Lundi 15 décembre, la Belgique a été entièrement bloquée par le plus important mouvement de grève depuis 30 ans, à l’appel de l’ensemble des syndicats de travailleurs et de nombreuses associations. Grévistes et manifestants protestent contre les mesures d’austérité annoncées par le gouvernement fédéral pour satisfaire aux exigences de Bruxelles.
Transports en commun, trains, avions, écoles, postes, administrations, hôpitaux, docks, commerces, usines, entreprises : lundi dernier, tous les secteurs de l’économie belge étaient en service minimum ou paralysés par une grève générale historique, autant dans le public que dans le privé.
Cette journée d’action est le point culminant d’un mouvement de contestation sociale démarré au mois d’octobre suite aux mesures d’austérité annoncées par le nouveau gouvernement fédéral de droite, une alliance entre libéraux, sociaux-chrétiens et nationalistes flamands dirigée par le très libéral Charles Michel.
Déjà le 7 novembre dernier, une manifestation nationale avait réuni entre 100 000 et 120 000 personnes dans les rues de Bruxelles – pour un pays de 11 millions d’habitants – réunissant la totalité des syndicats et de nombreuses associations et collectifs. Entre-temps, de nombreuses manifestations régionales ont eu lieu dans tout le pays.
Parmi les mesures annoncées :
– Recul de l’âge de la retraite (67 ans en 2030 contre 65 ans aujourd’hui)
– Blocage des salaires (fin de l’alignement des salaires sur l’évolution des prix)
– Coupes budgétaires dans les services publics (transports, santé, culture, recherche)
– Nombreuses mesures visant les chômeurs (allongement du délai entre l’inscription au ‘pôle emploi’ et le début du versement des allocations pour les jeunes qui sortent des études, dégressivité accrue des allocations, limitation dans la durée des allocations d’insertion, service d’intérêt général obligatoire)
Au total, l’accord gouvernemental prévoit une économie de 11 milliards d’euros d’ici 2018. Mais comme tous les programmes d’austérité pratiqués en Europe – et dans le monde – celui-ci semble toucher principalement les classes modestes et moyennes en épargnant les grandes entreprises, les banques et les plus fortunés.
« Manifestement, le gouvernement n’avait pas pris la mesure de l’ampleur du mouvement, de la solidité du front commun et du succès des manifestations et grèves. On se rend compte que ce qui ne passe pas dans l’accord de gouvernement, ce n’est pas tellement l’ensemble des mesures destinées à assainir les finances et alléger les charges des entreprises. Non, ce qui ne passe pas, c’est le déséquilibre entre les mesures, nombreuses, qui touchent les bas revenus et les classes moyennes et celles, très rares, qui touchent les plus fortunés », observe le quotidien Le Soir
« En réalité, ce qui unit les gens, c’est le sentiment d’injustice. Une large partie de l’opinion considère que les sacrifices qu’on impose aux gens ne sont pas équilibrés. Un sentiment renforcé par l’actualité comme Luxleaks et les mesures qui permettent aux grandes entreprises de ne pas payer d’impôts. L’idée progresse que le gouvernement exécute trop le programme du patronat », indique de son coté le politologue Dave Sinardet, de l’Université d’Anvers.
En effet, la Belgique est souvent considérée comme très clémente vis-à-vis des grandes entreprises, à qui elle offre une fiscalité « paradisiaque » par le biais de nombreux mécanismes de déduction fiscale pouvant faire tomber le taux d’imposition à un seuil de 2,8%, pour un taux théorique de 33,99%. Il faut ajouter à cela qu’il n’existe pas d’impôt type ISF (Impôt Sur la Fortune) en Belgique ni de taxation sur les plus-values immobilières. Celle appliquée sur les plus-values des actions est à 8%, contre 37% en moyenne en Europe. Enfin, le pays est considéré par l’OCDE comme le champion européen de la taxation sur le travail, pesant de tout son poids sur les travailleurs au profit du capital.
Cette colère populaire est également exacerbée par le scandale du Luxleaks, qui a révélé que le Luxembourg, paradis de la fraude fiscale, avait passé des accords secrets avec des multinationales (y compris belges) afin de leur permettre d’économiser des milliards de dollars d’impôts sur les bénéfices. L’ancien Premier Ministre du Luxembourg, en poste quand ces pratiques ont été mises en place, n’est autre que Jean-Claude Juncker, le nouveau président de la Commission Européenne…
Les manifestations lancées en Octobre puisent donc aussi leurs sources dans ces très fortes inégalités fiscales – et donc sociales. Le gouvernement, de son côté, est bien décidé à ne rien céder et à obéir aux injonctions de la Commission Européenne. Mais aura-t-il vraiment le choix ?
Sources: L’Humanité / La Croix / Le Vif