Si l’euthanasie est autorisée en Belgique et en Suisse depuis longtemps, en France, la fin de vie est encadrée par la loi Leonetti-Claeys de 2016 qui n’autorise pas d’aide médicalisée active. L’acharnement thérapeutique étant proscrit, cette loi accorde aux médecins un simple arrêt des soins du patient, mais sans l’aider à mourir pour autant. Même choisi, le départ reste ainsi plus ou moins long et empêché l’anticipation, donc la liberté du choix du patient. Une situation jugée hypocrite au vu des 2000 à 4000 euthanasies clandestines pratiquées chaque année dans l’hexagone sans cadre légal. Ce n’est pas tous les jours que nous sortons de notre anonymat, mais sur ce sujet, c’est un devoir, tant les enjeux de société sont importants. Tribune du fondateur de Mr Mondialisation, atteint d’une maladie génétique orpheline.

Fondateur de Mr Mondialisation, je suis atteint d’une maladie génétique orpheline, sans traitement possible, si ce n’est retarder l’inévitable. 3 millions de Français sont concernés par des maladies orphelines. Si tout le monde doit mourir un jour, certains savent exactement la manière dont la maladie les emportera. Et c’est rarement une jolie histoire qu’on raconte aux enfants. Soyons crus. Que celui qui veut s’étouffer dans ses poumons en crachant du sang dans une longue agonie lève la main ! Pas tous en même temps… Mais si ce n’était que ça ? Les mots, le cinéma, les images, rien ne peut remplacer l’expérience individuelle de la mort. Nous sommes chacun seuls face à elle et seuls nous devrions pouvoir décider de la manière dont nous voulons quitter le monde. Un Droit Humain fondamental. La dernière des libertés.

Conscient de cette réalité depuis mes 16 ans, j’ai voulu transformer cette fatalité de l’existence en énergie créatrice, en volonté d’utiliser ce temps de vie offert d’une manière la plus juste et engagée possible à mes yeux. Aujourd’hui je n’ai pas peur de mourir, mais jamais je ne laisserai la maladie ou la société m’en imposer la manière. Ceci est la dernière, la plus grande des libertés dont un être humain peut jouir. Si la vie est une fête, pourquoi la fin de vie devrait être nécessairement horrible, esseulée et pitoyable ? Pourquoi persistons-nous à interdire aux individus le droit de mourir dans la dignité ? Au nom de quel dogme idéologique ? De quelle religion ou croyances obscures ? De quelles peurs ?

@MaralSassouni / Flickr

Voilà la France, pays des Droits de l’Homme, toujours la première à donner des leçons d’humanisme à la terre entière, incapable de considérer la fin de vie de ses propres citoyens autrement que par le prisme de la souffrance prolongée, préférant laisser des millions de citoyens agoniser souvent seuls, dans d’innommables plaintes qu’on se gardera bien de médiatiser comme elles sont : froides et insoutenables. Étrange, cette société qui censure, camoufle ou maquille la mort sur les écrans, mais s’assure que le supplice, bien réel, s’impose à chacun, surtout aux malades, comme aux plus pauvres, qui – eux – ne peuvent s’exiler pour mourir en paix ailleurs. Tant qu’on n’est pas soi-même concerné, qu’on rêve encore de mourir “naturellement” dans son lit, vieux, bien entouré, un sourire aux lèvres, comme dans un film de cinéma, pourquoi se soucier des autres ? Voilà bien un réflexe qui définit notre époque : l’absence d’empathie.

Certains viennent forcément à évoquer l’État Naturel pour s’opposer au droit de mourir dans la dignité. Les choses seraient ainsi faites, disent-ils. La souffrance ferait partie de la vie, disent-il. Le fameux sophisme de l’appel à la Nature. Cette obligation morale évoquée depuis l’Antiquité pour que des hommes justifient les pires violences envers d’autres hommes. « Si la Nature est cruelle, pourquoi pas nous ? » Peut-être simplement parce que nous ne sommes pas qu’une masse de chair mais que nous sommes dotés de choix, d’éthique, de raison ? Peut-être que ces choix définissent qui nous sommes en tant qu’espèce ? Est-il naturel de déféquer sur un trône en porcelaine ? Est-il naturel de mettre un plâtre quand on se casse une jambe ? Est-il naturel de faire une sédation quand vous allez chez le dentiste ? Est-il naturel de mettre au monde un enfant à l’hôpital plutôt que dans la forêt à même l’humus ? Est-il naturel de chauffer sa maison pour ne pas avoir froid l’hiver ? Soyons honnêtes, aucun de nos choix ne sont naturels. Nous sommes des êtres culturels. L’appel à la Nature est tellement fallacieux qu’il ne devrait pas avoir sa place dans un débat rationnel et honnête. La Nature n’est pas bonne ou mauvaise par défaut. Elle propose des milliards de modèles interprétables à l’infini. En en faisant partie, nous avons le choix en pleine conscience d’avoir des comportements qui peuvent limiter les vicissitudes de la vie partout où elles peuvent être limitées, à défaut d’être supprimées. Tout comme nous pouvons demain décider de protéger collectivement l’environnement ou de réintroduire une espèce menacée, ce qui n’a pourtant rien d’actes naturels au sens idéalisé du terme.

