La PAC, une usine à gaz ? Mathieu Courgeau, président du collectif « Pour une autre PAC » et éleveur laitier en Vendée, lors d’une discussion tenue à la Base en visioconférence en février dernier, dénonce : « La PAC est la base de l’agriculture aujourd’hui. C’est un sujet très technique, compliqué… et néanmoins extrêmement politique. Le débat a souvent été confisqué par le monde agricole. Il est essentiel que les citoyens puissent s’exprimer à ce sujet. » Méconnue, la Politique Agricole Commune est âprement débattue en ce moment au sein des institutions de l’Union européenne. Ses prochaines orientations pour 2023 ont de quoi nourrir les inquiétudes. Le modèle d’agriculture peut atténuer ou, au contraire, aggraver les effets du dérèglement climatique. La version française de ce budget qui s’élève à hauteur de 9 milliards d’euros annuels sera rendue à l’été sous le nom de « Plan stratégique national » (PSN). Eclairages.
En 2017, quarante-cinq associations issues de familles différentes, organisations paysannes, de protection de l’environnement et du bien-être animal, de solidarité internationale et citoyennes, ont décidé d’unir leurs forces afin de lutter contre une politique qu’ils jugent toxique. « Il y a une disparition de la biomasse d’insectes depuis 30 ans d’environ 70 %. L’agriculture a une part importante de responsabilité dans cette chute. Environ 25 % du total des émissions de gaz à effet de serre en France sont dues au modèle agricole et alimentaire », rappelle Mathieu Courgeau, qui a été nommé président du collectif l’an dernier. Pourquoi continuer à financer majoritairement un modèle responsable d’un tel désastre ?
« BASTA ! » C’est le nom donné à la dernière campagne du collectif. BASTA ! – un cri de colère – est ainsi l’acronyme des initiales de cinq géants de l’agro-alimentaire, Bigard, Avril, Saveos, Tereos, Agrial : des entreprises, pointe le collectif, hors-sol, et pourtant arrosées de subventions par un gouvernement déloyal. Car si l’exécutif promet aux citoyens le verdissement du modèle agricole, il n’en continue pas moins de soutenir avec vigueur les géants de la distribution. Très présent sur Internet, le collectif invite donc tous les internautes à mettre le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, face à ses responsabilités, par des messages de dénonciation sur les réseaux sociaux ou le courrier du ministère. Plus largement, il souhaite faire entendre l’urgence à ne pas laisser aux technocrates le soin de décider à la place des citoyens.
Le collectif est surtout force de proposition. A la place de la PAC actuelle, il entend insuffler un programme très différent, qui s’organise selon 3 axes majeurs : « Redonner des perspectives aux agriculteurs, faire la transition agro-écologique et relocaliser l’alimentation. Voilà les trois thématiques sur lesquelles on souhaite avancer et pour lesquelles on demande l’appui de nos concitoyens. » Pour rappel, la Politique agricole commune (PAC), née en 1962, a d’abord régulé les prix européens afin de rendre l’agriculture européenne compétitive. Dans les années 1990, les prix ont été dérégulés et un système d’aides a été instauré pour soutenir les agriculteur.rice.s livrés à l’instabilité : ce sont les aides PAC. Aujourd’hui encore, la majorité des agriculteur.rices ont été rendus dépendants de ces subventions qui s’élèvent, environ, à hauteur de 2/3 du leur revenu annuel.
Guide des aides de la PAC : le premier pilier de la PAC
Pour résumer ses grandes lignes, en l’état, les aides actuelles de la PAC reposent sur deux piliers : le premier pilier représente 85 % du budget total. Il rémunère les agriculteur.rice.s en fonction du nombre d’hectares qu’ils possèdent. Ce sont les « aides découplées » (a). Quelle que soit sa méthode de travail, que l’agriculteur emploie ou non des pesticides sur ses prairies, qu’il plante ou non des arbres ou des haies sur ses terres, cette « prime à l’hectare » est intouchable ; pour ne pas faciliter l’affaire, elle varie en fonction des départements, par fidélité à des réglementations dépassées.
