Le 08 Juillet 2014, l’armée israélienne lançait une offensive contre la bande de Gaza qui durera jusqu’au 27 Aout. Cette opération fut particulièrement meurtrière : selon l’ONU, au moins 2100 Gazaouis furent tués, dont plus de 1500 civils et 500 enfants. Jason Cone, directeur général de Médecins sans frontières (MSF) aux États-Unis, s’est rendu dans les territoires occupés palestiniens en Avril dernier. Mediapart vient de publier son témoignage.

MSF : une présence au plus proche des populations

Parmi les ONG qui interviennent dans les territoires occupés palestiniens, Médecins sans frontières (MSF) occupe une place toute particulière : organisation humanitaire agissant dans le domaine de la santé, elle est aux avant-postes lors des conflits ou brutalités commises en situation de paix. Association reconnue internationalement, son témoignage permet de mieux connaitre la réalité de la situation au Proche-Orient. L’ONG est présente à Gaza, à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, où elle gère des projets de santé mentale notamment auprès des enfants qui développent de lourds problèmes psychologiques suite aux harcèlements de l’armée ou de la police, mais aussi suite à certains conflits entre factions palestiniennes. Elle réalise également des missions chirurgicales et des soins post-opératoires.

L’opération « Bordure protectrice » lancée par Israël fut au final une offensive aveugle et meurtrière : d’après le Rapport de la commission d’enquête indépendante de l’ONU, coté Gazaoui, plus de 2 100 personnes ont été tuées, en grande majorité des civils,  11 000 furent blessées – dont 3 436 enfants et 3 540 femmes – et 365 000 déplacées. Coté israélien, 66 soldats et 6 civils perdirent la vie. Un an après l’opération, le directeur USA de MSF lance un appel à l’aide pour soutenir la population civile palestinienne, meurtrie depuis l’été dernier à Gaza, asphyxiée par le blocus et toujours en proie à d’immenses difficultés pour vivre dans les territoires occupés en Cisjordanie et dans les camps de réfugiés.

Le drame des colonies et des arrestations arbitraires

Comme l’explique M. Cone, les ONG se retrouvent face à un dilemme : « Tandis qu’occupation et souffrance sont désormais la norme, nous disposons du choix, en tant qu’institution, de rester ou de partir, un luxe réservé aux diplomates et aux humanitaires. Ainsi une ONG comme MSF se pose-t-elle régulièrement la question du maintien de ses activités : comment venir en aide aux populations sans faire le jeu de ceux qui sont à la racine de leurs maux ? »

L’une des principales causes de traumatisme psychologique relevée chez les enfants est l’arrestation arbitraire des parents. Elle survient souvent en pleine nuit, sans preuve ni explication, via le recours à la détention administrative qui ne nécessite aucune charge. Le traumatisme est souvent décuplé par l’incertitude du retour des parents qui deviennent parfois des prisonniers politiques, c’est-à-dire qu’ils restent incarcérés sans chef d’accusation ni procès pour une durée indéterminée. Ce genre d’arrestation est en forte augmentation : 319 ordres de détention administrative ont été délivrés par les tribunaux militaires depuis début 2015, contre 51 en 2014.

MSF107686« Palestine : La lutte contre le désespoir » | MSF UK / Source : buzzquotes.com

Jason Cone donne quelques chiffres pour illustrer ses propos : 52% des personnes rencontrées évoquent une violente intrusion de l’armée israélienne dans leur domicile, 42% évoquent l’incarcération actuelle d’un ou plusieurs membres de leur famille. Au total, 20% des patients souffrant de troubles psychologiques vivent près d’une colonie, ce qui les exposent à un niveau de stress permanent, craignant les exactions de certains colons violents en plus des soldats. Les enfants sont la population la plus exposée : la moitié des patients rencontrés ont moins de 15 ans et 25 % ont moins de 10 ans.

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

Une ville représente tout particulièrement l’incohérence (et l’illégalité) des colonies : Hébron. 150 000 palestiniens y vivent pour 500 colons israéliens, nécessitant la présence permanente de 4 000 soldats israéliens. Plus de 120 obstacles dont 18 postes de contrôle ont été répartis afin d’entraver la circulation des Palestiniens. Une situation qui génère des conflits quotidiens.

