Le 25 octobre, plusieurs centaines de personnes ont manifesté dans la Creuse pour réclamer « l’éradication du loup ». Des discours d’une violence symbolique rare, dans un climat où la peur supplante la raison. Alors que le loup vient d’être déclassé de la liste des espèces strictement protégées, cette hostilité menace bien plus qu’un animal : elle menace l’équilibre du vivant.
Le loup, comme d’autres espèces sauvages, est aujourd’hui un bouc émissaire d’un système agricole fragilisé et d’un rapport dominateur à la faune et la flore. En France, les éleveurs auront bientôt le droit de tuer des loups sans autorisation préalable, un basculement majeur qui légitime la destruction immédiate d’un animal protégé.
Pourtant, nombre d’études scientifiques convergent vers le même constat : tuer les loups ne protège pas les troupeaux, cela aggrave paradoxalement les attaques. Des mesures préventives efficaces existent et sont en grande partie soutenues par l’État. Dans plusieurs pays européens, des éleveurs ont choisi la cohabitation qui, bien qu’elle demande des efforts et de l’organisation, fonctionne.
Une peur instrumentalisée, sans fondement
Le vendredi 25 octobre, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées dans la Creuse, militant pour l’éradication du loup. Ce regroupement marque un point culminant dans une spirale de peur, d’hostilité et de violence symbolique dirigée contre le Loup gris (Canis lupus) : l’animal n’est plus seulement perçu comme un élément de la nature sauvage, mais comme un adversaire à éliminer.
Cette manifestation n’apparaît pas comme un simple incident local isolé : elle s’inscrit dans un climat plus large où l’animal prédateur devient bouc émissaire de la fragilité de certaines filières d’élevage, de l’incertitude économique des territoires ruraux, et d’une méfiance profonde envers ce que représente le loup – la nature qui reprend des droits que l’humain lui a arrachés, l’espace non-contrôlé, l’altérité.
L’enjeu est bien plus grand que la simple gestion d’une espèce : c’est tout un imaginaire collectif de la campagne, de la ruralité, de la nature et de l’agriculture qui est traversé. Quand on revendique l’éradication d’un animal, on revendique aussi une emprise totale sur les terres, la négation de la prédation naturelle, et la récusation du sauvage. Cette posture nie la complexité écologique et se fait l’écho d’une vision triomphante et destructrice de l’être humain sur la nature.
Il est primordial de noter ici qu’en dépit des discours alimentant la peur, plus de loups ne signifie pas plus de victimes dans les troupeaux. Entre 2018 et 2023, les populations de loups ont augmenté de 93 %. Sur la même période, la prédation a diminué de 13 %. Cette aversion pour le loup n’a ainsi aucun fondement logique.
Déclassement du loup : un recul pour l’équilibre écologique
Le 5 juin dernier, le Conseil de l’Union européenne a définitivement approuvé le déclassement du loup, celui-ci passant du statut d’« espèce strictement protégée » à celui d’« espèce protégée ». Un changement attendu depuis longtemps par certains acteurs de l’agropastoralisme.
Mais du côté des associations de protection de la nature, cette rétrogradation est qualifiée de choix politique démagogique qui n’apporte aucune solution aux véritables problématiques – bien au contraire – et fragilise l’espèce dans un contexte où ses populations ne sont pas encore stabilisées.
En abaissant le niveau de protection, l’État se dote de marges pour augmenter les prélèvements ou les tirs de défense contre le loup, ce qui affaiblit sa capacité à jouer son rôle écologique. Le changement de statut ne règle pas les causes premières des attaques (troupeaux non protégés, modalités d’élevage, manque d’accompagnement technique), mais ouvre une voie facile à la destruction plutôt qu’à la cohabitation. Il établit un dangereux précédent : si une espèce emblématique comme le loup peut être rétrogradée, qu’en sera-t-il pour d’autres espèces protégées ?
Ce déclassement est moins une réponse aux réalités biologiques que le reflet d’un compromis politique face à la pression d’une partie du monde agricole. Une décision qui revient à dégainer le fusil avant même d’avoir exploré les protections possibles. Toutefois, certains pays européens ont refusé le déclassement du loup sur leur territoire, mettant en lumière le non-sens de cette mesure.

