L’éthique animale, abordée sous un angle et un support original, c’est la proposition du manga de Ani-Eshi Project : « L’éthique animale, parlons-en ! » En conviant des principes de philosophie pour aborder les questions – souvent clivantes – de la cause animale, cet ouvrage se veut être un support accessible à un large public.
Le propos de « L’éthique animale, parlons-en ! » prend la forme d’échanges (un par chapitre thématique) entre trois personnages : Annie, Luc et Mari.
Un manga à trois voix
Annie, vétérinaire et professeur de philosophie est chargée de dispenser un cours d’éthique animale à Luc et Mari, deux adolescents. Si Mari est végane et déjà au fait de certains concepts comme le spécisme, Luc, au contraire, incarne l’individu « lambda » dont la réflexion n’a pas eu l’occasion de s’affiner.
Cette mise en situation d’un professeur et de deux élèves aux profils opposés permet au lecteur de se reconnaître au travers des personnages. Quant au rôle de professeur, il est un bon prétexte pour développer naturellement tous les concepts abordés. Annie s’adresse directement à ses deux élèves; mais également à nous qui tenons le manga.
Ce choix de narration habile implique le lecteur sur les deux plans : on se reconnait à la fois dans l’ignorance de Luc ou les premiers pas de Mari, tout comme l’on reçoit l’enseignement philosophique d’Annie.

Les échanges entre les personnages font également montre d’une pédagogie salutaire. Plutôt que d’assener directement ses certitudes de ‘professeur sachant’ à des ‘élèves récepteurs passifs’, Annie va questionner sans jugement moral les arguments que lui présentent Luc et Mari pour les pousser à réfléchir.
Ainsi, la figure de Luc y fait office de « voix populaire ». Son discours fait écho à celui fréquemment opposé aux défenseurs de l’anti-spécisme. Mais jamais Annie ne lui rétorquera frontalement qu’il a tort. Elle objectera en retour pour que Luc réalise de lui-même les failles de son raisonnement.
Cette attitude bienveillante et respectueuse rappelle par contraste les passions qui s’animent dès que les sujets du véganisme ou du respect de la vie animale sont mis sur la table du débat public. En contournant l’écueil de « braquer » une partie du public sur la forme, le manga délivre plus aisément son message de fond.
C’est ce qui rend cet ouvrage pertinent auprès des militants convaincus comme des individus peu sensibilisés, pour des discussions apaisées. Aborder la condition animale sous un angle philosophique permet de décentrer cette problématique de notre égocentrisme pour la replacer dans un contexte sociétal et humaniste global.
De la philosophie pour réfléchir
« Le manga invite à s’interroger sur l’origine et le bien-fondé de normes qui nous semblent évidentes »
Tout au long de ses 230 pages, le manga va dérouler un propos philosophique assez dense. Pour rendre ce dernier plus fluide, la narration se divise en cinq chapitres où la réflexion se complexifie peu à peu, à la lumière des notions acquises.
Une introduction définit le concept d’éthique et ses enjeux, central au thème du manga. Ainsi, en philosophie, les termes éthique et morale sont employés dans le même sens, l’étude de l’éthique étant dénommée « philosophie morale ».
Celle-ci, comme l’énonce Annie, consiste à « étudier d’un point de vue critique les principes et convictions morales auxquels notre société nous a habitués. » En somme, à s’interroger sur l’origine et le bien-fondé de normes qui nous semblent évidentes à l’aune du jugement de fait et du jugement de valeur. C’est selon ce procédé que la société évolue en rejetant des pratiques jugées archaïques.
[Attention au sens de lecture des planches de droite à gauche !]

Sur cette base, le premier chapitre questionne notre rapport aux animaux au travers du spécisme, une croyance popularisée par Peter Singer dans son ouvrage La libération animale. Le spécisme consiste à penser que les intérêts des humains sont supérieurs à ceux des animaux, ce qui justifierait leur exploitation pour se nourrir, se vêtir, conduire la recherche scientifique…
Luc et Mari seront amenés à réfléchir à la légitimité de ce traitement en le confrontant à d’autres formes de discriminations présentes dans les sociétés humaines.

Le deuxième chapitre nous amène sur le terrain de la morale et de sa subjectivité puisque celle-ci dépend du lieu, de l’époque et des individus. L’occasion de mettre au jour des contradictions. Par exemple, l’affirmation « Ne jugeons les valeurs morales d’autrui » constitue en elle-même une valeur morale et s’invalide d’elle-même.
De même que le relativisme culturel qui sous son apparence de tolérance peut au contraire perpétuer des situations injustes selon l’évolution de l’éthique.

Avec ces jalons posés, le troisième chapitre peut aborder la question de la maltraitance animale. Le terme « maltraitance » regroupant toutes les formes de souffrance, le débat entre les protagonistes se concentrera sur la justification de certains comportements par rapport à d’autres quand bien même tous sont sources de souffrance pour les animaux.
Si frapper un animal par pure méchanceté est unanimement condamné, le fait d’utiliser des animaux dans certains domaines (recherche, alimentation…) peut être jugé acceptable. Or les intérêts défendus par ces pratiques renvoient en fait tous au spécisme.

Ce qui nous conduit dans le quatrième chapitre à réfléchir au statut moral des animaux généralement perçu comme inférieur à celui des humains. C’est donc la domination de l’humain ainsi que les raisons qui le poussent à se croire supérieur aux animaux qui sont remises en question.
Des raisons, d’une part choisies par anthropocentrisme, et qui peuvent en plus se retourner contre nous et annuler leur pertinence d’autre part.

Avec tous ces éléments (ici survolés) en tête, le dernier chapitre peut conclure sur la remise en cause de l’appel à la nature, très souvent convoqué en opposition aux pratiques anti-spécistes. Annie se réfère au principe éthique de la loi de Hume selon laquelle un état de fait ne peut entraîner un jugement de valeur immuable.
Le fait que des animaux mangent de la viande n’implique pas que les humains peuvent moralement faire de même. Sinon, on pourrait justifier n’importe quelle pratique, comme le cannibalisme, par la loi de la nature. De même que le respect de notre ‘nature’ dans le sens d’organisme (« l’Homme est omnivore ») est largement contredit par nos modes de vie.

Les considérations sur le « naturel » d’une situation ou d’un comportement se heurtent à la définition floue et fantasmée de la nature, appuyée par les réflexions développées au cours des chapitres précédents. Le recours à la nature sert bien souvent à justifier arbitrairement une notion que nous souhaitons défendre, sans rapport avec les valeurs de bien ou de mal, de juste ou d’injuste. Et encore moins avec un mode de vie éthique, qu’il nous appartient de définir et de concrétiser.
« La Nature est un produit fantasmé, inventé par le cœur des hommes, afin d’éviter de prendre leurs responsabilités face aux produits de leurs propres décisions. La voix de la Nature, c’est la voix de l’être humain. » Garett Hardin

Le manga « L’éthique animale, parlons-en ! » est publié par Evalou éditions, une jeune maison d’édition, fondée en 2017, entièrement bénévole et fermement engagée pour la protection animale. C’est pourquoi elle reverse ses bénéfices à des associations comme Sea Shepherd, One Voice, L214 ou encore le refuge pour animaux de ferme Groin-Groin.
– S. Barret















