G Milgram a publié sa dernière enquête : un « adjuvant naturel » pour béton censé harmoniser les énergies dans le logement… Cela prêterait à sourire si cette arnaque n’était pas financée, voire imposée, par l’État. Plus hallucinant encore, ces pseudo-sciences ont désormais une place de choix dans des institutions publiques. Retour sur ce scandale inédit.
Le vidéaste G Milgram s’est fait une spécialité de debunker les impostures ésotériques vendues sous couvert de bien-être ou de soin. Parmi ses faits d’arme : la crème quantique de Guerlain, le patch de Sanofi, le lit quantique ou encore le bracelet Power Balance.
Sa dernière en date, sur un liquide pseudo-scientifique pour harmoniser le béton, est d’autant plus vertigineuse qu’elle touche nos institutions et financements publics. Explications.
Du bullshit ésotérique…
Pneumatit, c’est le nom de l’entreprise suisse qui se soucie de votre bien-être, et ce dès les fondations de votre habitation. Car comme nous met en garde le site internet de la marque : « sur le plan psychique, le béton conventionnel crée une tendance à la résignation, au désespoir, à l’hésitation, à la négativité. » Pour lutter contre ces maux induits par le béton (pour lesquels on aimerait avoir une source scientifique…), elle déclare avoir mis au point une « biotechnologie » sous la forme d’un adjuvant biodynamique à mêler au béton au moment de son gâchage.
Cela permet d’obtenir un « béton plus accueillant et plus sain pour les hommes et les animaux et qui soutienne le développement et l’épanouissement individuel. », un béton « Chaud, ample, libre, doux, relaxant, respirant« . Des impressions appuyées par des témoignages mis en avant par Pneumatit ainsi que par des « tests d’efficacité » comme de l’électro-acupuncture (sur TROIS sujets) ou de la radiesthésie. A noter que l’acupuncture et la radiesthésie ne reposent pas sur des bases scientifiques mais tiennent de la croyance.
D’ailleurs, la biotechnologie Pneumatit® se base sur les principes de l’anthroposophie, également une pseudo-science ésotérique, créée en 1913 par l’occultiste Rudolf Steiner. Parmi les dogmes de l’anthroposophie : les Atlantes sont nos ancêtres et ont ramené du mercure sous forme éthérée de Mercure, les atomes n’existent pas, le système solaire ne comprend que 7 planètes (dont Vulcain), le soleil est en réalité le corps du Christ cosmique…
Les principes de l’anthroposophie se diffusent à travers l’agriculture biodynamique (et ses préparations de bouse de corne), la pédagogie des écoles Steiner-Waldorf, la médecine anthroposophique et les cosmétiques de l’entreprise Weleda. Une emprise d’ailleurs dénoncée en juillet 2018, dans un article du Monde Diplomatique alertant sur l’influence du lobby anthroposophique dans l’économie et la politique françaises ainsi qu’au niveau européen.
Les composants du Pneumatit® sont « entièrement naturels » assure l’entreprise et présents sous une forme homéopathique. Le processus de fabrication: « comporte une centaine d’étapes, réalisées en deux semaines de travail ». On y retrouve principalement et en très grande quantité de l’eau, servant à diluer une micro-quantité de substances minérales, métalliques, végétales et animales (dont du fémur d’oiseau…) : « Chaque substance introduit et ancre dans le béton des forces très précises, reliant des domaines spirituels et supraphysiques aux substrats géologiques, avec le souci constant des effets qui en résulteront pour l’homme et l’animal. »
Et attention, il ne s’agit pas d’une petite échelle de vente. Ces bouteilles peuvent être devisées entre 13 000 à 140 000 euros selon les « besoins » des projets de constructions… Pour rappel également, à ce liquide dit « naturel » est finalement ajouté un colorant artificiel bleu, une fantaisie totalement inutile qui semble vouloir rappeler l’imaginaire scientifique et médical.
