On pense souvent que les désastres liés au réchauffement climatique toucheront en priorité les pays du Sud. C’est vrai, mais pas seulement. Une étude récente signale que l’Europe ne sera pas en reste. Selon les scientifiques, suivant un scénario moyen, deux Européens sur trois seront directement affectés par des catastrophes climatiques dans les années à venir. Des chiffres qui font écho à l’actualité récente en France et en Europe, entre sécheresse galopante et feux de forêts. Ailleurs, c’est la montée des eaux qui menace. Le bilan est clair : comme les autres, l’occident devra affronter les conséquences du changement climatique.
« Le changement climatique est l’une des plus grandes menaces du XXIe siècle pour la santé humaine. À moins que le réchauffement soit freiné d’urgence et que des mesures appropriées soient prises, environ 350 millions d’Européens pourraient être exposés annuellement à des extrêmes climatiques néfastes d’ici à la fin du siècle [contre 25 millions au début des années 2000]. » C’est ce que confie Giovanni Forzieri, le premier auteur d’une nouvelle étude publiée dans le journal Lancet Planetary Health le 4 août dernier. L’étude a été commandée par le Centre commun de recherche de la Commission européenne, basé en Italie, pour déterminer la vulnérabilité des populations européennes face au réchauffement.
2300 dossiers traités
« Les gouvernements devraient s’atteler plus sérieusement à chercher des mesures d’adaptation convenables », ajoute Forzieri. « Si aucune mesure d’adaptation n’est prise, ces estimations sont vraiment très alarmantes ». Dans leur rapport, Forzieri et ses collègues décrivent les moyens « dernier cri » qu’ils ont utilisé pour prévoir à quelle fréquence et où en Europe les désastres climatiques étaient le plus susceptible de se produire. Le scénario qu’ils ont choisi est le plus probable selon une majorité de scientifiques. Si le monde suit son cours actuel en matière de production/croissance/pollution, c’est-à-dire ne respecte pas les accords de Paris, l’augmentation de température moyenne sera de 3°C d’ici à 2100 au lieu des 2°C prévus. Mais ce chiffre est-il parlant pour tout le monde ?
Pour calculer les conséquences de cette augmentation, les chercheurs ont rassemblé plus de 2300 dossiers de catastrophes ayant eu lieu entre 1981 et 2010, qu’ils ont combiné avec les projections sur l’évolution du climat et de la démographie, dans les 28 pays de l’Union Européenne, auxquels il faut ajouter la Norvège, la Suisse et l’Islande. À partir de cette base de données « très importante et de qualité », ils ont calculé une valeur fixe de la vulnérabilité humaine pour chaque événement météorologique : vagues de chaleur, de froid, feux de forêt, sécheresses, inondations fluviales et côtières, tempêtes.
Selon Robert Vautard, directeur de recherche au CNRS spécialisé dans les sciences du climat européen : « C’est le premier rapport aussi complet sur les événements extrêmes en Europe, mais aussi sur l’exposition des populations à ces événements. »
Des catastrophes météorologiques plus nombreuses et violentes
En ce qui concerne l’impact sur les Européens, l’équipe a constaté que deux personnes sur trois en Europe pourraient être affectées par des catastrophes météorologiques annuellement d’ici la période 2071-2100 – environ 351 millions de personnes. De plus, le nombre de décès pour cause climatique devrait être multiplié par 50 d’ici 2100, atteignant le chiffre impressionnant de 152 000 décès annuels, contre 3 000 par an entre 1981 et 2010. Ceux qui vivent dans le sud de l’Europe, c’est-à-dire l’Italie, la Grèce, l’Espagne et le sud de la France, devraient être les plus durement touchés, avec 64 fois plus de décès. On retrouve ainsi les disparités face à aux catastrophes à l’échelle de l’Europe.
La principale cause de cette hausse effrayante, disent les chercheurs, c’est la chaleur. Les vagues de chaleur devraient avoir les effets les plus meurtriers, représentant 99% des décès attendus. « L’exemple le plus marquant est celui de la canicule de 2003 », rappelle Giovanni Forzieri, qui a fait plus de 70 000 morts en Europe. Ces chiffres font tristement écho à notre actualité récente, jalonnée par la sécheresse dans 81 départements français, par le record de température nocturne atteint en Corse (30,5 °C) et par les violents incendies du sud de l’Europe, dont l’Express écrivait : « C’est tout le sud du continent qui s’embrase. De violents feux de forêt font rage depuis plusieurs jours en Europe : Portugal, France, Italie mais aussi Croatie où les flammes ont atteint la banlieue de Split ».
Toujours selon l’étude, les inondations côtières, dues surtout à l’élévation du niveau des mers, provoqueront 40 fois plus de morts et des dégâts matériels importants, surtout en Slovénie, en Irlande et en Norvège. « Le changement démographique ne jouera qu’un rôle marginal par rapport au changement climatique [en cas de risque croissant] » précisent les chercheurs. Mais selon Forzieri, l’analyse ne prend pas en compte les effets indirects sur la santé publique, ce qui suggère que les problèmes allant des maladies cardiovasculaires aux troubles de santé mentale pourraient devenir plus répandus, alors que les pressions exercées sur les services de santé et d’autres ressources pourraient également être considérables. La projection serait donc sous évaluée.
Les catastrophes liées au climat, ajoutent les auteurs, sont également susceptibles d’affecter de manière disproportionnée les malades, les pauvres et les personnes âgées – un facteur qu’ils considèrent comme préoccupant compte tenu du vieillissement de la population en Europe.
Alors, on fait quoi ?
Quelles perspectives d’adaptation proposent les auteurs ? Ils soulignent l’importance de l’accord sur le climat de Paris, ajoutant que l’amélioration de l’urbanisme et la sensibilisation du public sont cruciales. Hélas, le manque de volontarisme écologique de nos élus politiques est devenu un lieu commun, comme semble le révéler la risible proposition que fait Robert Vautard dans Le Monde, de « peindre les toits en blanc » pour « éviter l’absorption du rayonnement solaire ». Sans commentaire.
« Outre une réduction drastique des émissions mondiales de gaz à effet de serre, [il faudrait] un aménagement urbain adapté, de meilleures climatisations et isolations thermiques, un changement d’usage des sols… » propose-t-on dans le même journal. Dans une Europe où le contrôle drastique des dépenses publiques et le souhait de libéraliser un peu plus le marché est devenu la règle, on voit mal à ce stade comment ces plans de sauvetage pourraient être accomplis. Comment générer cette transition sans interférer sur les intérêts privés de grands groupes industriels directement impliqués dans la destruction du climat ?
L’étude, cependant, n’est pas à l’abri des critiques. Ce qu’on lui reproche, c’est d’être assez vague sur les chiffres. Ainsi, David Alexander, professeur de réduction des risques et des catastrophes au University College de Londres, a déclaré qu’il était très difficile de prédire « les chiffres de la mortalité résultant des dangers liés à la météo, car il y a plein d’autres facteurs qui […] ne sont pas pris en compte […] » dont la capacité des humains à s’adapter à un milieu changeant. Cette remarque de bon sens n’ôte rien à ce qui demeure certain : les changements climatiques vont peser sur nos conditions de vie autant que les pollutions annexes à notre développement. On peut donc conclure avec Paul Wilkinson, professeur d’épidémiologie environnementale à Londres, que l’étude constitue une très juste, et très alarmante « expérience de pensée ».
Sources : The Lancet Planetary / Le Monde / The Guardian