En France, à Vittel, Nestlé Waters est accusée par France Nature Environnement de surexploiter une nappe phréatique, le tout dans un contexte de suspicion de conflit d’intérêt. Alors que Nestlé utilise à ses propres fins une ressource locale sur le dos des populations, se pose la question de l’urgence de nouvelles politiques publiques de l’eau avant l’accaparement total de l’eau.
La mauvaise santé de la nappe phréatique de Vittel fait l’objet d’alertes dans les médias depuis plusieurs années et inquiète association environnementales et ONG. À l’occasion de la journée mondiale de l’eau du 22 mars dernier, France Nature Environnement (FNE) dénonçait cette situation alarmante dans un communiqué de presse.
Selon la FNE, la multinationale suisse « surexploite sans vergogne une nappe d’eau souterraine au détriment des populations locales », le tout en dépit d’un « déficit chronique annuel d’environ 1 million de m3″. L’eau pompée est ensuite commercialisée dans toute l’Europe à des prix particulièrement élevés, sous forme de bouteilles plastiques.
France Nature Environnement monte au créneau
La situation est d’autant plus choquante qu’elle conduit à faire supporter par les habitants l’augmentation du prix de leur approvisionnement en eau : « la stratégie imaginée pour approvisionner en eau potable les populations locales de Vittel n’est autre qu’un transfert massif d’eau sur des dizaines de kilomètres de pipeline, pour un coût de 20 à 30 millions d’euros sur 20 ans. Ainsi, Nestlé pourra continuer son exploitation, pendant que les habitants de Vittel se verront répercuter le prix des travaux sur leur facture d’eau », fustige la FNE, selon qui les modes opératoire de Nestlé Waters entrent en contradiction avec l’image que souhaite se donner l’entreprise, notamment par l’intermédiaire de campagnes de communication affirmant le caractère responsable de la multinationale et mettant en avant des méthodes en adéquation avec les principes de « durabilité ».
De surcroît, cette première affaire se déroule sur le fond d’un potentiel cas de conflit d’intérêt qui a été porté devant la justice il y a deux ans. En effet, entre 2013 et 2016, le poste de présidente de la Commission locale de l’eau (CLE), un organisme public, était occupé par Claudie Pruvost pendant que son mari, Bernard Pruvost, travaillait pour Nestlé International. Pour l’association Anticor, qui a signalé la situation au parquet en 2016, la situation est anormale, bien que Nestlé International soit théoriquement une entité juridique distincte de Nestlé Waters. Claudie Pruvost a t-elle usé de sa position pour offrir des avantages à Nestlé ? Cette question sera tranchée par les juges prochainement.
L’eau, bien privé ou bien commun ?
Ce cas nous ramène une fois encore à nos fondamentaux de l’écologie politique. Ce n’est pas la première fois que des multinationales sont accusées de se servir dans les nappes phréatiques au détriment des populations. L’exemple de Coca-Cola en Inde et au Mexique est bien connu et emblématique : dans ces deux pays, le géant du soda a mis en place des usines accusées de surexploiter des nappes phréatiques, une activité industrielle qui pèse lourd sur les habitants locaux qui vivent encore pour bon nombre d’entre eux de l’agriculture. #Nestlé, qui possède plusieurs dizaines de marques d’eau (dont par exemple Vittel, Perrier ou encore Hépar), a pour sa part été régulièrement accusée d’assécher les ressources en eau dans différentes régions du monde, comme aux États-Unis, pendant que certains habitantes et habitants se battent contre ce qu’ils estiment être un vol des générations futures. Pendant ce temps, les entreprises de l’eau en bouteille réalisent des marges très importantes sur leurs ventes tout en communicant sur les bienfaits de leur produit par rapport à l’eau du robinet et ce en dépit du fait que 96% des français ont accès à une eau portable d’une excellente qualité. La découverte récente de particules plastiques dans l’eau de plusieurs marques en bouteille, dont certaines appartenant à Nestlé Waters, relançait d’ailleurs le débat récemment.
Le monopole que Nestlé s’est vu octroyé sur les ressources locales à Vittel met donc une nouvelle fois en lumière la problématique de la privatisation de biens collectifs essentiels. L’eau potable ne serait-elle pas un bien qui devrait être accessible aux populations et qui devrait être protégé des logiques commerciales dans le cadre d’un monopole ? La question se pose de manière urgente à l’heure où, sous les effets du changement climatique, la pression grimpe sur les ressources en eau. À l’image de nombreux pays d’Asie et d’Afrique, des régions entières souffrent d’ores et déjà de pénuries d’eau. En ce moment même, l’Afrique du Sud est frappée de plein fouet par une pénurie historique, pendant que, plus proche de nous, Rome avait été contrainte de déployer des restrictions importantes sur l’eau l’année passée : la rareté de ce bien est une réalité quotidienne pour des millions de personnes dans le monde entier et les multinationales connaissent parfaitement cette évolution du marché de l’eau. Dans ce contexte, pourront-elles profiter encore plus de cette rareté et des droits exclusifs qu’elles se sont accaparées sur le dos des populations ?
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