Victime pendant plusieurs mois d’agressions sexuelles et de menaces de mort au travail, Clara* a fait face à l’inaction de ses employeurs et au rejet de ses demandes devant la justice. Dans le témoignage qui suit, elle raconte sans filtre le parcours de l’impossible pour les femmes harcelées et violentées qui veulent faire entendre leur voix et faire valoir leurs droits.
« Je travaillais en tant que Manager en restauration. J’étais responsable de service ; j’ouvrais et je fermais le magasin, je gérais le personnel et avais accès à l’argent dans le coffre.
Mon harceleur, Jérôme*, était un grade en dessous de moi.
Blagues douteuses et allusions sexuelles
Tout a commencé par des blagues douteuses, des allusions à propos de mes fesses, ou des regards insistants et mal placés. Au bout d’un mois de travail, il a pris l’habitude de venir dans le vestiaire des filles en caleçon pendant que je me changeais et que j’étais seule, pour se « mettre en avant » devant le miroir. À chaque fois, je lui demandais sèchement de partir. En dépit de mes oppositions, la situation s’est rapidement dégradée. Jérôme a commencé à insister pour que je « couche avec lui ». Face à ses « propositions », la plupart du temps, je partais, gênée, et sans rien répondre.
Ce n’est pas faute d’avoir alerté mes supérieurs à propos de la situation. Mais ces derniers n’ont pas pris mon propos au sérieux, pour des raisons que je ne saurais expliquer. Comment vouliez-vous que je réagisse devant cet homme si je n’étais pas soutenue ?
Je me souviens du soir où ça a vraiment dérapé une première fois. Ce soir là, je fermais. Et comme d’habitude, Jérôme ne faisait rien d’autre que de faire ce qu’il voulait. Je me souviens le voir assis sur la poubelle de la ligne de caisse en jouant sur son téléphone.
Et puis, brusquement, il s’est collé à moi, m’a bloquée contre le « passe » qui relie cuisine à caisse. Je ne pouvais plus bouger.
Il m’a cerclé de ses bras et tandis qu’il était collé contre mon dos, il s’est mis à se mouvoir et à danser contre moi, frottant son pénis en érection contre mes fesses. Je ne pouvais pas le laisser faire alors je l’ai repoussé violemment en criant. Il est parti avec un regard mauvais.
La direction ne réagit pas
Le lendemain, j’ai immédiatement alerté la direction. L’information est remontée. Et quelques jours, après mon agresseur venait me chercher pendant un service que nous avions en commun pour me cracher à la figure le fait que ce qui s’était passé l’autre soir « n’était qu’un jeu ». Il me faisait payer pour avoir osé me plaindre.
Après cet épisode, il est devenu de plus en plus virulent : il ne cessait de me rabaisser, de me juger. Il me traitait de tous les mots et dès qu’une personne arrivait vers nous, il changeait brusquement d’attitude pour faire croire que nous menions une conversation normale. De la manipulation la plus perverse qui me mettait constamment en porte-à-faux vis-à-vis de mon employeur, qui ne voyait pas de quoi je me plaignais.
Peu à peu je suis entrée dans une bulle noire. Malgré le harcèlement physique et moral que je subissais, la directrice protégeait Jérôme. De mon côté, j’ai commencé à avoir peur d’aller au travail. Le soir, quand je rentrais chez moi, je composais le numéro vert pour les victimes d’agressions sexuelles. J’en étais au point d’avoir peur de sortir.
Menaces de mort
Puis il a commencé à me menacer de mort. Plusieurs fois et ce dans le cadre du travail. À trois reprises, il est venu se coller nez à nez avec moi. Il m’a dit qu’il allait me frapper, me tuer, que je n’étais qu’une hypocrite, que je n’avais rien à faire là, que j’étais inutile.
La dernière altercation a été la plus violente. J’avais décidé de me défendre, de ne plus lui laisser le dessus. Ce jour-là, le directeur adjoint l’avait fait partir se changer pour qu’il ne soit pas sur mon service. Une fois changé, il est venu me chercher en tenue civile en désignant la caméra du doigt en me criant qu’il n’était pas fou, qu’il ne me frapperait pas devant les caméras, qu’il m’attendrait jusqu’à la fermeture s’il le fallait. Témoin de la scène, le directeur adjoint l’a calmé et a proposé un échange dans le bureau. Jérôme m’a insulté tout du long. Et tandis que je luttais pour ne pas lui faire le plaisir de pleurer, je n’avais qu’une idée dans la tête : sauter par la fenêtre. Pas pour mourir. Mais pour dire « stop, je vous en supplie, je ne peux pas plus. »
Quelques semaines plus tard, les entretiens annuels réalisés au sein de l’établissement auprès des salariés ont mis en évidence que je n’étais pas la seule victime de Jérôme et qu’il avait des comportements similaires avec une autre collègue. Nous avons alors décidé de porter plainte. Elle pour agression sexuelle, et moi pour agression sexuelle, menace de mort réitérée et harcèlement moral. Énième désillusion.
« Si vous ne vous entendiez pas bien, pourquoi serait-il venu vous toucher ? »
La plainte de ma collègue a été classée sans suite. La mienne pour agression sexuelle a également été classée sans suite, tout comme celle pour menace de mort.
Lors de ma confrontation avec mon agresseur, les agents de police en présence ont prétexté son énervement pour expliquer ses menaces à mon encontre. Face aux agents, il a suffi à Jérôme de dire qu’il n’avait aucune intention de me tuer pour s’en sortir. Mais le pire ? La policière a suggéré que mon histoire était bancale puisque, selon elle, si on ne s’entendait pas bien il n’avait aucune raison de me toucher.
C’est comme ça que l’on en est venu à me traiter de menteuse.
J’ai mis 4 mois après la confrontation pour ressortir de chez moi parce que j’avais peur de le croiser ainsi que ses amis. J’ai dû combattre ma dépression et je n’ai toujours pas arrêté de ressasser cette histoire. Je n’ai toujours pas de réponse en ce qui concerne ma plainte pour harcèlement moral et je n’ai jamais compris pourquoi ma plainte pour agression n’a pas été retenue alors que deux caméras de sécurité peuvent attester de ses actes à mon encontre.
En France, en 2019, un an après #metoo, les violences contre les femmes restent taboues. Que ce soit dans le cadre professionnel ou devant la justice, notre parole n’est pas écoutée, nous ne sommes pas prises au sérieux. Et quand on ose s’exprimer, on arrive encore à être rendues coupables pour les violences dont nous sommes victimes. »
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* Tous les prénoms ont été modifiés