Illustration : Basile est éleveur de brebis laitières en Aveyron et possède 60 hectares. Il touchera à peu près 18 000 euros à l’année du seul fait de ces 60 hectares. Autre exemple : Anne est maraîchère bio, toujours en Aveyron, et détient un demi-hectare qu’elle cultive selon les méthodes du « maraîchage sol vivant ». Il y a de bonnes chances pour qu’elle renonce aux quelque 300 euros annuels promis par la PAC, qui impliquent des montages de dossier laborieux et des contrôles. Ce premier paiement est la base : il s’agit des DPB, droits à paiements de base. Dans le jargon, on les appelle parfois « primes à l’hectare ».
Le paiement « redistributif » (b), à hauteur de 50 euros environ par hectare, entend essayer de gommer les fossés nés des inégalités d’accès au foncier et donc aux aides. Il majore les 52 premiers hectares pour aider les petites et moyennes fermes françaises. Cette initiative, saluée par le collectif, a été mise en place en 2015. Il y a aussi le « paiement vert » (c), environ 80 euros à l’hectare par an, qui gratifie l’agriculteur.rice de sommes supplémentaires non pas parce qu’il agrade son territoire, mais parce qu’il consent à ne pas le dégrader ; par exemple, en maintenant ses haies, mares et bosquets en l’état – tout en continuant, s’il le souhaite, à recourir aux pesticides et engrais. Dans les faits, dénonce le collectif, ce dispositif censément « vert » n’a entraîné aucune évolution des pratiques agricoles.
Finalement, le premier pilier a la réputation de transformer les agriculteurs en « chasseurs de terre » lorgnant les parcelles du voisin dans la mesure où elles peuvent augmenter les aides PAC. Conséquence directe : un fonctionnement en « conventionnel », ou chimique, car il n’est pas facile de gérer une plus grande surface, tout.e seul.e, sans lourde mécanisation et intrants (soit les pesticides et engrais).
Enfin, les aides dites « couplées » varient en fonction de la nature des cultures développées. En l’état, elles profitent essentiellement à l’élevage, aux céréales, au sucre et au lait, quelles que soient les conditions dans lesquelles sont traités les animaux. Pour rappel, une grande partie des vaches, moutons, poules pondeuses, poulets et la quasi-totalité des cochons, dindes et lapins français sont élevés en bâtiments et, pour contrevenir à une alimentation énergétique mais peu adaptée à leur organisme (par exemple, en ce qui concerne les vaches et moutons, le maïs ou ray-grass « ensilage », c’est-à-dire fermentés), se voient administrés régulièrement des médicaments.
Le deuxième pilier des aides de la PAC
Le deuxième pilier concerne les aides agro-environnementales (ou MAEC). Il s’est vu renforcer au fil des différentes réformes de la PAC mais ne s’élève qu’à hauteur de 15 % du budget. Ces aides varient d’une région à l’autre. Le collectif regrette qu’elles n’aient pas entraîné de changement significatif d’orientation. En outre, la plupart des agriculteur.rice.s bio ont essuyé des retards de paiements voire quelquefois leur annulation pure et simple. Pour le collectif, en réalité, ce pilier censé soutenir les campagnes françaises ne fait qu’atténuer les dégâts induits par le premier.
Résultat : aujourd’hui, en France, 20 % des agriculteur.rice.s touchent 80 % des aides. Et « un quart des agriculteurs vit sous le seuil de pauvreté », rappelle Mathieu Courgeau. Une grande partie des sols français sont fortement érodés, carencés en matière organique : pour leur rendre vie, il faudra attendre les effets de plusieurs années de fertilisation. Le président du collectif prévient :
« La moitié des paysans vont partir à la retraite dans moins de 10 ans. Il y a un enjeu essentiel à renouveler les générations de paysans. »
Pour une nouvelle PAC : la PAAC, un projet juste et durable
Voici donc un projet fort et essentiel, porté par le collectif : créer une nouvelle génération paysanne. Mathieu Courgeau, président du collectif, le répète : « La moitié des paysans vont partir à la retraite dans moins de 10 ans. Il y a un enjeu essentiel à renouveler les générations de paysans. On a fait un certain nombre de propositions pour orienter les aides en fonction des actifs, non des hectares. » En ce sens, existe un outil de taille : relocaliser. « La relocalisation est un vrai défi. Il faut relocaliser au maximum, je pense notamment à la filière des fruits et légumes. Aujourd’hui, on importe environ 50 % de nos fruits et légumes. Dans un grand pays agricole comme la France, il y a quand même quelque chose qui ne va pas », regrette Mathieu Courgeau. Et pourtant, la France ne manque pas de terres propices au maraîchage.
