Mercredi 27 avril, une (nouvelle) plainte pour viol a été déposée à l’encontre de Patrick Poivre d’Arvor pour des faits remontant à 1995 alors que la plaignante finissait tout juste ses études et venait d’être embauchée à TF1. Sa démarche fut encouragée par l’action de la journaliste Florence Porcel qui, la première, a eu le courage de porter plainte pour viol en février 2021 contre l’ancien journaliste de TF1, libérant la parole de nombreuses autres victimes présumées. A travers cette affaire de grande ampleur – plus de 20 femmes ont dénoncé l’ex-star du PAF – nous retrouvons un schéma tristement bien connu : celui de l’impunité d’une figure célèbre renforcée par la culture du viol : « tout le monde savait » (mais personne n’a osé parler). De PPDA à la Culture du Viol en France.
Après Matzneff, Dominique Strauss-Kahn, Harvey Weinstein, Nicolas Hulot et d’autres… c’est au tour de Patrick Poivre d’Arvor, alias « PPDA » d’être accusé de violences sexuelles à l’encontre de femmes. L’omerta a été brisée par la journaliste Florence Porcel qui avait porté plainte en février 2021, accusant l’ancien présentateur d’un viol en 2004 et d’une fellation forcée en 2009.
Sa plainte, s’ajoutant à celles de sept autres femmes accusant le présentateur de faits similaires, ont été classées sans suite en juin 2021 pour manque d’éléments ou prescription. Circulez, il n’y a rien à voir… Mais la journaliste n’a pas baissé pas les bras pour autant. Elle a déposé une nouvelle plainte en décembre 2021 concernant des faits non-prescrits. Au même moment, une nouvelle plainte pour viol était enregistrée. L’enquête est toujours en cours.
En tout, ce ne sont pas moins de 27 femmes qui accusent l’ancienne gloire du PAF de viol, de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle. 15 ont porté plainte à ce jour. En plus des victimes, de nombreux proches du personnages témoignent manifestement en sa défaveur : chez TF1, il était de notoriété qu’il ne fallait pas se retrouver seul dans un ascenseur avec lui. De son coté, le mis en cause nie tout en bloc et accuse le « lot d’excès et de dérives » du mouvement #MeToo allant jusqu’à récemment porter plainte à son tour pour diffamation contre 16 femmes ayant témoigné/porté plainte contre lui.
Le présentateur, aux nombreuses amitiés à l’Élysée, les accuse toutes de mentir sans exception. Il avait par ailleurs déjà porté plainte pour dénonciation calomnieuse contre Florence Porcel, plainte classée sans suite.
Affaire PPDA : cas pratique la culture du viol et sa loi du silence
L’affaire PPDA a cela de remarquable qu’on y retrouve de nombreuses similitudes avec celles d’autres hommes célèbres accusés de viols et/ou d’agressions sexuelles. Leur point commun essentiel étant d’être des personnes influentes dans leur milieu, donc ayant un pouvoir important sur les individus.
Dans la majorité des cas, leur entourage professionnel « savait » et n’hésitait pas à prévenir les nouvelles venues des risques, parmi lesquelles les futures victimes : « ne reste jamais seule en privé avec lui », « s’il vient toquer de nuit à ta chambre d’hôtel, n’ouvre pas », « ne soit pas seule dans l’ascenseur avec lui« … Dans le cas de PPDA, certains refusaient même d’envoyer des stagiaires à TF1, comme cette directrice d’une école de journalisme, pour éviter qu’elles soient en contact avec l’homme à l’appétit sexuel et au comportement, une fois encore, bien connus.
Le revers de cette notoriété et influence – celles-là même qui les rendaient intouchables si longtemps – est que, dès lors qu’une victime brise la loi du silence, le retentissement est bien plus large que si l’accusé était un parfait inconnu. Ceci donne le sentiment erroné qu’une cabale ciblerait les personnalités influentes. La réalité : c’est que le viol et le harcèlement sexuel sont encore légion en France, dans toutes les classes de la société.
