Le jeudi 5 septembre 2024, après deux mois d’attente, Emmanuel Macron s’est enfin décidé à désigner un Premier ministre en la personne de Michel Barnier. Avec ce profil, très à droite, issu du parti Les Républicains, le chef de l’État semble tenter de séduire le Rassemblement National pour éviter une motion de censure. Décryptage.
Dans une volonté d’échapper à tout prix à un gouvernement du Nouveau Front Populaire, le président a fait des pieds et des mains pour trouver un nom qui pourrait plaire à la fois à LR, mais aussi au RN. Michel Barnier, 73 ans, paraît cocher toutes les cases, puisque le mouvement d’extrême-droite a affirmé qu’il ne le censurerait pas par principe, au moins dans un premier temps. Portrait d’un homme très à droite.
La Macronie préfère pactiser avec l'extrême droite plutôt que d'abandonner sa politique anti-pauvres.
Du barrage républicain, on a donc hérité d'une rupture avec la tradition démocratique et d'une alliance avec l'extrême droite !#MichelBarnier💰 https://t.co/0masgFkJKG 💸 pic.twitter.com/dwLuZ3So33
— Allan BARTE (@AllanBARTE) September 6, 2024
Un demi-siècle en politique
Issu de la petite bourgeoisie savoyarde (son père était chef d’entreprise et sa mère fille de médecin), Michel Barnier s’est tout de suite tourné vers la politique après avoir décroché un diplôme en école de commerce. Gaulliste, il devient à 22 ans le plus jeune conseiller régional de France en 1973.
Pendant plus de 50 ans, il va ensuite obtenir mandat sur mandat à des places prestigieuses et lucratives avec des records de précocité. Il occupe ainsi les postes de député (1978-1993), président du conseil régional de Savoie (1982-1999), puis ministre à deux reprises, d’abord à l’environnement sous le gouvernement de cohabitation d’Édouard Balladur (1993-1995) et délégué aux affaires étrangères sous l’autorité d’Alain Juppé (1995-1997).
Après la débâcle de la dissolution de 1997, il rebondit comme sénateur (1997-1999) et comme commissaire européen (1999-2004) avant d’être à nouveau désigné ministre par Jacques Chirac aux affaires étrangères (2004-2005) et par Nicolas Sarkozy à l’agriculture (2007-2009).
En 2009, il devient député européen, fonction qu’il abandonne au bout d’un an pour endosser le rôle de vice-président de la Commission européenne (2010-2014). Enfin entre 2016 et 2021, il est chargé par l’UE de négocier avec le Royaume-Uni les conditions du Brexit. Candidat malheureux aux primaires des Républicains pour les présidentielles de 2022, il est finalement nommé Premier ministre par Emmanuel Macron en 2024. De quoi en tout cas se constituer un très solide patrimoine et une très grosse retraite…
Chantre du libéralisme
Ce qui est certain, c’est que la gouvernance de Michel Barnier va s’inscrire dans une continuité absolue avec celle d’Emmanuel Macron. Ce dernier est d’ailleurs loin d’avoir fait une concession, puisqu’il avait déjà coché le nom du Républicain en 2020 lorsqu’il cherchait un remplaçant à Édouard Philippe. C’était finalement Jean Castex (lui aussi issu de LR) qui avait été choisi, mais l’hypothèse Barnier était à l’époque très sérieuse.
Et pourtant, à l’époque, Emmanuel Macron disposait d’une pleine majorité à l’assemblée et il n’avait nullement besoin de négocier avec des partis plus à droite. Une démonstration que le nouveau premier ministre est déjà en parfaite adéquation avec le chef de l’État depuis très longtemps. Il ne s’agira donc absolument pas d’une cohabitation, mais bien d’une collaboration. Le pouvoir lui-même évoque d’ailleurs, dans sa novlangue habituelle, une « coexistence exigeante ». Comme si aucune élection n’avait eu lieu.
Il faut dire que Michel Barnier est effectivement sur le plan économique un libéral convaincu. Très proche de la gouvernance actuelle de l’Union européenne, il y a ainsi fort à parier, qu’à l’instar d’Emmanuel Macron, il mène la politique réclamée par Bruxelles, fondée sur l’austérité budgétaire, la privatisation et la destruction des services publics. Dans son discours de présentation, le Savoyard ne s’est d’ailleurs pas caché sur sa volonté de « continuer un certain nombre d’actions » engagées par le chef de l’État, notamment en matière « d’emploi » et « d’attractivité » de la France.
La même musique depuis plus de quarante ans
Dans la bouche d’un libéral, chacun aura compris que ce genre d’affirmations signifie de nouvelles réductions des droits des chômeurs et encore plus de cadeaux aux entreprises et aux plus riches pour être « plus compétitif ».
Par là, Michel Barnier, qui a tout de même osé annoncer des « changements et des ruptures » (mais après tout, Emmanuel Macron avait bien lancé sa première campagne avec un ouvrage intitulé « Révolution »…), nous ressert en réalité le même discours que tous les libéraux depuis l’époque de Margaret Thatcher. Le tout saupoudré d’une bonne dose de mépris à l’égard du peuple : à l’instar du président qui évoquait en 2017 « les gens qui ne sont rien », le nouveau premier ministre a lui parlé des « gens d’en bas ».
Une chose est certaine, avec ce gouvernement, il ne sera pas question d’augmenter le SMIC, de rehausser les impôts sur les plus grandes fortunes ou encore d’abroger la réforme des retraites, massivement rejetée par les Français dans les urnes. Dans son programme de 2022, Barnier défendait d’ailleurs le départ à 65 ans.