Le collectif « Pour une autre PAC » propose d’en finir avec la logique productiviste. A la place de la PAC actuelle, il entend créer la PAAC (politique agricole et alimentaire européenne) plus juste, plus démocratique et plus saine pour tous. Le système d’aides qu’il propose prendra en compte à la fois la production et la part potentielle de destruction inhérente à l’activité agricole. Une notion-clé est au cœur de cette nouvelle approche : les « services environnementaux ». Toute atteinte aux sols, à la faune, à la flore, aux animaux, sera passible de moindres subventions.
Dans le programme qu’il détaille sur son site, le collectif entend mettre en place un cercle vertueux : plafonnement des aides, diversification des productions au sein des territoires, notamment à travers la valorisation des légumineuses (peu gourmandes en eau) aux dépens des céréales (plus gourmandes en eau), relocalisation des filières de transformation et d’abattage, suppression des aides aux filières agrocarburants, détricotage des traités de libre-échange et, par conséquent, limitation des transports inutiles, protection des paysanneries du Sud, création d’emplois, amélioration du bien-être animal, meilleure rémunération des agriculteurs et enfin, résilience des territoires, économies drastiques en eau, souveraineté alimentaire, ce qui sera probablement l’enjeu primordial des prochaines décennies.
Pour l’heure, les décisions européennes semblent dommageablement prendre la voie d’un soutien massif à l’ « agriculture de précision », c’est-à-dire, sans langue de bois, la robotisation accélérée des fermes – pour pallier le nombre déclinant d’agriculteurs et faire marcher les entreprises technologiques. Le collectif, qui voit en cette nouvelle orientation un leurre, sinon un grand danger, milite au contraire pour une approche intelligente et sensible du travail de la terre. Notons-le : il souhaite aussi créer des dizaines de milliers d’emplois, une aubaine dans un contexte de crise économique. Son regard sur l’agriculture est complexe (et non compliqué) : « En agriculture, tout est lié. On est obligé d’avoir une approche très systémique, on ne peut pas se contenter de ne travailler que les questions environnementales, sociales, de commerce. Il faut traiter toutes ces entrées d’un seul coup pour avoir une approche efficace dans les nécessaires transitions », conclut Mathieu Courgeau.
Alors que les aléas climatiques et tensions géopolitiques sont appelés à se durcir sévèrement dans la décennie à venir, il est temps, appuie le collectif, que les citoyens s’emparent massivement de ces questions, pour l’heure débattues dans les îlots confinés des ministères et du « trilogue » européen : Commission, Parlement et Conseil. Des questions qui nous concernent tous directement. Il en va de l’accès collectif à la nourriture en Occident et dans les pays du Sud, de la justice sociale et de l’adaptation à un climat de plus en plus déréglé.
Alice Bourgeois
Mise à jour : le collectif réunit à présent 46 associations.
Liens utiles
Le site internet du collectif « Pour une autre PAC », sa page Facebook et son compte twitter
Participer à la campagne « Basta ! » : https://basta.pouruneautrepac.fr
Pour mieux connaître la PAC : https://capeye.fr/
Sur les enjeux agricoles, voir l’association Greniers d’abondance : https://resiliencealimentaire.org/
Sur les micro-fermes : https://fermesdavenir.org/
Bibliographie
De la Terre à l’assiette, M. Dufumier, Allary éditions, 2020
Permaculture, P. et C. Hervé-Gruyer, Actes Sud, 2013
Cessons de détruire notre sol !, Frédéric Denhez, 2014
Nourrir l’Europe en temps de crise, Pablo Servigne, Actes Sud, 2012
Filmographie
Adieu paysans, Audrey Marion, 2014
Le temps des grâces, Dominique Marchais, 2007
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