Corps dénudés, postures suggestives, cadrages resserrés, peaux lisses à tout âge… Quand il s’agit de vendre, l’industrie publicitaire adopte toujours la même rengaine. Début décembre 2023, l’Observatoire de la publicité sexiste, créé par le groupe Résistance à l’agression publicitaire (R.A.P.) dénonçait les pratiques stéréotypées du secteur dans son nouveau rapport dédié au sujet. Devant « l’échec de l’autorégulation », l’association française préconise la création d’une autorité indépendante et l’interdiction des corps dans la publicité.
Chaque jour en France, notre attention est captée sans le vouloir par environ 1 200 messages publicitaires. Magazines, affichages extérieurs, spots radio ou télévisuels, réseaux sociaux ou recherches internet, les publicités s’infiltrent depuis des décennies dans notre quotidien, nous poussant à désirer et consommer sans relâche.
L’influence multiple de la publicité
Au-delà de leur rôle marketing évident, ces pratiques commerciales produisent différentes normes sociales, valeurs ou idéaux sur lesquelles le consommateur se construit en partie.
« Elles véhiculent un imaginaire et structure en ce sens la culture et l’organisation de nos sociétés », reconnait le Ministère de la Transition écologique.
Si dans un monde idéal le phénomène publicitaire inciterait l’ensemble des acteurs à adopter des pratiques plus vertueuses sur un plan environnemental et social, la réalité actuelle tend davantage à renforcer les effets pervers de ces messages subliminaux.
« En effet, les messages publicitaires sont stéréotypés : ils recourent de façon répétitive à des représentations et injonctions similaires », explique l’Observatoire de la publicité sexiste dans un communiqué.
« Lorsque ces messages stéréotypés ciblent certains groupes sociaux, ils contribuent au développement de normes, souvent caricaturales voire discriminantes. C’est notamment le cas en ce qui concerne la représentation des femmes et minorités de genre (…) » ajoute l’Observatoire.
Près de 350 publicités épinglées
Après la publication de son premier rapport en 2021, l’association rend disponible en ligne un formulaire dédié à récolter les publicités jugées sexistes présentent dans le quotidien des individus. De mars 2022 à mars 2023, l’Observatoire récolte au total 349 contribution, dont 285 s’avèrent conformes, à travers toute la France hexagonale et d’Outre-mer.
« L’analyse précise de ces contributions montre que les techniques et les mises en scène observées entre 2019 et 2020 restent utilisées par le secteur publicitaire. Les secteurs d’activité les plus représentés sont ceux de l’habillement et de la parfumerie (55 %) ainsi que l’hygiène et la beauté (18,5 %) qui constituent à eux seuls presque trois-quart des publicités jugées sexistes dans l’échantillon », expliquent les auteurs du nouveau rapport paru le 5 décembre dernier.
Près de 9 publicité sur 10 analysées jouent sur les stéréotypes féminins
Evaluées dans une approche plus qualitative que quantitative, ces données révèlent sans détour l’ampleur du publisexisme dans la société française actuelle, « touchant principalement les femmes et s’appuyant sur des mises en scène stéréotypées : des corps sexualisés, épilés, blancs, minces, jeunes, en position de soumission, de séduction, d’infantilisation, de travail domestique ».
En détail, l’association dénonce plusieurs techniques publicitaires problématiques. La nudité des acteurs publicitaires est en ce sens une technique dite de « shockvertising », qui « vise, par un contenu choquant ou provocateur, à augmenter l’attention du destinataire et la mémorisation du message », même si cela ne sert pas directement la mise en avant des bénéfices du produit vendu. À titre d’exemple, l’Observatoire dénonce cette publicité vendant « un nouveau pantalon relax » porté par une femme dénudée ou encore la mise en scène d’une femme dénudée en lingerie dans un contexte où cela n’a pas lieu d’être : une station de ski.
Un autre des ressorts classiques de la sexualisation est l’usage de postures dites d’« auto-contact » : « les femmes sont très fréquemment représentées en train de toucher diverses parties de leur propre corps, sans raison apparente et au prix de contorsions parfois grotesques ». Ce type de pose vise en réalité à érotiser le corps féminin, les femmes étant à la fois présentées comme objets de séduction et constamment « préoccupées de leur propre corps, de leur image et de leur capacité à plaire ».
Entre séduction et injonctions : les femmes sont toujours perdantes
De manière générale, les injonctions les plus fréquentes à l’égard du genre féminin restent la minceur, la jeunesse et une peau lisse à toute épreuve (comprenez : dénuée de poils). Malgré la tendance du body-positivisme prônée par quelques grands noms du prêt-à-porter ces dernières années, les représentations du corps idéal renvoyées par le secteur restent figées dans le temps d’après la majorité des publicités épinglées.
« Les corps représentés répondent aux mêmes normes discriminantes (minceur, blanchité, jeunesse, épilation) et/ou irréalistes (par l’emploi de mannequins et le recours systématique à la retouche photographique) que précédemment ».
« Quand, parfois, des corps moins normés sont représentés, c’est pour être soumis à de semblables traitements sexualisants », analyse l’Observatoire. Les hommes quant à eux, « restent dans le rôle du sachant, fort et protecteur », tandis que le modèle du couple est « systématiquement hétéronormé et le partage des tâches toujours aussi genré ».
« L’auto-régulation est un échec »
Face à ces constats, l’Observatoire conclut à l’insuccès des mesures censées réguler l’industrie publicitaire. Alors que les mentions légales, les chartes de bonne conduite et les instances d’autorégulation se multiplient ces dernières années, elles semblent malgré tout échouer « à filtrer ou contrebalancer ces campagnes » selon l’association.
R.A.P. préconise alors la création d’une autorité indépendante, dotée de réels pouvoir de régulation, l’inscription de l’interdiction du sexisme publicitaire dans la loi ainsi que la suppression pure et simple de la représentation des corps humains en publicité.
« Face à un publisexisme qui se perpétue et s’accommode de toutes les chartes ou comités d’éthique, il nous faut des lois. Si la publicité prétend nous transmettre des informations sur des produits, ce sont les produits qu’elle doit montrer », déclare Jeanne Guien, porte parole de l’organisation dans le communiqué.
– L.A.
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