Dans son livre Émanciper le travail, Bernard Friot explique comment, selon lui, nous pouvons sortir du capitalisme et du chantage à l’emploi grâce au concept de salaire à vie. Basé entre autres sur la socialisation du salaire, sur l’appartenance des entreprises aux salariés, sur la fin des prêts bancaires et du profit et sur la mise en place d’un salaire maximum, ce nouveau système entend refondre totalement le système économique afin de permettre à tous les citoyens d’avoir un salaire et un niveau de vie décent, mettant un terme au chantage à l’emploi et à l’insécurité sociale qu’il implique. A découvrir.
Un concept novateur : le salaire à vie
Regroupant des entretiens réalisés avec Patrick Zech, le nouveau livre de Bernard Friot, professeur d’économie et sociologue, explique en détails son projet novateur de salaire à vie. Le but ? Émanciper l’individu du chantage à l’emploi en déconditionnant l’accès au salaire à l’obligation de travailler. Apportant de profonds changements dans le système économique et bancaire, ce projet prévoit de replacer le travail au-dessus du capital et de considérer tout travailleur, qu’il ait un « emploi » ou non, comme producteur de richesses. Tout citoyen âgé de plus de 18 ans atteindrait donc la « majorité économique » et se verrait attribuer à ce titre un salaire à vie, qui pourra être revu (uniquement) à la hausse grâce à un système de qualifications.
L’enjeu du salaire, c’est la possibilité de sortir du capitalisme. Non pas de le contenir, non pas de bouger le curseur de la répartition de la valeur ajoutée en faveur du salaire et au détriment du profit, mais de se passer des capitalistes, d’affecter toute la valeur ajoutée au salaire, y compris la part qui doit aller à l’investissement. Nous n’avons besoin pour travailler ni d’employeurs, ni d’actionnaires, ni de prêteurs.
– Bernard Friot
Ce projet étonnant est accompagné de propositions concrètes nécessaires à sa mise en œuvre : mise en place d’une échelle de salaire, copropriété d’usage de tous les outils de travail par les salariés, remplacement du crédit bancaire par une cotisation investissement, fin du profit et des dividendes… En résumé, toute la valeur ajoutée produite par une entreprise servirait à financer les salaires, la recherche, l’investissement et la sécurité sociale, sans laisser de place au profit pur, source de beaucoup de maux d’après l’auteur (licenciements boursiers, baisse de la R&D, dividendes, paradis fiscaux, spéculation, esclavage moderne…). Un modèle qui rappelle celui déjà existant des coopératives, qui réinvestissent statutairement leurs bénéfices plutôt que les placer dans des comptes off-shore.
M. Friot explique que ce nouveau système serait basé sur deux piliers : la cotisation et la qualification. Cette dernière, propre à chaque salarié, permettrait de définir son niveau de salaire, avec comme premier échelon le travailleur « non actif ». Différents critères influeraient sur la qualification et donc le salaire : ancienneté, pénibilité, diplômes… Un système qui, par définition, souhaite mettre un terme à l’emploi (et donc au chômage) ainsi qu’à tous les problèmes qu’il pose : précarité, insécurité sociale, pressions psychologiques, chantage à l’emploi, peur du licenciement, etc.
Des bonnes idées et des questionnements
Ce fonctionnement n’est pas à confondre avec d’autres systèmes essayés – de manière autoritaire – au siècle dernier, dans lesquels les salaires étaient identiques, la propriété privée abolie et les entreprises toutes nationalisées. Ce projet propose non que les entreprises appartiennent à l’État, mais qu’elles appartiennent au contraire aux travailleurs qui la composent, chacun étant investi et ayant son mot à dire sur son fonctionnement. L’idée étant que les entreprises puissent se consacrer entièrement à leur activité réelle, à la recherche, au bien commun, indépendamment de la recherche de profit. Ce qui semble marqué au coin du bon sens, à l’heure où la majorité de la richesse produite s’évapore dans les paradis fiscaux ou dans les mains des plus riches.
Plusieurs idées apportées par M. Friot apparaissent régulièrement chez Mr Mondialisation : coopération, séparation travail / emploi, revenu inconditionnel, gratuité, mise au pas de la finance, protection sociale pour le plus grand nombre, juste répartition des richesses, etc.
Cependant, cette refonte totale du fonctionnement économique amène plusieurs questions : quid des travailleurs indépendants et des artisans ? peut-on réellement, en pratique, mettre en place un tel système ou faut-il seulement en « piocher » certaines idées ? comment faire passer un tel projet dans la loi, à l’heure où le libéralisme est ultra-dominant ? peut-on mettre en place de tels changements à l’échelle d’un pays dans une économie mondialisée ? A vous de juger. En tous cas, les idées ont le mérite d’être avancées et débattues.
Le modèle capitaliste du travail conduit à notre perte : il est urgent de prendre la mesure des dynamiques porteuses d’émancipation.
Bernard Friot, dans ces entretiens, décrit le conflit social depuis 1945 comme un affrontement entre deux façons contradictoires d’attribuer une valeur économique au travail. Pour le capital, seul un travail soumis aux propriétaires lucratifs et au marché du travail produit de la valeur. Mais les luttes syndicales et les initiatives populaires ont institué au contraire, grâce à la socialisation du salaire, une reconnaissance du travail tout autre, fondée sur le salaire à vie, sur la propriété d’usage des entreprises par les salariés, sur un investissement libéré des prêteurs, sur une autre mesure de la valeur que le temps. Cet ouvrage nous montre comment nous inventons, depuis plus de 60 ans, un travail libéré de l’emprise capitaliste.
– Patrick Zech
Sources : reseau-salariat.info / slate.fr