En effet, on estime à 75 000 le nombre de viols par an en France, pour moins de 15 000 cas déclarés aux autorités. Il ne faut pas s’y tromper, si dans le cas d’un homme influent, le traitement médiatique de l’affaire diffère forcément de par son ampleur, on trouve également nombre de points communs avec les violences sexuelles commises par des anonymes. Simplement, les affaires impliquant des célébrités mettent davantage en lumière la culture du viol qui gangrène la société : ce pouvoir centralisé permettant la démultiplication du nombre de victimes.
Culture du viol pour toutes
Parfois restées silencieuses durant des décennies, les victimes peuvent un jour décider de parler pour se libérer enfin du poids de leur traumatisme en dénonçant leur agresseur et les faits qu’elles ont subis (faits qui sont parfois prescrits ou ont donc peu de chances d’être jugés, faute de preuves).
Les victimes endurent alors une double peine. Le premier effet, c’est que dans l’écrasante majorité des cas, leur parole sera immédiatement remise en doute. Ensuite, on les critiquera ouvertement, sur leur tenue par exemple, comme pour excuser l’agresseur (pauvre homme primitif incapable de se contrôler sexuellement…) et conclure qu’en fait, « elle l’a finalement bien cherché« .
C’est parfois même la triple peine, car elles risquent également un procès-bâillon pour diffamation en particulier si l’accusé est une célébrité ayant les moyens financiers de s’offrir les services d’un avocat prestigieux. Même quand les victimes sont très nombreuses, comme dans l’affaire PPDA, certains arrivent encore à s’imaginer qu’elles se seraient concertées en secret pour lui nuire alors qu’elles n’ont pas travaillé à la même époque avec leur agresseur et qu’elles ne se sont jamais côtoyées. Le fameux mythe fallacieux de la femme « sournoise et manipulatrice » qui avait mené aux tristement célèbres chasses aux sorcières…
À n’en pas douter, l’imaginaire est fécond pour défendre un violeur potentiel et accabler celles qui prennent le risque de porter accusation. Étrangement, ceux qui n’hésitent pas à défendre les célébrités accusées d’un viol sont les mêmes à rappeler que la justice doit faire son travail. Le problème, c’est précisément que cette justice est souvent déficiente dans les affaires de viols. Rappelons qu’environ 80% des plaintes pour viol sont classées sans suite en France. Aujourd’hui la « Justice » est manifestement du côté des violeurs et le mouvement #MeToo n’y a – à ce jour – rien changé.
On retrouve, dans l’opinion, toujours le même type de sémantique teintée de suspicion par défaut, et ce dans toutes les affaires, personnalité influente ou non, qui est mise en cause : « Pourquoi n’a-t-elle pas porté plainte immédiatement ? » ; « Pourquoi elle ne s’est pas défendue physiquement ? » ; « Pourquoi agir si longtemps après » ? (NB: il existe de multiples raisons simples et légitimes à cela si on se donne la peine de les entendre).
Naturellement, quand il s’agit d’une personnalité publique, avec des appuis politiques et médiatiques, aimée du public (par fanatisme ou sentimentalisme mal placé), la victime a encore moins de chance d’être crue par défaut.
On l’accusera de mentir pour vouloir « faire parler d’elle », « d’avoir couché pour obtenir une promotion puis pour se venger » , « de briser la vie et la carrière d’un homme » (mais la sienne, qui s’en soucie ?) et ce, même si dans le microcosme où l’agresseur opérait, tout le monde savait, se doutait, avait entendu des rumeurs, mais ne disait (ou ne pouvait) rien dire… Les victimes sont immédiatement portées publiquement à l’échafaud. Quand elles portent plaintes, elles ont parfaitement conscience de ce risque, ce qui implique un plus grand courage encore devant la prise de risque. Cette situation fait que le viol est l’un des seuls crimes pour lequel le poids de la culpabilité retombe quasi systématiquement sur la victime.
