OGM. Trois petites lettres qui font trembler l’opinion publique. Si dans le domaine médical les OGM peuvent sauver des vies, en matière d’agriculture, les avis s’opposent. Dans les discussions, certains disent que les OGM peuvent nourrir la planète contre des famines annoncées. D’autres affirment qu’ils aident concrètement les fermiers à augmenter leur production annuelle et de ce fait, leurs revenus. Enfin il n’y aurait rien à craindre pour la santé. Devrait-on donc finalement remercier Monsanto ? C’est un peu plus complexe que ça, comme nous l’explique la très renommée Vandana Shiva…
Là où triomphe la main invisible des marchés et les monopoles industriels, difficile de distinguer le vrai du faux. Si tout le monde connait l’avis de la doxa, qui peut se résumer en « les OGM sont un mal nécessaire », qu’en est-il des voix discordantes ? Dans ce fatras informationnel, se démarque Vandana Shiva, une activiste indienne bien connue du paysage militant. Toujours souriante malgré la gravité des sujets abordés, Vandana Shiva est une environnementaliste, activiste, féministe, philosophe, écrivain et avant tout une femme de convictions.
Née en 1952, en Inde, d’une mère fermière et d’un père protecteur de forêts, elle a depuis toujours été bercée par l’amour et la protection de la nature. Directrice de la Fondation de la recherche pour la science, les technologies et les ressources naturelles (Research Foundation for Science, Technology and Natural Resource Policy) et détentrice du prix nobel alternatif (1993), Vandana Shiva s’est engagée dans une voie militante contre les puissances de l’agrochimie et leurs lobbies. Auteur de nombreux ouvrages, elle propose d’exposer et de démonter 5 grands mythes concernant les OGM qui gangrènent, selon elle, les esprits.
1. La révolution verte, mythe ou réalité ?
Le Dr. Shiva est à l’origine d’un rapport intitulé « La Violence de la Révolution Verte » au profit de l’Université des Nations Unies. Selon les données récoltées, en Inde, cette révolution verte (industrielle, donc) apparue fin des années 60 n’aurait pas véritablement porté ses fruits. Une étude du Dr. Jatinjar Bajaj viendra confirmer ses observations en ce sens. Selon leurs études combinées, la production de plusieurs céréales et d’autres cultures était supérieure avant ces grandes modifications dans la manière de percevoir l’agriculture moderne. Le bilan ne serait donc pas si pertinent.
Comme l’indique le journal India Today, le modèle de cette « révolution » aurait plongé les fermiers dans une dette profonde tout en générant une nouvelle forme de malnutrition, des maladies nouvelles et un coût environnemental élevé. Depuis 1995, plus de 300 000 fermiers indiens se seraient suicidés après avoir réalisé des investissements qui se sont avérés bien moins productifs qu’espérés. La révolution verte, qui n’en porte que le nom, n’a donc pas sauvé l’Inde de la famine et ne sera pas en mesure de sauver le pays sans changer de modèle, selon l’activiste qui préconise des modes de production plus respectueux du vivant et surtout plus durables.
2. “Golden Rice”, est-ce vraiment la solution à la malnutrition ?
En Inde règne toujours la faim et la malnutrition. Le pays doit faire faire face à l’une des pires crises de son histoire. 1 habitant sur 4 a faim. L’Inde est également l’épicentre d’une « épidémie » de diabète. La réaction des industriels à ces problèmes fut d’inventer le Golden Rice. Le fameux riz à la couleur dorée génétiquement modifié pour fournir du bêta-carotène que le corps transforme en vitamine A. Ce manque de vitamines est une cause importante de la mortalité en Inde et le riz modifié se voit utilisé comme quasi-médicament.
Vandana Shiva s’insurge contre ce mythe qui servirait à vendre une fausse solution. Selon elle, cette carence qui s’est généralisée à la suite de la révolution verte est liée à la généralisation des monocultures et à un appauvrissement de l’alimentation. Sur base de rapports et d’avis de nutritionnistes, la carence en vitamine A réside dans le manque de diversification de l’alimentation. Créer un aliment unique, le Golden Rice, en perpétuant le principe des monocultures, ne règlerait pas l’origine du problème mais le renforcerait. Un retour à une plus grande biodiversité et à une diversité génétique accrue dans l’agriculture (agroécologie, polycultures, semences paysannes…) et dans l’alimentation serait, selon elle, la solution la plus fiable. Un constat appuyé par un rapport de la FAO publié début 2015, qui lie diversité génétique, sécurité alimentaire et lutte contre le changement climatique.
