Pendant deux années, Jonathan Taggart et Philip Vannini ont parcouru le Canada à la rencontre de ces personnes qui ont fait le choix de vivre « Off the grid » et ont fait le vœu de l’autosuffisance énergétique. Déconnectés des réseaux traditionnels d’électricité et de gaz, la centaine de foyers visités par le duo livre un témoignage vivant et éclairant sur la réalité d’une vie où chaque action est pensée à l’aune des watts consommés. De ce périple va naître un documentaire poignant : Life Off Grid. Et une chose est sûre, on est bien loin du cliché commun de hippies entêtés à nier les réalités du monde d’aujourd’hui…
100 foyers déconnectés à travers le Canada
C’est lorsqu’il déménage sur l’île Gabriola, dans le détroit de Géorgie au Canada, que Philip Vannini va connaître sa première prise de conscience. Forcé pour la première fois de ramener son eau jusqu’à chez lui, le jeune professeur mesure tout d’un coup les quantités consommées au quotidien. Habituellement dispensées par un robinet bien commode dans la déconnexion de l’homme à la ressource, la visualisation de celles-ci a agi comme un électrochoc. Dès lors, Philip Vannini va faire beaucoup plus attention à la façon dont il consomme, et continuera de s’interroger sur la question au point d’entreprendre entre 2011 et 2013 un voyage qui l’emmènera à la rencontre de ceux qui ont fait le choix de l’autosuffisance. Accompagné par le photographe Jonathan Taggart, c’est pas moins d’une centaine de foyers que Vannini va visiter. De cette épopée à travers les différentes régions du pays naîtra un documentaire paru en 2016 : Life Off Grid.
Photographies : Jonathan Taggart
Parmi les individus que l’on peut voir dans le film, on trouve des hommes seuls, des femmes, mais aussi des couples qui ont fait le choix de l’isolement en duo. Les constructions, très souvent réalisées par leurs habitants, affichent des formes diverses, parfois étranges. L’une d’entre elles, entièrement en bois, accumule les étages parce que son bâtisseur n’avait pas les fonds nécessaires à l’expansion des fondations. Une autre a été réalisée à l’aide de pneus et de boue. Dans chaque jardin ou presque, on trouve différents modes de fourniture en énergies renouvelables. Éoliennes personnelles, panneaux solaires parfois nombreux, mini-centrales hydrauliques. Toilettes sèches, douches artisanales et fours solaires font également partie du quotidien de la plupart de ces foyers encore atypiques à notre époque. Chaque maison est le témoignage d’arrangements astucieux, d’une débrouillardise à laquelle incite le divorce d’avec les fournisseurs traditionnels.
À la recherche d’une indépendance perdue
Et ce divorce, s’il a tant été voulu par certains, c’est justement en vertu d’une indépendance dont tous sont fiers. Indépendance vis-à-vis des factures en tous genre, mais aussi vis-à-vis d’une incertitude économique et énergétique. La plupart des personnes interrogées évoquent les blocages à venir, la fin certaine d’un mode de consommation harassant pour la planète et qui use chaque jour un peu plus ses ressources épuisables. Le fait d’avoir construit une maison qui leur appartient et de s’atteler quotidiennement à exercer un pouvoir de résilience fait aussi partie des motivations de ces aventuriers des temps modernes. La reconnexion avec les éléments, dont on mesure la puissance au milieu de la nature luxuriante du Canada, est aussi un argument de poids dans ce retour à un mode de vie beaucoup plus modeste.
Photographie : Jonathan Taggart
Photographie : Timothy Allen
D’autres évoquent également l’intérêt économique de la démarche. C’est par exemple le cas de Barrett, à qui l’installation électrique de sa maison n’a coûté « que » 60 000 dollars quand relier sa maison au réseau électrique lui en aurait couté 250 000 en raison de sa situation très particulière, sans compter les factures mensuelles. Interrogé sur la question, l’homme voit les choses d’une certaine façon, et affirme avoir simplement fait le choix de payer « 30 années d’énergie d’un seul coup ». Et il n’est pas loin de la vérité : 30 années de consommation énergétique coûtent en moyenne 91 000 dollars à l’Américain moyen.
Un rêve qui se heurte parfois aux déconvenues
Si certains s’accommodent parfaitement de ce mode de vie qu’ils ont choisi, d’autres se heurtent parfois à la réalité, bien plus exigeante que ne le renvoient les images parfois fantasmagoriques d’une vie de liberté dans les bois. Avec des quantités très limitées d’énergie, qui dépendent largement de l’ensoleillement et des conditions climatiques, la vie quotidienne peut vite nécessiter un effort d’organisation supplémentaire et sacrifices auquels tous ne sont pas préparés. Une méconnaissance des énergies renouvelables et une simple erreur pratique peuvent vite générer un gâchis énergétique déplorable. De manière générale, vivre « hors système » est loin d’être le choix de la facilité ou de la fuite.
Photographies : Jonathan Taggart
Dans certains cas, le rêve de l’indépendance énergétique prend parfois fin de manière abrupte lorsqu’il ne s’ancre pas dans un projet réaliste et conscient des enjeux d’un tel mode de vie sur le long terme. La plupart des personnes se laissant tenter par l’aventure de la vie en pleine nature retournent à la « civilisation » quelques mois à peine après leur installation. Évocateur, l’exemple de Judy et Jim montre comment le paradis peut parfois virer à l’enfer. Propriétaire d’un gîte éco-responsable, le couple a manqué de prévoyance dans l’établissement de ses affaires. Résultat, il s’est trouvé obligé de remettre le pied à l’étrier au travers des petits boulots nécessaires au paiement de leur factures et crédits. Des activités qui sont venus empiéter sur le temps nécessaire à l’entretien d’une habitation de ce type. Frôlant le burn-out, ils ont donc dû renoncer à leur rêve et n’ont trouvé le repos qu’en réintégrant le confort de la ville et ses infrastructures. Quoiqu’il en soit, si la décroissance et le mode de vie qui l’accompagne relèvent aujourd’hui encore de l’aventure et de l’insolite, il est probable que les décennies à venir en feront une nécessité — reste à véhiculer l’information nécessaire au succès de tous dans cette entreprise plus ou moins garante de l’humanité.
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Sources : Life Off Grid — Le documentaire / Theplaidzebra.com