L’État français « ouvre la chasse au loup »
À compter de 2026, la France permettra aux éleveurs de tirer sans autorisation préalable sur un loup attaquant leur troupeau. Cette mesure, présentée comme un « assouplissement » du dispositif de défense, constitue un tournant historique : elle légitime les tirs non contrôlés, sans expertise sur la réalité de l’attaque. Une telle dérégulation ouvre la porte à des abus, à des erreurs d’identification (nombre d’attaques étant le fait de chiens divagants), et banalise la violence envers la faune sauvage.
Bien que la mesure ne soit pas encore appliquée, les effets de cette radicalisation sont déjà visibles : dans la Drôme, deux loups ont été tués par des éleveurs en deux jours, les 21 et 22 octobre 2025. Ces abattages, salués par certains élus locaux, témoignent d’une escalade de la violence qui dépasse la simple légitime défense : c’est une guerre ouverte contre la vie sauvage, encouragée par la complaisance politique.
Ainsi, la peur du loup, d’abord émotionnelle et irrationnelle, devient politique ; la méfiance se transforme en doctrine d’éradication. La question n’est plus seulement de savoir comment protéger les troupeaux, mais jusqu’où notre société est prête à aller pour affirmer sa domination sur la nature.
Ce que dit la science : tuer les loups aggrave les attaques
Plusieurs travaux scientifiques convergent vers la même conclusion : les prélèvements létaux sur des populations de loups n’entraînent pas mécaniquement une baisse des déprédations sur le bétail – et peuvent au contraire les augmenter. Des modèles récents et des synthèses montrent que l’élimination de certains individus désorganise la structure sociale des meutes, modifie les territoires et favorise des phénomènes (jeunes dispersés, pairs moins expérimentés) qui augmentent le risque de contact avec du bétail.
Ces études ne sont pas anecdotiques : elles mettent en garde contre une stratégie de « solution rapide » consistant à supprimer des individus plutôt qu’à travailler sur la prévention et les mesures de protection qui fonctionnent réellement pour diminuer les attaques.
Le loup est un animal social dont la chasse et le comportement envers le gibier passent par des rôles et un apprentissage au sein de la meute. Quand on tue des individus clés (dominants, adultes expérimentés, louves reproductrices), on fragmente la société du groupe : les jeunes deviennent plus nombreux, moins encadrés, plus mobiles et plus enclins à explorer des zones périphériques où ils croisent des troupeaux faciles d’accès. Ce phénomène transforme une « prise » occasionnelle en un risque systémique, créant un cercle vicieux où la soi-disant solution alimente le problème.
Confusion entre attaques de loups et attaques de chiens
Sur le terrain, toutes les dépouilles ou indices ne permettent pas toujours d’identifier sans ambiguïté l’auteur d’une attaque. Ainsi, le nombre d’attaques sur les troupeaux attribué au loup est souvent largement surestimé car elles peuvent aussi être le fait de chiens en divagation.
Par ailleurs, les attaques des chiens divagants sont généralement plus graves que celles des loups et conduisent à la mort d’un nombre plus élevé d’ovins. Suite aux attaques, l’expertise est souvent insuffisante et les pressions politique et économique favorisent une interprétation « loup ».
Cette confusion a deux conséquences concrètes : elle alimente la stigmatisation du loup et fausse le calibrage des indemnisations et des mesures de prévention. Des systèmes d’expertise et d’indemnisation fiables, et applicables dans le cas d’attaques par des chiens, sont donc essentiels pour éviter les erreurs d’attribution et les récupérations politiques de ces événements. Si les difficultés rencontrées par les éleveurs sont bien réelles et doivent être prises en compte, ce n’est pas à la faune sauvage d’en payer le prix.
Des solutions existent et fonctionnent déjà
Il existe plusieurs méthodes éprouvées pour réduire les pertes : chiens de protection (patous) dressés et en nombre adapté, clôtures électrifiées et parcs de contention, gardiennage renforcé, accompagnement technique et diagnostics de vulnérabilité des élevages. Le recours aux patous est la méthode la plus documentée en Europe pour dissuader la prédation sans tuer l’animal sauvage. Il exige formation, entretien et accompagnement (et parfois gestion des conflits avec randonneurs). Une autre méthode, moins documentée, consiste à avoir recours à des ânes de protection qui semblent être d’excellents défenseurs des troupeaux, n’ayant pas peur de faire face au danger.
Le point clé : ces mesures de protection fonctionnent mieux combinées et avec un accompagnement technique adapté : il n’y a pas d’ « outil miracle » mais un ensemble de processus à activer selon le type d’exploitation et le territoire.