Vient ensuite la vindicte des réactionnaires et leurs commentaires abscons qui peuvent se résumer à : « vous n’avez qu’à vous suicider » ! Ceux-ci n’ont aucune âme, aucune empathie, aucun respect. Les malades veulent simplement arrêter de souffrir, avoir droit au repos, dire au revoir à leurs proches pendant qu’ils le peuvent encore, s’éteindre dans la dignité et le calme, si possible, entouré d’autres humains bienveillants pour leur tenir la main. Et ceci doit nécessairement être assisté médicalement et encadré par des règles strictes, comme le font tant de pays Européens sans avoir basculé dans une dystopie eugéniste imaginaire. Comment peut-on honnêtement mettre sur un même plan la violence souvent extrême d’un suicide avec la fin de vie assistée dans un cadre serein. Pensent-ils seulement aux effets traumatiques sur la famille d’un suicide ?

Source image : cdd20 / Insta

La peur. Voilà ce qui anime les éternels réactionnaires qui veulent imposer leurs croyances aux seuls concernés. En l’occurrence, refuser le choix individuel de mourir en paix en imposant la souffrance à tout le monde par peur de dérives imaginaires qui ne les concernent pas. Eux auront toujours la liberté de se laisser mourir dans la souffrance ou de se suicider, s’ils y tiennent vraiment ! Est-ce bien différent de l’homme voulant interdire l’avortement alors qu’il n’a aucun pouvoir sur le corps des femmes ? Est-ce bien différent des fanatiques religieux voulant dicter la “bonne sexualité” à toute une société, en éliminant tout ce qui sort de leur propre norme ? Est-ce vraiment distinct des exploitations humaines ayant décidé de tout prendre pour elles et de sacrifier toutes les autres espèces ? Tous les progrès qui cherchent à diminuer les inégalités, les souffrances et les injustices génèrent de puissants mouvements réactionnaires fondés sur la peur d’un fantasme : perdre le privilège de la pensée dominante, voire les faveurs des cieux. Et cette peur n’est jamais bonne conseillère.

De toute évidence, l’euthanasie n’est PAS un sujet à prendre à la légère. On les voit venir au loin, déjà, les amoureux de l’économie triomphante qui cherchent des moyens de se débarrasser des inactifs, des malades, des gens qui ne participent pas à la croissance. Il faut en parler. Ce sont les mêmes qui luttent contre la justice sociale, pour le maintien des inégalités mais surtout des privilèges. Comment peuvent-ils encore se regarder dans un miroir. Jamais la mort d’un être humain ne pourra se justifier par des motifs économiques. Dans un tel cas, nous aurions perdu toute notre humanité, et par conséquent, le sens même du droit à une fin de vie juste. Ouvrir le droit à une fin de vie digne pour l’être humain doit nécessairement se munir de garde-fous contre les appétits capitalistes.

Pour une fois, être à la traîne n’est pas une si mauvaise chose. La France ayant 20 ans de retard sur le reste de l’Europe en matière d’euthanasie, elle ne sera pas pionnière en la matière. Conséquence ? Les études, les cas pratiques, les encadrements légaux existent à foison au niveau international et offrent une opportunité de créer un cadre novateur et respectueux des Droits Humains à l’euthanasie, qui prendra aussi en considération les cas extrêmes et particuliers observés ailleurs, de manière à faire barrage aux dérives éventuelles qui animent les peurs. En Belgique comme en Suisse, les incidents sont infiniment rares, et ceux-ci peuvent tout de même être considérés pour élaborer un encadrement plus humain encore.

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https://www.youtube.com/watch?v=13MHfwMr5bc

N’oublions jamais que mêmes les chiens ont droit à l’euthanasie pour abréger leurs souffrances. Mêmes les chiens… N’est-ce pas hypocrite ? Voilà bien la première fois que l’humain accorde plus de bienveillance au monde animal qu’à lui-même. Quand bien même, osons le dire, le fait de mourir reste une réalité bouleversante, que ce soit pour un être humain ou un animal. Tout être digne d’intelligence ne peut que souhaiter une seule chose à ses proches, ses parents, ses enfants, et toutes les créatures qui vivent sur terre : le droit de vivre et de mourir le plus dignement possible.

– Mr Mondialisation


Merci d’avoir lu ce texte jusqu’à la fin. Ce fut beaucoup d’émotions pour l’écrire. Avant de partir, beaucoup d’autres luttes m’attendent, moi et mon équipe. Nous continuerons de consacrer notre vie à tenter humblement de faire bouger les lignes sur de nombreux sujets. Mais nous n’y arriverons pas seuls. Sens toi libre d’encourager l’équipe dans sa mission de vie sur ce lien. Parce que la vie prend tout son sens quand nous agissons pour la rendre plus belle.

Sources pour aller plus loin et mieux comprendre la situation française :

https://lcp.fr/actualites/fin-de-vie-le-texte-d-olivier-falorni-bloque-par-l-obstruction-parlementaire-de-deputes

https://www.francetvinfo.fr/societe/euthanasie/fin-de-vie-l-examen-du-texte-n-est-pas-arrive-a-son-terme-l-article-1er-toutefois-reecrit-et-soutenu_4365409.html

https://www.francetvinfo.fr/sante/hopital/fin-de-vie-des-euthanasies-clandestines-pratiquees-a-l-hopital-public_4369315.html

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