Que conclure de tout ceci ? Que Pneumatit nous inonde d’un charabia pseudo-scientifique à grand renfort de sophismes et d’études sans valeur académique pour vendre une image de sérieux. Aucun esprit rationnel ne devrait adhérer à ce genre de discours, pourrait-on penser, d’autant que l’Association Française pour l’Information Scientifique l’avait dénoncé en février 2020. Et pourtant.
Une simple recherche permet de trouver rapidement des entreprises du bâtiment vantant l’utilisation du Pneumatit® comme Sacac en Suisse, Technochape, Alentour et en France. Même la presse lui consacre des papiers positifs bien que prudemment retranchés derrière l’emploi du conditionnel. Ainsi, cet article de Ouest-France du 20 juillet 2018 vantant un « béton réconfortant » aux « bienfaits sur la physiologie humaine » :
Ou encore celui de Dernières Nouvelles d’Alsace titrant le 18 août 2017 que « Le bouche-à-oreille fait son effet » et de L’Alsace du 2 août 2017 sur comment « La biodynamie s’invite dans le béton ». Cette publicité ne surprend guère quand on constate que la plupart des constructions utilisant le Pneumatit® en France se situent précisément en Alsace et en Bretagne. En outre, un nombre important de ces chantiers de construction concernent des éoliennes…
Tous ces éléments suffisent déjà à s’alarmer devant l’ampleur de l’arnaque et de la pénétration de croyances dans les esprits. Pourtant, le pire est à venir comme G Milgram l’a découvert. Car non content de vendre leur produit aux entreprises crédules, Pneumatit perçoit de l’argent, et pas qu’un peu, de l’État français via les subventions octroyées aux chantiers d’éoliennes et l’imposition d’un géobiologue par la préfecture pour obtenir un permis de construire.
… soutenu par l’État
C’est sur cette révélation que G Milgram concluait la première partie de son enquête : des préfectures et des Chambres d’agriculture obligent des entreprises de construction d’éoliennes à avoir recours à des géobiologues pour valider leur emplacement et leur méthode de construction. C’est de ce point que part la suite de son enquête.
Mais d’abord, petit aparté sur la géobiologie. La géobiologie, à ne pas confondre avec la science de la géologie, est définie comme une croyance visant à détecter les champs invisibles qui reliraient le bien-être du vivant à son environnement. Malgré un nom sonnant « scientifique » et prêtant également à confusion avec son homonyme, la « géobiologie » n’en comporte aucun fondement.
Il s’agit d’une branche de la radiesthésie, une autre pseudo-science. Les géobiologues pensent que « tout est énergie » et que « tout vibre », du plus simple objet à la Terre elle-même. Cela se matérialise par la présence de cheminées cosmo-telluriques qui seraient la manifestation d’un échange énergétique entre la Terre et le Ciel.
Il convient selon cette croyance de mesurer le « taux vibratoire » des lieux ou des êtres vivants – animaux et végétaux inclus – pour vérifier la présence d’énergies néfastes soit naturelles (provenant du sol) soit électromagnétiques (wifi, radars, antennes). Un pendule et une échelle de Bovis leur permettent de mesurer ce taux sur les plans physique, énergétique et spirituel pour détecter les zones « géopathogènes » qui altèrent notre santé. Qui se rétablira après une harmonisation (coûteuse), n’ayez crainte.
Pour valider le permis de construire d’un parc éolien donc, les entreprises doivent obtenir une autorisation environnementale auprès de la préfecture. Or pour rendre son avis, la préfecture s’appuie sur la Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) composée des syndicats agricoles et de la Chambre d’agriculture. Et les Chambres d’agriculture s’opposent très souvent à la délivrance de l’autorisation environnementale et donc du permis de construire… à moins qu’un géobiologue soit intervenu.