3. L’obésité est-elle seule responsable ?
Dans les années 2000, Monsanto affichait des spots publicitaires affirmant que les OGM étaient bons pour la santé, qu’ils étaient là pour aider l’être humain à se nourrir et que le bien de l’humanité était la seule chose qui comptait pour la multinationale. Depuis, en Inde et ailleurs, de nombreux cancers ont été observés en particulier chez les agriculteurs. L’obésité est alors généralement pointée du doigt. Mais pour Vandana Shiva, cette épidémie de cancers est liée à une sur-utilisation de pesticides dans une agriculture trop peu diversifiée.
Au-delà des pertes humaines, cette question sanitaire couterait à l’Inde plus de 1,26 milliards de dollars selon la chercheuse. Dans un de ses rapports, elle met en évidence le lien qui existerait entre la généralisation des OGM / Monocultures et l’augmentation des problèmes de santé en Inde. Le retour à des techniques plus traditionnelles (sans nier l’apport des nouvelles techniques), axées sur la bio-diversification et l’utilisation de semences paysannes adaptées aux terroirs locaux, serait pratiquement inévitable autant pour des questions énergétiques que sanitaires. Plus de détails dans son ouvrage : Wealth Per Acre.
4. Le mythe de la sécurité
Aujourd’hui, tout le monde semble convaincu qu’il n’existe aucun risque concernant les OGM agricoles. Les rares à avoir mis en doute ce postulat, largement médiatisé par les études de Monsanto qui établissent que les OGM ne peuvent pas nuire aux être humains, au règne animal ainsi qu’à l’environnement, furent vivement critiqués par une partie de la communauté scientifique et les médias pour leur manque de moyen et leur méthodologie faible qui en découle.
Vandana Shiva considère quant à elle que la biosécurité des OGM est loin d’être établie. En tant que membre d’un groupe d’experts de l’UNEP sur la biosécurité, le Dr. Shiva met en avant deux publications officielles récentes qui mettent sérieusement en doute le principe d’équivalence substantielle. En principe, un test d’équivalence substantielle compare un élément OGM à un équivalant naturel. La similitude de la composition chimique permet d’établir la non-toxicité et donc favoriser l’autorisation d’un OGM sans réaliser d’analyses biologiques, toxicologiques et immunologiques profondes.
Pour Vandana Shiva, cette approche est erronée, comme le confirme une étude du gouvernement Norvégien publiée cet été par le Centre Genok pour la biodiversité. Cette étude se concentre sur les graines de soja Intacta Roundup Ready 2 Pro de la compagnie Monsanto au Brésil, mais également en Argentine, au Paraguay ainsi qu’en Uruguay. Le rapport de Monsanto montrerait des faiblesses méthodologiques, selon les chercheurs. Pour Vandana Shiva, la plupart des recherches sur les graines OGM sont basées sur des études à court terme qui ne détectent pas les subtilités des effets de long terme sur la santé et encore moins l’effet cocktail d’une exposition au monde réel.
Plutôt que de déterminer si les OGM sont dangereux, Vandana Shiva préfère établir qu’il n’existe aucune garantie que ceux-ci ne le soient pas. Ainsi, c’est le principe de précaution qui serait déterminant, donc le pouvoir des décisions collectives d’accepter ou non de s’exposer au risque (étude 1 / étude 2).
5. OGM, une histoire scientifique, un mythe ?
Pour Dr. Vandana Shiva, nous sommes tous des graines : “Pendant un moment, nous restons sous terre jusqu’à l’instant où nous germons, puis, au moment opportun, nous éclatons avec tout notre potentiel. Nous venons malgré tout de la terre.”
Avec une approche qui peut sembler parfois mystique, la chercheuse estime que l’histoire de la modification génétique des graines en laboratoire est davantage une prise de contrôle mercantile, industrielle et illégale sur le vivant, plus qu’une véritable science. Son angle d’approche est davantage axé sur des questions de pouvoir, de démocratie citoyenne et de prise de contrôle de l’alimentaire par des super-puissances économiques. Il conviendra à chacun d’en juger. Certains pays, comme l’Écosse ont purement et simplement décidé d’interdire les OGM dans leurs méthodes d’exploitation agricoles.
Adulée des uns, critiquée des autres, à 62 ans, Vandana Shiva continue de planter ses propres graines… dans les esprits !
Sources : navdanya.org / vandanashiva.com / medium.com / ecowatch.com / indiatoday
Rapport de la FAO : Climate change coping : the roles of genetic resources for food and agriculture