
« Ces géants de la grande distribution doivent changer leurs recettes dès maintenant », exige Foodwatch, une association de défense des consommateurs spécialisée dans l’accès à une alimentaire saine pour toutes et tous. Dans une nouvelle enquête parue le 15 janvier 2025, l’ONG dénonce les quantités de sucre effrayantes ajoutées dans les produits transformés vendus en supermarché.
La nourriture la moins chère est aussi la plus sucrée, selon une nouvelle enquête de Foodwatch. Avec plus de 400 produits analysés dans 12 catégories alimentaires, l’ONG s’attaque aux sucres ajoutés dans les produits vendus en supermarché et pointe la responsabilité des géants français de la grande distribution.
Derrière leurs slogans en faveur du pouvoir d’achat des consommateurs, E. Leclerc, Auchan, Carrefour, Coopérative U et Intermarché « alimentent un système à double vitesse » aux conséquences sanitaires dramatiques pour les plus précaires.
Sucre ajouté, sucre caché
Premier constat : sur plus de 400 produits analysés dans 12 catégories alimentaires différentes, 85% d’entre eux contiennent du sucre ajouté. « Or, on ne parle pas de bonbons, de biscuits ou de sodas, mais bien de produits dans lesquels non seulement on ne s’attend pas à trouver du sucre ajouté, mais dans lesquels on ne devrait tout simplement pas en trouver », regrette Foodwatch dans un communiqué.

Biscottes, pains de mie, pizza surgelée, mayonnaise, crackers, guacamole, pesto et même conserves de petits pois ont ainsi été soigneusement analysés pour révéler la présence de sucre ajouté par les industriels, que ce soit sous forme de glucose, fructose, dextrose, maltose ou saccharose par exemple.
Moins cher, mais à quel prix ?
Rapidement, l’association fait un deuxième constat : moins c’est cher, plus c’est sucré et plus c’est cher, moins c’est sucré.
« On constate que c’est parmi les produits les moins chers qu’on trouve en moyenne les plus sucrés. À l’inverse, les produits les plus chers contiennent en moyenne moins de sucre ».
Selon les produits étudiés, les cinq pots de mayonnaise les moins chers contiennent ainsi en moyenne 417 % de sucre en plus que les cinq plus chères, soit 3,44 gr contre 0,67 gr de sucre pour 100 gr de produit.
Autre exemple avec les pizzas surgelés, dont les cinq exemplaires les moins chers contiennent en moyenne 183 % de sucre en plus que les cinq plus chers. La liste continue avec les cacahuètes enrobées (+20%), le guacamole (+127%), le pesto (+25%) ou les cordons bleus (+30%). « En somme : si vous voulez éviter ou au moins réduire les sucres ajoutés dans votre alimentation, il faudra sortir plus d’argent de votre portefeuille », résume Foodwatch.
Pour l’organisation, un vrai problème de justice alimentaire se pose au vu de ces résultats. Alors que les messages de prévention santé nous martèlent de ne pas manger « trop gras, trop sucré, trop salé », il semble difficile voire impossible de respecter ces recommandations pour les ménages les plus précaires. « Non seulement l’offre alimentaire est trop sucrée, mais si votre budget est serré, vous ne pourrez pas faire le meilleur choix pour votre santé », défend Audrey Morice, chargée de campagnes pour Foodwatch France.
« C’est la double peine pour les personnes précaires »
Souvent contraintes par leur environnement alimentaire et leur portefeuille, les personnes précaires sont malheureusement « les premières victimes de maladies liées à une mauvaise alimentation », constate Foodwatch. À titre d’exemple, si près de 8,5 millions d’adultes en France sont touchés par l’obésité, la pathologie est deux fois plus répandue dans les catégories les plus modestes du pays.

La consommation excessive de sucre est un des facteurs de surpoids, et peut selon l’OMS entraîner le diabète de type 2, des maladies cardiovasculaires et même certaines formes de cancer. « C’est la double peine pour les personnes précaires : elles doivent aller vers les produits à bas prix, ce qui les expose à des impacts sur la santé », explique Karine Jacquemart, présidente de Foodwatch, à Reporterre.
De grandes marges pour la grande distribution
Pour l’ONG, le coupable est tout désigné : « les industriels et la grande distribution portent la responsabilité de cette offre, biaisée et discriminante, et de ses conséquences ». Si les résultats de l’enquête ne peuvent pas être généralisés à toutes les gammes de produits présentes dans les supermarchés, ils démontrent toutefois « une tendance inquiétante » qui appelle à un changement de pratique des distributeurs et une meilleure régulation du secteur de l’industrie.
En 2023, une étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), portant sur 54 000 produits alimentaires transformés, révèlait que 77 % d’entre eux – soit trois sur quatre – contenaient du sucre ajouté. « En utilisant largement le sucre, une matière première peu coûteuse, l’industrie agroalimentaire incite à la consommation car elle habitue les consommatrices et consommateurs à ce goût sucré », dénonce Foodwatch.
L’organisation pointe notamment la « double responsabilité » des cinq principaux supermarchés français – Auchan, Carrefour, E. Leclerc, Coopérative U et Intermarché – qui contrôlent à eux seuls plus de 80% du marché.
« D’une part, en tant que fabricants de leurs produits de marques de distributeur (MDD), ils sont responsables de la composition et de la qualité de ces produits dans lesquels on trouve trop de sucre. D’autre part, en tant que distributeurs, ils décident du prix des produits en vente dans les rayons »
Alors que les slogans « engagés » en faveur du pouvoir d’achat du consommateur s’enchaînent ces dernières années – « Les prix bas, la confiance en plus » (Carrefour), « Le meilleur du quotidien au meilleur prix », « contre la vie chère » (Intermarché), « Ça fait du bien quand on arrête de compter » (Auchan) – Foodwatch constate que 99% des produits les moins chers de l’enquête sont des produits de marques distributeur, contenant statistiquement beaucoup plus de sucres que les produits concurrents plus chers.
« Elles ont fait du prix bas leur crédo, en s’affichant comme les alliées de notre pouvoir d’achat. Mais à quel prix ? Celui de la santé des consommateur·rices ? »
Il est temps de changer de recette
L’association de protection des consommateurs appelle les entreprises alimentaires à « revoir leur copie et améliorer leurs recettes », et plaide en parallèle pour une plus grande réglementation du secteur. « Des mesures urgentes de santé publique doivent être remises au cœur des débats pour agir concrètement et rapidement sur les 400 000 décès évitables et imputables, selon l’OMS, à l’industrie agroalimentaire ».
Dans un dossier consacré plus amplement au sujet, Foodwatch plaide notamment pour le Nutri-Score obligatoire dans tous les Etats membres de l’Union européenne, l’interdiction de la publicité et du marketing pour la malbouffe ciblant les enfants et la mise en place de taxes sur les boissons sucrées et édulcorées. Finalement, en tant que citoyen, on peut continuer à s’informer, privilégier les produits bruts et signer la pétition lancée par l’organisation.
– Lou Aendekerk
Photo de couverture : Montage Mr Mondialisation x Wikimedia