Dernièrement, une expérience à grande échelle menée dans la ville islandaise de Reykjavik a démontré avec succès que la semaine de quatre jours amenait globalement plus de bien-être au travail, sans sacrifier la productivité. Mais qu’en est-il de l’impact environnemental d’un tel bouleversement dans le monde professionnel ? C’est la question que se sont posée de nombreux chercheurs. Dans son rapport intitulé « Stop the Clock » (« Arrêtez l’horloge »), l’association britannique Platform détaille ainsi les impacts écologiques d’une réduction généralisée du temps de travail, sans réduction de salaire, en se basant sur la littérature scientifique existante. Et la promesse est plutôt attrayante, puisque l’étude estime que la généralisation des semaines de quatre jours permettrait de réduire l’empreinte carbone du pays de 21,3%, soit l’équivalent de l’impact du parc automobile du pays, tant est que cette mesure soit correctement accompagnée.
Publié en mai 2021, le rapport intitulé « Stop de Clock » arrive juste à temps derrière les résultats d’une large expérience menée en Islande. De 2015 à 2019, le gouvernement islandais et la mairie de Reykjavik ont ainsi proposé à 2500 personnes (soit 1% de la population du pays) de passer de 40 heures de travail par semaine à seulement 35 étalées sur quatre jours, sans changement de salaire. Cette semaine raccourcie a été testée dans plusieurs secteurs : écoles, bureaux ou encore hôpitaux, avant l’arrivée de la pandémie. Et les résultats positifs d’un tel changement ne se sont pas fait attendre : de nombreux salariés ont grandement apprécié le temps libre supplémentaire dont ils disposaient et se sentent en général bien mieux une fois retournés à leur poste de travail.
Une semaine de quatre jours pour plus de bien-être au travail…
Surprise : la productive n’a même pas souffert des cinq heures de travail prestées en moins chaque semaine, au contraire. De nouveaux modes de travail ont été développés, comme la diminution de la durée des réunions, la suppression des tâches inutiles ou encore l’amélioration des processus de communication internes. En fin de compte, la semaine de quatre jours apparait pour beaucoup d’Islandais comme la clé du bonheur (au travail du moins), et d’autres pays se disent déjà conquis par la démarche.
Mais qu’en est-il de l’impact environnemental d’un tel bouleversement du monde professionnel ? A l’heure de l’urgence climatique, de nombreux chercheurs et associations clament l’importance d’adapter nos modes de vie à des considérations écologiques et environnementales solides. C’est dans cette optique que le collectif d’associations Platform a, dans le cadre de sa campagne « 4 days week », commandé un rapport visant à définir les intérêts environnementaux d’une telle mesure.
…et 127 millions de tonnes de CO2 évitées par an
Publié en mai 2021, ce rapport se base sur de nombreuses études menées dans plusieurs pays de l’OCDE. Il arrive à la séduisante conclusion qu’une réduction du temps de travail généralisée permettrait de faire baisser de 21,3% l’emprunte carbone du Royaume-Uni, soit 127 millions de tonnes équivalent CO₂ par an. « Dans ce rapport, nous explorons la large gamme des avantages environnementaux du passage à une semaine de travail de quatre jours et comment ceux-ci se manifestent dans la pratique. Nous nous interrogeons sur ce qui devient possible à au niveau du ménage et de la société lorsque les gens ont plus de liberté sur la façon dont ils dépensent leur temps, et comment cela peut-il être bon pour l’environnement », explique ainsi Laurie Mompelat, auteure du travail.
Et les avantages des semaines raccourcies sont multiples : plusieurs études démontrent par exemple qu’une réduction du temps de travail est généralement corrélée à de nettes réductions de la consommation d’énergie, dues notamment à la baisse d’utilisation de l’éclairage des bureaux, des ascenseurs, du chauffage ou de la climatisation mais aussi à l’éloignement des travailleurs des équipements énergivores typiques dans de nombreux emplois.
Au niveau des déplacements aussi les gains seraient énormes. Ainsi, selon les chercheurs de l’Université de Reading, une semaine de travail nationale de quatre jours réduirait le nombre de kilomètres entraînés par les employés se rendant au travail par 558 millions chaque semaine. En plus de l’impact écologique positif d’une telle mesure, elle réduirait aussi drastiquement la consommation de carburant et les frais de déplacement des particuliers.
Rediriger les travailleurs vers des activités peu polluantes
Mais si nous bénéficions tous d’un jour de congé supplémentaire par semaine, qu’en ferions-nous ? Toujours d’après l’Université de Reading, plus des deux tiers des répondants au questionnaire déclarent qu’ils passeraient plus de temps avec leur famille et amis, plus de la moitié assurent qu’ils feraient plus de cuisine à la maison et un quart d’entre eux souhaitent s’engager dans une activité bénévole. A contrario, une étude américaine prouve que les ménages aux temps de travail plus élevés consomment davantage de biens et de services à forte intensité énergétique, tels que les achats de produits alimentaires ultra-transformées ou encore le recours fréquent aux commandes en ligne.
Mais comment s’assurer que le temps libre ainsi créé pour des millions de personnes ne se transforme pas en temps de consommation supplémentaire ? « Par exemple, si les gens utilisaient leurs week-ends de trois jours pour prendre plus de vols pour de courtes vacances, conduire loin pour faire plus de shopping ou même rester à la maison à regarder la télévision avec une forte consommation de chauffage ou de climatisation, le week-end de trois jours pourrait en fait être nocif pour l’environnement » , considèrent ainsi les auteurs du rapport.
Une étude de 2013 intitulée « Friday off : Reducing Working Hours in Europe » (« Vendredi libre : Une réduction du temps de travail en Europe « ) a ainsi conclu que les impacts positifs d’une réduction du travail dépendent également de l’effet « multiplicateur social » des politiques d’accompagnement mises en place et de la coordination entre les travailleurs et leur jour de congé commun. Ainsi, si la réduction des heures de travail est mise en œuvre comme un vendredi de congé général, il est plus probable que les gens puissent coordonner leur temps libre pour des temps conviviaux et que la société se réorganise culturellement vers des habitudes de consommation plus sobres.
Une politique d’accompagnement nécessaire
Les impacts environnementaux négatifs potentiels de la semaine raccourcie peuvent donc être réduits grâce à des politiques complémentaires qui encouragent le temps de loisirs supplémentaire loin des ressources énergivores ou des activités de consommation nocives pour l’environnement. « Les politiques structurelles devraient promouvoir une transition à grande échelle d’une consommation élevée de carbone vers une une société plus conviviale et plus sobre en carbone », plaident les partisans du mouvement #FreeFriday.
Par exemple, une augmentation du financement du secteur culturel – en outre durement touché par la pandémie – peut inciter les citoyens à y passer plus de temps, et donc d’accroître la participation du public. L’expansion des bibliothèques, des centres communautaires et des terrains de sport peuvent également offrir davantage d’activités zéro-carbone dans les quartiers de proximité. De quoi donner des idées et imaginer un monde professionnel plus durable à l’approche de la COP26 qui se tiendra à Glasgow, au Royaume-Uni, en novembre prochain.
L.A.
Source : Rapport « Stop The Clock » : https://6a142ff6-85bd-4a7b-bb3b-476b07b8f08d.usrfiles.com/ugd/6a142f_5061c06b240e4776bf31dfac2543746b.pdf