Faisons un rapide aparté pour déboulonner d’emblée le sophisme récurrent de la fausse accusation : « Oui mais peut-être qu’elle ment ». C’est un réflexe pavlovien chez les défenseurs du patriarcat. On l’entend systématiquement, comme s’il s’agissait d’une réalité courante et donc plausible. En réalité, les fausses accusations de viol sont rarissimes. Elles existent au même titre que les fausses déclarations de vol ou les fraudes à l’assurance, etc. Pourtant, si on vous vole votre voiture, il y a très peu de chance que votre entourage vous accuse par défaut de mentir. Avec le viol, c’est systématique. Prendre le risque de s’engager dans une affaire coûteuse moralement et financièrement sur base d’un mensonge qui sera révélé par la justice est cependant extrêmement rare. Attention également à ne pas confondre une fausse accusation avec une plainte ayant résulté en un non-lieu. Une plainte classée sans suite ne signifie pas pour autant qu’elle est infondée. Un véritable viol peut être classé faute de pouvoir clairement le démontrer. Les violeurs ont effectivement la fâcheuse tendance à ne pas commettre leur crime en plein midi sur la place du village… Mais le mythe des fausses accusations de viol est tenace, on en trouvait déjà la trace au Moyen-Âge. Le Dernier Duel d’Eric Jager (1386) adapté au cinéma en est une représentation éclairante.
Si l’omerta régnait si longtemps autour de ces prédateurs célèbres, c’est justement à cause de leur position élevée dans la hiérarchie, de leur notoriété, voire de leurs liens avec le pouvoir politique qui les rendaient intouchables et donc leur permettaient d’agir en toute impunité en flirtant avec le crime. Dire qu’il est improbable qu’un homme haut placé puisse commettre de tels actes c’est prendre le problème à l’envers et entretenir le mythe du « vrai » viol forcément commis dans un parking obscur par un marginal après minuit… Or, le viol est tout au contraire un phénomène structurel qui est pratiqué de manière écrasante par des personnes que nous connaissons, dans notre environnement direct.
Même quand une personnalité est dénoncée immédiatement comme dans l’affaire Dominique Strauss-Kahn (dite affaire du Sofitel de New York) survenue en mai 2011, nous avons l’exemple même que la garantie d’être crue n’est pas acquise, la foule (anonyme, médiatique, politique) hurle immédiatement au complot pour briser la carrière/la réputation/la vie d’un homme. On peut assumer de dire que DSK ne serait pas « tombé » aussi rapidement, ni de la même manière, en France qu’aux USA. Il suffit de se souvenir du choc que ce fut aux pays des droits de l’Homme de voir DSK menotté à la télévision et mis en détention « comme un simple délinquant ». Alors que sa victime était dénigrée d’emblée et son passé décortiqué publiquement pour tenter de la décrédibiliser, sans parler de ceux qui ont minimisé les faits en « troussage de domestique« , malgré les affaires le concernant qui ont tout d’un coup surgi au grand jour comme celle du Carlton.
Il semble visiblement plus facile de s’imaginer une vaste machination politique impliquant des centaines de personnes dans l’ombre, plutôt que d’admettre qu’un simple humain, déjà connu pour ses comportements borderlines, puisse « simplement » avoir tenté d’abuser d’une femme. Nous aimons vivre dans une projection hollywoodienne qui, malheureusement, tend à effacer des réalités aussi tristes que simples : le viol existe dans une horrible et confondante banalité du mal. De quoi décourager plus d’une victime à porter plainte contre un supérieur hiérarchique dont le réseau professionnel brisera sa carrière à elle. Et de même quand elle est aussi une célébrité du même niveau que son agresseur.
1%. Le parcours de l’impossible pour obtenir Justice
Quant au fameux tribunal médiatique qui se « substitue à la Justice », cette pirouette sémantique invitant à l’auto-censure éculée à chaque nouvelle révélation de crimes sexuels, rappelons que de nombreux policiers refusent d’enregistrer les plaintes pour viols et/ou harcèlements (ce qui est d’ailleurs contraire à la loi) voire maltraitent des plaignantes dans certains cas : l’an dernier, le hashtag #PrendsMaPlainte avait émergé, regroupant des témoignages de femmes dénonçant la mauvaise prise en charge des plaintes pour violences sexuelles. Et quand la plainte est prise, parfois elle se perd, met des mois à être traitée, poussant des victimes ayant fait le premier pas à renoncer.