Car comme G Milgram l’a constaté, les Chambres d’agriculture sont contaminées par les croyances ésotériques au point de proposer des formations de géobiologie comme en Isère, dans la Vienne, dans les Hauts-de-France, dans l’Hérault, en Bourgogne-Franche-Comté, dans la Creuse… Des formations en plus éligibles au crédit d’impôt.
On comprend mieux comment les Chambres d’agriculture en viennent à recommander l’intervention d’un expert géobiologue pour délivrer l’autorisation environnementale. Non seulement elles ont recours à des géobiologues externes, mais elles peuvent également en salarier. Ainsi, la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire dispose depuis 2017 de sa géobiologue attitrée, spécialisée dans l’élevage.
Mais la croyance en la géobiologie s’infiltre encore plus haut dans l’appareil étatique. Ainsi, un rapport parlementaire de mars 2021 sur « L’impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage » s’appuie sur le préfet de Loire-Atlantique qui demande l’intervention d’un géobiologue pour toute installation d’éoliennes afin de généraliser cette pratique non seulement dans l’éolien mais aussi l’agri-voltaïque.
A savoir, selon les informations collectées par G Milgram, que l’expertise d’un géobiologue peut coûter entre 500 et 3000€, auxquels il faut ajouter le prix d’une nouvelle intervention si un souci tellurique a été détecté. Intervention qui peut prendre la forme d’une « information du béton » assorti d' »un protocole énergétique » ou « une dynamisation dans les toupies » selon la méthode Pneumatit® (le revoilà)…
En décembre 2023, un autre rapport commandé par le ministère de l’Agriculture (!) se montrait favorable à des pratiques comme la géobiologie, et envisageait d’en faire le « cœur du sujet » pour le monde de la recherche (page 37). Évidemment, ce rapport a reçu un accueil positif de la Fédération Française de Géobiologie, association composée de professionnels géobiologues. Fine mouche, le rapport reconnait des pratiques douteuses chez certaines géobiologues mais souligne le professionnalisme de ceux appartenant au collectif Prosantel (et dont quatre ont été consultés pour la rédaction dudit rapport…).
De la pseudo-science et des charlatans se retrouvent financés par de l’argent public, à travers des sommes astronomiques, sans que cela ne choque ou n’alerte à aucun échelon de l’Administration. Au contraire même, puisqu’un des deux hauts fonctionnaires co-auteur du rapport ministériel, Dominique Tremblay, se trouve être géobiologue.
Ce dernier a été lauréat en 2017 (dixième promotion) de l’École Française de Géobiologie. Cette école privée forme des géobiologues en leur enseignant l’antenne de Lecher, les énergies cosmo-telluriques nourricières, les réseaux géobiologiques majeurs (Curry et Hartmann), les cheminées cosmotelluriques, l’éco-bioconstruction, les pollutions par les ondes… Une fois diplômés, ses élèves pourront devenir ces experts dont les Chambres d’agriculture imposent l’intervention sur les chantiers de construction. La boucle est quasiment bouclée.
Car il se rajoute un dernier maillon, ces croyances arrivant aussi à être diffusées dans l’éducation publique. Après tout, autant se créer des adeptes et futurs clients dès le plus jeune âge. Ainsi, des élèves de lycées agricoles ont témoigné avoir reçu des cours de kinésiologie, de géobiologie et de biodynamie arrosé d’homéopathie.
Depuis la publication de ses vidéos, G Milgram a reçu de multiples témoignages (et remerciements) confirmant son propos sur ces pratiques pseudo-scientifiques en lien avec des services de l’État. La « Confédération Nationale de Géobiologie » a réagi aux vidéos par un communiqué l’accusant de manipuler les faits.
D’autres voix s’élèvent sur les réseaux sociaux pour dénoncer les procédés anti-science et l’entrisme de la géobiologie dans les plus hautes sphères de l’État. Mais hormis un billet de blog sur Médiapart, pour l’instant aucun grand média ne se fait l’écho de ces révélations. La géobiologie aurait-elle aussi infiltré leurs rédactions ?
– S. Barret