En France, un dispositif national d’aide finance tout ou partie de ces mesures – les dossiers pour 2025 étant ouverts et les types de dépenses éligibles (achat/entretien de chiens, clôtures, gardiennage, études, accompagnement technique) clairement référencés par l’État. Autrement dit : l’argent public existe pour aider la transition vers des systèmes protégés.
Les modalités (cercles de vulnérabilité, type de dépenses éligibles) sont précisées au niveau préfectoral ; plusieurs préfectures mettent à disposition des guides et simplifient les dépôts de dossier pour accélérer le versement. Bref : il existe un cadre administratif permettant de financer la plupart des mesures de prévention si les éleveurs s’en saisissent et si l’accompagnement technique est déployé.
Exemples de coexistence : l’Espagne comme cas instructif
Plusieurs zones d’Espagne notamment – où la présence du loup est ancienne et dense – montrent que la coexistence est tout à fait possible. Des pratiques d’élevage adaptées et l’acceptation d’une cohabitation réduisent fortement le conflit. Des bergers espagnols ont modernisé leurs pratiques (patous, rotations, rapprochement des bergeries la nuit, accompagnement technique) et travaillent parfois avec des ONG et autorités pour co-construire des solutions.
Ces exemples ne nient pas les difficultés (pertes réelles, fatigue du métier), mais ils prouvent que l’éradication n’est pas la solution. Les récits de bergers espagnols montrent une posture pragmatique et possible : protéger le cheptel tout en acceptant la présence d’un prédateur emblématique. À ce sujet vous pouvez (re)lire notre article « Amenaza, le film : comment cohabiter avec les loups ? ».
Des résultats de recherche soulignent que le loup évite en général les humains et les zones fréquentées : il n’est pas « audacieux » par nature vis-à-vis des humains sauf si des facteurs écologiques ou alimentaires le poussent à s’en approcher.
Cela signifie qu’investir dans des mesures qui réduisent les attractifs (restes alimentaires, moutons isolés, facilités d’accès nocturne) et qui augmentent la dissuasion humaine (présence, chiens, clôtures) restera le levier le plus fiable pour réduire les passations d’attaques. Autrement dit : la cohabitation est possible parce que le loup, s’il a le choix, évitera l’humain.
Le rôle écologique crucial du loup, mis à mal par la chasse humaine qui déséquilibre les écosystèmes
Le loup joue un rôle de régulateur clé dans les écosystèmes où il est présent. En tant que superprédateur, il contrôle les populations d’ongulés (cerfs, chevreuils, sangliers, chamois, etc.), empêchant leur surabondance. Sans lui, ces herbivores prolifèrent et exercent une pression excessive sur les forêts et les zones naturelles : jeunes pousses broutées, sols tassés, perte de régénération.
La chasse humaine, souvent présentée comme un substitut à la prédation, ne remplit pas le même rôle : elle cible les plus beaux spécimens ou les individus accessibles, tandis que le loup sélectionne les plus faibles, les malades, les jeunes, contribuant ainsi à la bonne santé génétique des populations proies. Sa présence redonne donc à la nature sa dynamique d’autorégulation, en réduisant le besoin d’intervention humaine constante.
Certains prétendent que la chasse suffit à réguler les populations d’ongulés : c’est faux. En France, les chiffres montrent que malgré plus d’un million de grands ongulés abattus chaque année, leurs effectifs n’ont cessé d’augmenter. Les populations de cervidés et de sangliers explosent, causant dégâts agricoles et appauvrissement écologique.
Pourquoi ? Parce que la chasse humaine ne remplace pas la régulation naturelle : les chasseurs prélèvent souvent les individus les plus robustes, laissent les jeunes se reproduire, et entretiennent artificiellement des densités élevées pour assurer la préservation du loisir non essentiel qu’est la chasse. Le loup, lui, cible les faibles et les malades : il agit comme un médecin de l’écosystème. Sa présence redonne à la nature sa dynamique d’autorégulation, en réduisant le besoin d’intervention humaine constante.
Sa présence contraint aussi les ongulés à modifier leur comportement, à se déplacer davantage, à éviter certaines zones – un phénomène appelé « écologie de la peur », bénéfique pour la régénération des forêts. Là où le loup est revenu, les forêts respirent à nouveau.