La situation des camps de réfugiés

MSF évoque également le sort des civils vivant dans les camps de réfugiés, dans une précarité, une insalubrité et une insécurité générale. Ils doivent subir les interventions nocturnes de l’armée, le harcèlement régulier des colons habitant autour des camps et, plus surprenant, les exactions et la répression des forces de sécurité palestiniennes, qui depuis les accords d’Oslo de 1993, doivent collaborer avec l’armée israélienne. La police palestinienne participe ainsi aux arrestations d’opposants, parfois sur ordre de l’autorité israélienne. Une situation qui fait passer ses membres pour des « collabos » aux yeux de nombreux civils et responsables politiques, réfugiés ou non.

balataFayez Arafat, camp de réfugiés de Balata – Crédit : Rich Wiles

« L’armée d’occupation, les colons, mais aussi les forces de sécurité palestiniennes maintiennent une pression constante. Il est donc aisé de comprendre pourquoi les gens sont en colère. Nous sommes comme un volcan prêt à entrer en éruption. Les responsables de la “Sulta” [“Autorité”, en arabe], qui n’ont plus aucun crédit à nos yeux, pourraient aussi en faire les frais. […]  Cette politique sécuritaire, que nos dirigeants justifient au nom de l’État à venir, sert en réalité à donner des gages à la “communauté internationale”, dont l’Autorité dépend financièrement, et à empêcher tout embrasement dans les territoires, estime Abaher Al-Sakka, professeur de sociologie à l’université de Bir Zeit (Ramallah). Mais elle a pour effet de susciter le ressentiment d’un nombre croissant de Palestiniens. », explique M. Fayez Arafat, l’un de ses responsables du camp de réfugiés de Balata. Près de vingt-huit mille habitants survivent dans ce camp d’un kilomètre carré. La pauvreté touche 55 % des habitants, et le chômage 53 %.

Gaza : prison à ciel ouvert ?

Jason Cone s’est également rendu à Gaza pour voir où en était la région depuis les bombardements. Résultat : quasiment aucun des bâtiments n’a été reconstruit. Une situation catastrophique que dénonce le directeur de MSF mais qui, d’après lui, n’est pas assez abordée par les ONG de défense des Droits de l’Homme et les rapports de l’ONU, qui se concentrent plutôt sur les exactions commises par chacun des acteurs. Ainsi, 16 792 maisons ont été détruites et 203 écoles, 17 hôpitaux, 56 centres de soins primaires et 45 ambulances ont été endommagés ou détruits durant l’offensive.

En dehors du conflit, la plus grande cause de souffrance et de précarité vient du blocus israélien, rendant difficile l’approvisionnement en matériaux, en combustibles ou en vivres. Notons que de nombreux anti-douleurs ont été interdits par le Hamas prétextant une dépendance qu’ils provoquent chez les jeunes. L’interdiction d’importer des matériaux, tels que le ciment, les barres d’armature ou le bois freine considérablement la reconstruction. Enfin, l’interdiction d’importer certaines sources d’énergie provoque, quant à elle, d’autres types de problèmes sanitaires : en avril dernier, 70 % du nombre total de patients soignés dans les structures MSF à Gaza étaient des victimes de brûlures, à cause notamment de l’utilisation de produits de chauffage alternatifs dangereux.

« Dr Kelly Dilworth, anesthésiste de MSF, dans l’unité de soins intensifs du service brûlés de l’hôpital Shifa où deux frères, âgés de 8 et 4 ans sont hospitalisés après avoir été gravement brûlé quand un missile est tombé sur leur maison »
Juillet 2014, Gaza. Source : msf.fr

Enfin, un problème majeur demeure : l’approvisionnement en nourriture. Les pêcheurs gazaouis sont, par exemple, régulièrement la cible de tirs par les gardes-côtes israéliens qui empêchent tout bateau – y compris les missions humanitaires – d’accoster dans la bande. Sans oublier que les civils gazaouis doivent également composer avec les affrontements, intermittents, entre factions Palestiniennes opposées : Hamas, Fatah, Jihad islamique… Au final, ce sont des civils qui subissent encore et toujours la folie des Hommes.

