager des individus en raison de traits caractéristiques ou de leurs choix personnels. Elle est souvent la conséquence directe d’un préjugé négatif. À l’ère des réseaux sociaux, elle s’affirme de manière évidente : une étude du HateLab Project de l’Université de Cardiff a montré que la propagation de discours de haine conduit à davantage de crimes à l’encontre des minorités. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a défini les discours de haine comme « toutes formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de haine fondées sur l’intolérance, y compris l’intolérance qui s’exprime sous forme de nationalisme agressif et d’ethnocentrisme, de discrimination et d’hostilité à l’encontre des minorités, des immigrés et des personnes issues de l’immigration.»
S’il est nécessaire que la lutte contre les discriminations et les violences racistes constitue une priorité gouvernementale, elle doit aller bien au-delà de la légifération et du maintien de l’ordre. Des actions sociales visant à comprendre les stéréotypes, à combattre les préjugés et la propagation des discours de haine qui renforcent la discrimination raciale doivent également être entreprises, par exemple à un stade précoce de l’éducation, de manière à construire des générations pour qui l’égalité doit être appliquée peu importe la couleur de peau, l’accent, l’origine ou la religion. Ainsi, l’affirmation de récits positifs concernant les migrations et la diversité devrait être encouragée dans les instances éducatives et les médias.
Chez Élan Interculturel par exemple, nous développons des outils d’éducation informelle permettant de favoriser le dialogue interculturel et valoriser la diversité. L’interculturalité, comme l’UNESCO la définit, renvoie aux interactions entre diverses cultures qui rendent possibles la création de formes culturelles partagées à travers le dialogue et le respect mutuel. Dans les projets de notre association, nous rencontrons de nombreuses situations de « chocs culturels », qui en réalité sont vécus fréquemment par de nombreuses personnes au quotidien. Or, si ceux-ci ne sont pas discutés, nous sommes convaincu•e•s qu’ils peuvent alimenter des discours de haine et potentiellement conduire à des actes racistes et discriminatoires.
Les chocs culturels sont souvent le résultat d’une méconnaissance, de préconceptions, ou d’erreurs d’interprétation. Dans l’un des cas que nous avons traités, une femme française voyageant en Finlande discute avec une locale. Elles évoquent la thématique des migrations, et l’interlocutrice finlandaise déclare « Es-tu passée par la gare ? Il y a beaucoup de migrants. Fais attention à toi, ils viennent ici pour violer nos filles. » La femme finlandaise distingue clairement la femme française, version humanisée de la migrante, des autres migrants qui sont à la gare ; cette déclaration a choqué la Française.
Dans notre travail, nous tentons, à partir de ce type de situations de chocs, d’ouvrir des pistes de négociations à travers lesquelles nous promouvons la prise de recul par rapport à ses propres cadres de référence culturels et à ceux des autres. Il ne s’agit bien entendu pas de relativiser les différentes formes d’oppressions et de nier les relations de pouvoir qui structurent la société, mais plutôt de développer notre capacité à ne pas voir notre culture particulière comme la norme (le terme de culture étant ici envisagé au sens large, comme le résultat de notre parcours social, économique, religieux, etc). Ainsi, penser en termes d’interculturalité permet de valoriser profondément la diversité culturelle et construire des sociétés culturellement non-hiérarchiques.
Le projet Erasmus+ Migreat!, que nous réalisons avec des partenaires européens, s’inscrit dans une telle perspective, en s’attachant à promouvoir des discours alternatifs sur les migrations à travers l’utilisation d’outils inspirés par l’éducation populaire de Paulo Freire, le théâtre-forum d’Augusto Boal, l’organisation communautaire de Saul Alinsky, et la méthode des incidents critiques de Margalit Cohen-Emerique. Nous développons un manuel, des créations visuelles et des scripts théâtraux pour donner des outils aux éducateurs, activistes et décideurs politiques européens qui souhaiteraient proposer des discours alternatifs sur la migration. C’est un exemple de projet qui met en place un changement systémique à travers une approche interculturelle marquée par un décentrement et une réflexion collective qui vise à modifier des représentations négativement stéréotypées.
Si la discrimination raciale doit être traitée de manière structurelle et non seulement à l’échelle individuelle, les discours de haine, qui sont aussi responsables de son renforcement, devraient être contrés non pas en masquant des voix, mais en engageant une véritable discussion avec les responsables politiques et médiatiques et en permettant aux discours alternatifs de se développer. Si le multiculturalisme implique une coexistence de fait de la diversité, l’interculturalité vise à créer quelque chose de nouveau à travers des échanges culturels. Bien entendu, une approche interculturelle n’est pas à elle seule suffisante pour transformer totalement la société, mais il est certain qu’elle représente un outil majeur pour engager une lutte politique dont le positionnement éthique fait de la diversité une ressource et non une menace issue de préjugés.
Les auteurs :
Mariana Hanssen, avocate avec un Master en Politiques Publiques et Développement à Paris Descartes, est assistante de projets à Elan Interculturel
Hugo Arruda, diplômé de l’école d’affaires publique de Sciences Po Paris, est consultant chez Élan Interculturel
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