Yellowstone : quand le retour du loup restaure tout un écosystème
L’exemple du parc de Yellowstone, aux États-Unis, est devenu emblématique de ce qu’on appelle une cascade trophique. Réintroduits en 1995 après 70 ans d’absence, les loups ont peu à peu rééquilibré le milieu. Avant leur retour, les wapitis avaient proliféré, dévorant en masse la végétation environnante. Les rives s’érodaient, les castors avaient disparu faute de bois, les oiseaux nicheurs et les poissons déclinaient.
En régulant les populations de wapitis, les loups ont permis à la végétation de se régénérer. Les castors sont revenus, les zones humides se sont reformées, les oiseaux ont trouvé à nouveau refuge. Mieux encore : les rivières ont retrouvé leurs méandres naturels grâce à la stabilisation des berges par la végétation.
C’est une leçon écologique majeure : la disparition d’un seul grand prédateur peut dérégler tout un système, et son retour peut restaurer un équilibre que des décennies de gestion humaine n’avaient pas réussi à recréer.
Une alliance profonde : de la chasse préhistorique à la domestication
L’histoire du Loup gris et de l’humain est ancestrale, complexe, et marquée par la coopération autant que par la prédation. Bien avant l’agriculture, des groupes de chasseurs-cueilleurs et des canidés sauvages ont pu développer une relation d’entraide mutuelle : les loups, excellents pour traquer, épier, fatiguer la proie, les humains, ingénieux et capables de finition, pouvaient tirer profit d’une association souple. Des recherches récentes en cognition animale montrent que les loups possèdent des aptitudes de coopération déjà fortes, ce qui rend plausible ce type de liens préhistoriques.
Dans ce contexte, la domestication du chien n’apparaît pas comme une rupture brutale, mais comme la cristallisation d’un partenariat ancien : des loups « intéressés » à s’approcher des camps humains (pour les restes, la protection, les territoires ouverts) ont graduellement été intégrés, donnant naissance à ce compagnon fidèle que nous connaissons. Ce panorama historique permet de comprendre que le loup n’a pas été pas seulement considéré comme un adversaire, mais aussi et surtout un incroyable partenaire notre histoire.
Cohabiter plutôt que détruire : protéger le loup, c’est protéger la vie sur Terre
Il est essentiel de le rappeler : la cohabitation avec le loup n’est pas simple. Les pertes réelles subies par certains éleveurs représentent un traumatisme économique et émotionnel. Mais ces souffrances ne justifient pas une politique d’éradication, inefficace et écologiquement désastreuse. Les solutions de protection, bien qu’imparfaites, fonctionnent lorsqu’elles sont accompagnées, financées, et adaptées aux réalités locales.
Il faut soutenir les éleveurs dans cette transition, pas les enfermer dans la peur. En Espagne, en Italie, en Roumanie, la cohabitation n’est pas toujours facile mais elle est loin d’être impossible : elle repose sur la connaissance, la prévention, et une vision de long terme. En France aussi, certains éleveurs et bergers choisissent l’adaptation et l’acceptation du loup, plutôt que son extermination.
La violence dirigée contre le loup est le miroir de notre rapport au vivant. La volonté de tout maîtriser : les forêts, les cours d’eau, les saisons, les animaux. Or, chaque fois qu’une espèce est détruite, c’est la destruction d’un maillon essentiel du filet de la vie.
Le rapport destructeur à la nature conduit l’humanité à sa perte
Le loup, en réalité, ne menace pas l’humain : c’est l’humain qui menace le vivant, dont il fait pourtant lui-même partie, n’en déplaise aux suprémacistes. Cette volonté d’éradication traduit une peur plus profonde – celle de perdre le contrôle, celle de devoir partager l’espace avec d’autres formes de vie. Pourtant, cohabiter, c’est simplement reconnaître que nous ne sommes pas seuls ici.
Protéger le loup, ce n’est pas défendre un symbole romantique de la nature sauvage ; c’est défendre l’équilibre des écosystèmes dont nous dépendons. C’est préserver les forêts, les sols, les rivières, les insectes et tout ce qui rend la vie possible sur cette planète.
Si nous voulons un futur vivable, il nous faut réapprendre la modestie : accepter que la nature n’a pas besoin d’être dominée, mais comprise. Les loups ne sont pas des ennemis ; ils sont des garants silencieux de la santé du monde vivant. Et si nous sommes encore capables de les voir, de les écouter, et de les protéger, alors peut-être qu’il n’est pas trop tard – pour eux, comme pour nous.
– Elena Meilune
Photographie d’en-tête : Image libre de droits – Pickpik