L’économie et le système social étant presque au point mort dans la région, les habitants de Gaza dépendent très fortement de l’aide internationale pour survivre. Paradoxalement, ces aides proviennent en majorité des États-Unis et de l’Union européenne, qui financent également l’Autorité Palestinienne et ses forces de sécurité. Fin Avril 2015, seuls 27,5% des 3,5 milliards de dollars promis après la guerre avaient été versés. Parallèlement, le chômage touche 44 % de la population, un record mondial, quand celui des jeunes grimpe à 60%. Difficile d’envisager une quelconque activité sans accès aux ressources primaires ni industrie.

Des raisons d’espérer coté israélien ?

Du coté du gouvernement israélien actuel (droite conservatrice), il n’y en a aucune. Lors des dernières élections législatives de Mars 2015, le 1er ministre sortant Benyamin Netanyahou a été facilement réélu (à la surprise générale : les travaillistes de centre-gauche étaient donnés vainqueurs) et a reformé un gouvernement de coalition avec l’extrème-droite (Le Foyer juif) et les ultraorthodoxes (Yahadut Hatorah et Shass). La paix, l’égalité entre arabes et juifs israéliens ou la fin de la colonisation ne sont pas au programme, pas plus que la création d’un État palestinien indépendant.

Cependant, une belle surprise marqua ces élections : pour la première fois depuis la création d’Israël en 1948, une coalition regroupa les communistes du Hadash et les formations arabes au sein d’une Liste unifiée. Cette liste de gauche pacifiste devint la troisième force politique du pays en remportant 13 sièges à la Knesset avec 10,54 % des voix. Elle milite notamment pour l’égalité des droits et de traitement entre arabes et juifs israéliens et pour une paix juste avec les Palestiniens. Cette coalition n’est pas sans rappeler l’alliance anti-ségrégationniste regroupant communistes blancs et partis noirs (dont l’ANC de Mandela) durant l’Apartheid sud-africaine.

Dans la société civile également, la population israélienne se mobilise (difficilement) en faveur de la paix. Difficilement, car la politique ultra-sécuritaire et la mentalité belliciste et nationaliste (voir anti-arabes pour les plus extrémistes) rendent délicate toute revendication pacifiste et/ou pro-palestinienne trop appuyée. Ainsi, de nombreux jeunes ont fui le pays, lassés du tout sécuritaire et de la politique ultra-libérale du Likoud.

« Women Wage Peace », 08 Juillet 2015, Jérusalem. Crédit : Thomas Coex /AFP

Mentionnons, donc, le jeune mouvement pacifiste Women Wage Peace / Les Femmes font la Paix, qui regroupe des femmes Israéliennes juives et arabes qui ont entamé un jeûne collectif le 08 Juillet dernier pour une durée de 50 jours, près de la résidence du Premier ministre à Jérusalem, pour commémorer l’année de l’Opération Bordure Protectrice et demander aux dirigeants d’œuvrer pour la paix. Citons aussi l’ONG Breaking the silence (« rompre le silence ») qui regroupe d’anciens soldats israéliens écœurés par les exactions de l’armée et qui ont décidé de témoigner. Leurs témoignages, appuyés par des photos et vidéos, démontrèrent que les ordres indiquaient de viser délibérément les civils durant le dernier conflit et soulevèrent un scandale.

N’oublions pas non plus le mouvement des Refuzniks, ces jeunes objecteurs de conscience pacifistes qui refusent de faire l’armée pour protester contre l’occupation des territoires palestiniens et les violations des Droits de l’Homme en Cisjordanie. En 2014, plusieurs dizaines d’entre eux ont été envoyés en prison pour ce refus. Enfin, nous évoquerons les 800 citoyens et personnalités israéliennes qui ont demandé, en 2014, aux Parlements des pays européens de reconnaître l’État palestinien afin de faire avancer le processus de paix. Évidement, de nombreux autres citoyens, militants, intellectuels, députés, ONG et associations israéliens militent pour la paix, dans l’indifférence quasi générale des grands médias du pays (hormis le quotidien Haaretz), mais nous ne pouvons tous les citer.