Puis, dans les rares qui arrivent à terme, nombre de plaintes sont classées sans suite « faute d’éléments » à moins qu’on ait réussi à convaincre la victime de retirer sa plainte (« ce sera long », « difficile », les « preuves sont minces », ce sera « parole contre parole » leur dit-on…). Sa plainte sera alors classée dans les fausses accusations, gonflant artificiellement les statistiques de ses dernières, dont le pourcentage est estimé par la majorité des études à 2% environ.
De l’autre côté, seulement à peine plus d’1% des viols et tentatives aboutissent à une condamnation au pénal alors que 5 à 10% des victimes portent plainte ; 84 000 femmes (et 14 000 hommes) déclarent avoir été victimes de viol ou de tentative de viol dans les enquêtes de victimation et pourtant, chaque année, ne sont prononcées qu’environ 1 500 condamnations par an pour viol. Des proportions qui nous ramènent encore très loin d’une vague féministe post #MeToo.
Pourtant, les réactionnaires aiment à exprimer leur terrifiante crainte d’être jugé un jour d’un viol à tort. Quel étrange gouffre entre ces visions de l’esprit et la réalité du terrain. Ou peut-être est-on simplement face à de la propagande politique de quelques masculinistes toxiques qui craignent effectivement de voir un jour les viols véritablement réprimés par la justice ?
Si la victime a « la chance » d’aller au tribunal, il sera d’usage de correctionnaliser les faits au civil « pour aller plus vite ». En fait, il s’agit plutôt de désengorger les tribunaux pénaux. Le viol sera alors déqualifié en simple agression sexuelle voire en harcèlement sexuel. Entendez, de crime, il deviendra un simple délit qui sera jugé devant un tribunal correctionnel, avec une peine encourue bien inférieure : de 15 ans de prison pour viol on tombe à jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 € d’amende pour une agression sexuelle. Tout bénéfice pour l’accusé. En France, il arrive ainsi que le viol soit correctionnalisé alors même que l’accusé l’a reconnu.
Et si l’affaire est traitée au pénal (seulement 3 % des viols ayant donné lieu à un dépôt de plainte débouchent sur un procès en cour d’assises), les condamnations sont très rares comme mentionné plus haut. La difficulté d’obtenir Justice est si dure et le procès si éprouvant psychologiquement pour les victimes que des avocats spécialisés dans les violences sexuelles déconseillent à certaines de se lancer dans une procédure si elles ne sont pas suffisamment fortes psychologiquement pour l’endurer. D’ailleurs, certaines en viennent même à regretter d’être allées jusqu’au bout tant elles ont souffert en plus du traumatisme initial pour parfois aboutir à un verdict décevant.
Dès lors, comment s’étonner encore que les victimes s’expriment (ou pas) plutôt sur internet que dans un commissariat ou devant une Cour de Justice ?
Osons l’admettre au regard de ces faits, que la victime soit un homme ou une femme d’ailleurs, que l’accusé soit puissant ou anonyme, notre société a un problème avec le viol. Et ce problème porte un nom : la Culture du Viol. Elle implique une banalisation terrifiante du mal par la destruction morale et physique des individus, majoritairement des femmes, abandonnées à leur sort, devant une justice impuissante, si pas indifférente.
Et tout ce que nous observons face à cette réalité, c’est cette minorité malfaisante s’affairer à ralentir tout progrès possible, défendant corps et âmes leurs célébrités favorites, soulevant inlassablement le spectre imaginaire du féminisme : elles seraient « partout », mais étrangement, n’ont jamais la justice de leur côté… Et si on arrêtait de se raconter des histoires pour regarder la triste réalité en face et mieux la traiter ?
S. Barret