Un écologiste de façade
On ne pourra pas enlever à Michel Barnier d’avoir toujours abordé le désastre écologique avec sérieux et sans mépris, comme l’ont longtemps fait beaucoup des membres de son parti politique. Durant son parcours, il a d’ailleurs occupé plusieurs postes en rapport avec ce sujet, et ce tout au long de sa carrière.
Toutefois, même s’il a conscience du problème, ses solutions restent celles d’un homme de droite libérale. Sa doctrine économique passe donc avant tout et ses propositions ne sont guère à la hauteur. En 2021, il réaffirmait son attachement sans faille à la croissance qu’il pense compatible avec la sauvegarde de l’environnement. Une étude de 2023 expliquait pourtant que les deux étaient définitivement inconciliables.
En bon politicien capitaliste, il semble se focaliser sur le type d’énergie que nous devrions développer au lieu de saisir le réel sujet qui demeure dans le manque de sobriété. En outre, il a aussi pointé du doigt « l’écologie punitive » arguant qu’il faudrait plutôt suggérer aux entreprises de faire des efforts plutôt que de les contraindre par la loi. Une façon de faire qui n’est pas sans rappeler celle de Bruno Le Maire.
Un gage réactionnaire pour RN
En plus de poursuivre l’action économique d’Emmanuel Macron, Michel Barnier présente aussi l’avantage de réunir de multiples caractéristiques qui pourraient séduire le RN. En effet, tout au long de sa carrière, Michel Barnier a pris de nombreuses positions réactionnaires.
En 1981, il votait par exemple contre l’abrogation d’une loi homophobe qui fixait la majorité sexuelle des homosexuels plus haute que celle des hétérosexuels. À la même période, il a également défendu plusieurs fois des textes allant à l’encontre du droit à l’IVG, validant qu’« aucun avortement de convenance ne peut être légalement justifié », refusant son remboursement par les mutuelles et n’admettant pas que « toute femme a le droit de demander à un médecin l’interruption de sa grossesse sans avoir à invoquer une situation de détresse ».
Il a, de plus, tenté de réduire le temps de grossesse durant lequel ce droit reste accessible. En outre, il s’est dressé contre l’obligation de chaque hôpital d’avoir un docteur pratiquant l’intervention et une cellule dédiée aux victimes de violences sexuelles. Enfin, il s’est aussi opposé au PACS en tant que sénateur, qui à l’époque était le seul moyen pour les homosexuels de s’unir par la loi.
De manière opportuniste, Barnier s’est également associé à toutes les paniques morales réactionnaires auxquelles son électorat peut être sensible. C’est le cas par exemple de l’écriture inclusive qu’il qualifie de « symbole du wokisme », utilisant par là le vocabulaire de l’extrême droite.
Une xénophobie certaine et un mépris du pauvre
Et ce n’est pas la seule fois où Michel Barnier a flirté avec la ligne rouge. Il s’est par exemple opposé à la loi Gayssot, dont l’article premier affirme que « toute discrimination fondée sur l’appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion est interdite. » C’est également ce texte qui a transformé le négationnisme des crimes contre l’humanité en délit.
Comme dans l’ensemble de son parti, sa vision de l’immigration n’est guère éloignée de celle de Marine Le Pen qui l’avait même accusé de plagiat sur cette question. Il adopte de cette façon des thèses mensongères, affirmant que les étrangers profiteraient des allocations allant jusqu’à resquiller massivement. Dans ce sens, il militait ainsi encore récemment pour la suppression de l’aide médicale d’état, elle aussi souhaitée par le RN.
Par ailleurs, il défendait en 2022 un moratoire sur l’immigration avec un référendum sur le sujet pour fixer des « quotas d’immigrés ». Il allait jusqu’à proposer de mettre l’immigration en pause pendant trois à cinq ans afin de stopper les « régularisations inconditionnelles, le regroupement familial, et les visas de longs séjours ». On comprend en effet pourquoi la leader de l’extrême-droite l’accusait de la copier.
En outre, il estime que la fraude sociale coûterait plus de 30 milliards à la France, des chiffres farfelus déjà démentis à de nombreuses reprises. Peu importe, ce genre d’arguments populistes permet de surfer sur l’un des thèmes phares de son électorat, la chasse aux « assistés » qui relève pourtant bien plus du fantasme que de la réalité.
La démocratie une nouvelle fois piétinée
Malgré ces thèmes très plaisants pour lui, le RN a cependant fixé une condition majeure pour ne pas censurer le gouvernement : celle d’établir la proportionnelle pour les prochaines élections législatives. On ne sait pas encore si Michel Barnier a noué un accord secret avec le RN à ce sujet, mais il s’était en tout cas fermement opposé à son application lorsqu’elle avait brièvement été mise en place en 1985 par l’Assemblée nationale.
Il faut dire que le nouvel occupant de Matignon n’a jamais été un grand féru de tout ce qui pouvait apporter plus de démocratie au système politique. En 2005, fervent défenseur du « oui » au traité européen ultralibéral soumis au référendum, il avait eu bien du mal à accepter le vote, assurant qu’il n’y avait « pas de mandat du non ». Membre du gouvernement Sarkozy, il avait d’ailleurs plaidé pour le texte de 2008 qui reprenait tous les éléments essentiels de 2005 pour repasser par la petite porte.
Aujourd’hui même, il ne semble, de plus, n’avoir aucun scrupule à diriger le pays alors qu’il vient d’un parti ne disposant que de 47 députés et ayant terminé en quatrième position des dernières élections. Comme tout le bloc bourgeois, il préfère s’en tenir à un seul credo : celui de maintenir le libéralisme au pouvoir. Et peu importe s’il doit pour cela violer la volonté du peuple et se soumettre à l’extrême droite.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Michel Barnier et Nicolas Sarkozy en 2003. Wikimedia.