BDS : Boycott Désinvestissement Sanctions

Selon Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, la fin du soutien international inconditionnel à la politique israélienne est une condition nécessaire pour s’engager dans des perspectives de paix. Bien que le contexte soit différent, il compare la situation du Proche-Orient avec celle de l’Afrique du Sud des années 1980. Le régime fut forcé de mettre fin à l’Apartheid suite (notamment) aux pressions internationales et à la fin du soutien de nombreux pays. Il est à noter qu’Israël fut l’un des tout derniers soutiens du régime raciste des Afrikaners. Nelson Mandela déclara en 1997 : « Nous savons bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens. »

mandela« Un portrait de Nelson Mandela sur des fils barbelés lors d’une action contre la colonisation israélienne, près de Ramallah, le 6 décembre 2013. » Crédit : REUTERS/Mohamad Torokman

Justement, le 04 Juillet 2005 fut lancée la campagne internationale BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions) par la société civile palestinienne pour lutter pacifiquement contre l’occupation, sur le modèle de la campagne internationale contre l’Apartheid des années 80. Ce mouvement a pour but de faire pression économiquement, diplomatiquement et culturellement sur Israël afin d’aboutir à une paix juste et durable, que cesse l’occupation et qu’Israël se conforme au Droit international. En France, la campagne BDS regroupe une cinquantaine d’associations, partis, syndicats et fédérations, cosignataires de la « Charte BDS France« .

Marwan Barghouti, le « Mandela palestinien »

Autre source d’espoir, Rony Brauman évoque dans son entretien à Siné Mensuel le cas de Marwan Barghouti, prisonnier considéré par beaucoup comme le « Mandela palestinien » : « Il existe une personnalité, Marwan Barghouti, d’un haut niveau, comparable à Mandela. Ils ont en commun une vision politique, le courage physique et la légitimité construite dans le combat. Pendant la première Intifada, Barghouti était le leader du Tanzim, les jeunesses du Fatah. Il était là où ça se passait, physiquement engagé. Il a su résister à la radicalisation en considérant que les Israéliens n’étaient pas seulement des ennemis, mais des voisins avec lesquels, à un moment ou à un autre, il allait falloir discuter. Comme Mandela, il a une formation politique extrêmement sérieuse et n’a jamais renoncé à la lutte armée, sans verser dans le terrorisme aveugle. Il a appris l’hébreu en prison, comme Mandela avait appris l’afrikaans. »

Marwan_Barghouti_painting« Portrait de Marouane Barghouti sur le mur de séparation à Kalandia – Juillet 2013. »
Crédit : CC BY-SA 3.0

Marwan Barghouti est à l’origine de la publication du Document des prisonniers palestiniens, texte cosigné par l’ensemble des dirigeants des formations palestiniennes. « Ce document propose une base sur laquelle un gouvernement de coalition devrait être formé au sein du Conseil législatif de Palestine et est fruit de l’impasse qui suivit la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006. Ce document appelle aussi à la négociation avec l’état d’Israël dans le cadre du processus de paix. Ce texte gagna rapidement en popularité et est maintenant considéré comme la pierre angulaire d’un futur gouvernement d’unité nationale. » – wikipédia.

La campagne pour sa libération implique, outre de nombreuses personnalités palestiniennes, des intellectuels et responsables israéliens, des membres du Parlement européen, des élus français, le grand quotidien israélien de gauche Haaretz et de nombreux intellectuels et militants associatifs à travers le monde. Ses sympathisants le voient comme le principal espoir de paix juste coté palestinien s’il était libéré. Seront-ils entendus ?


Sources : mediapart.fr / Le Monde diplomatique – Octobre 2014 – « En Cisjordanie, le spectre de l’Intifada » / Siné Mensuel n°41 – Avril 2015 – Interview de Rony Brauman

Photographie à la une : Dr Liliana Adrade, anesthésiste MSF, Hôpital  Nasser, Gaza – Crédit : Isabelle Merny/MSF

Pour aller plus loin :
Manifeste Pour les Palestiniens de Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières
Un autre Israël est possible de Dominique VIDAL et Michel WARSCHAWSKI

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation