Au pays des irréductibles Basques, les paysans résistent face à la spéculation immobilière. Interview de Jakes, activiste local contre le géant Bouygues.
Aux portes de Cambo-les-Bains (Pays basque), 3,5 hectares de terres agricoles sont menacés. En effet, le sol de Marienia est devenu le symbole d’une lutte plus vaste contre la bétonisation du territoire et la spéculation immobilière.

Face au géant Bouygues Immobilier en collaboration avec des élus locaux, une mobilisation citoyenne déterminée s’est levée pour défendre cette terre nourricière de Marienia. Occupation agricole, actions directes, recours juridiques, et récoltes collectives : les opposant·es mêlent stratégie et enracinement local pour empêcher la disparition de ces sols fertiles.
Nous avons eu la chance d’échanger avec Jakes, membre du collectif OSTIA (Okupatzaile Sare Tematsua Irabazi Arte), acteur de cette résistance bien enracinée.

Terres agricoles en danger : Bouygues bétonne, Marienia résiste !
Mr Mondialisation : Quel est votre rôle dans cette mobilisation contre le projet Marienia ?
Jakes : Je suis Jakes, membre du réseau OSTIA (Okupatzaile Sare Tematsua Irabazi Arte), ce qui signifie : réseau déterminé des occupants jusqu’à la victoire. Ce réseau s’est constitué en novembre 2021 contre la spéculation foncière et immobilière au Pays basque.
Nous nous battons pour la défense de la terre nourricière, en menant plusieurs combats en collaboration avec les paysans, la confédération paysanne ELB (Euskal Laborarien Batasuna) et Lurzaindia, un peu comme Terre de Liens. Nous sommes plusieurs dizaines de personnes, réunies grâce à un réseau né d’une lutte menée à Arbonne pour la défense de terres agricoles, initiée par le syndicat ELB, et Lurzaindia. Ce fut une victoire : la vente du terrain agricole a été annulée.
Comme plusieurs problématiques immobilières et spéculatives émergeaient ici et là, il nous a semblé utile de constituer un réseau pour s’entraider, se prêter du matériel… C’est une “structure accordéon”, qui s’ouvre et se ferme en fonction des luttes. Parallèlement, le réseau OSTIA s’est déclaré comité local des Soulèvements de la Terre suite à la menace de dissolution du mouvement, puis s’est mobilisé contre l’A69 ou encore les projets de mégabassines.
Mr Mondialisation : En quoi consiste ce projet immobilier ?
Jakes : Tout a commencé en 2014, quand les propriétaires de terres agricoles ont exprimé des velléités spéculatives, main dans la main avec le maire de l’époque. Tous deux voulaient faire passer ces terres en zone constructible, ce qui multipliait par dix le prix du terrain.
Ces terres sont en fait de très bonne qualité et très planes, ce qui est plutôt rare au Pays basque. À l’époque et aujourd’hui encore un paysan y récolte le fourrage et y fait paître ses brebis.

« ils se vantaient d’avoir augmenté la part des zones agricoles ou naturelles, mais en réalité, ils avaient comptabilisé une multitude de petits espaces verts et de jardins pour faire gonfler artificiellement la surface “non artificialisée”.
L’opposition municipale a levé le lièvre »
Dès le départ, les élus d’opposition ont entamé une bataille contre ces modifications du PLU, votées par la commune de Cambo et l’agglomération du Pays basque (CAPB).

Les porteurs de la modification du PLU se vantaient d’avoir augmenté la part des zones agricoles ou naturelles, mais en réalité, ils avaient comptabilisé une multitude de petits espaces verts et de jardins pour faire gonfler artificiellement la surface “non artificialisée”. L’opposition municipale a levé le lièvre, et diverses associations comme le CADE (Coordination des Associations pour la Défense de l’Environnement) – qui s’était notamment battu contre le projet de LGV et disposait d’une expertise juridique solide – se sont mobilisés.
La modification du PLU a été dénoncée par les syndicats agricoles et la Chambre d’agriculture, ce qui a permis de réduire le nombre d’hectares concernés : une première victoire. Mais il restait tout de même 3,5 hectares devenus constructibles. Nous ne les avons pas abandonnés à la spéculation.
« il restait tout de même 3,5 hectares devenus constructibles. Nous ne les avons pas abandonnés à la spéculation. »
Les premiers rassemblements ont eu lieu devant le conseil de l’agglomération, puis différents recours ont été entamés contre le PLU et les permis de construire déposés par Bouygues et l’opérateur Office 64 de l’Habitat. Aujourd’hui, tous les recours possibles contre le PLU ont été épuisés ; il ne reste qu’un second et dernier recours en appel contre le permis de construire. Les mobilisations se sont renforcées à partir de 2022, quand le projet est devenu plus concret avec les premiers appels d’offres et la mise en vente des lots.
Après l’occupation à Arbonne, les forces se sont recentrées sur les terres de Marienia, ce qui a mené à une action d’OSTIA. Les membres du collectif ont en effet recouvert de terre la maquette du projet dans une agence de Bouygues Immobilier à Anglet. Quatre personnes ont été inculpées et ont été condamnées à une amende avec sursis. Bouygues a réclamé 40 000 euros de dommages et intérêts, mais n’en a obtenu que 10 000.

En avril 2024, les opposant·es ont interrompu le conseil municipal de Cambo, pour protester contre le refus du maire de toute discussion ou négociation. Les manifestant·es sont resté·es sur place jusqu’à ce que le maire lève la séance. Une bousculade due à l’intervention intempestive des gendarmes à la sortie a provoqué la chute du maire, et il a porté plainte. Une nouvelle procédure a été lancée contre trois personnes.
Entre-temps, le premier compromis de vente entre Bouygues et les propriétaires est devenu caduc, puis a été reconduit en décembre dernier. La communauté d’agglomération, qui aurait pu exercer son droit de préemption pour empêcher cette vente ne l’a pas fait.
« Tandis que la Communauté d’Agglomération nous répétait que Marienia n’était pas une terre agricole, nous avons décidé, avec OSTIA, Lurzaindia et ELB, d’occuper les terres en les cultivant. »
Le 17 mai dernier, nous avons planté des pommes de terre, des courges, des piments, avec un “serment des bâtons” : chaque participant a planté un bâton dans la terre, avec l’engagement de revenir la défendre si le terrain était menacé. Malheureusement, les plantations ont été en partie saccagées, probablement par l’un des propriétaires. Mais nous avons quand même réussi à récolter plus de 2 tonnes de pommes de terre début septembre, vendues en soutien solidaire.
Mr Mondialisation : Pourquoi ce terrain de Marienia, classé jusque-là en terres agricoles, est-il ciblé par cette urbanisation ?
Jakes : Il y a clairement un besoin en logements, notamment sociaux. Ici, au Pays basque – surtout en s’approchant de la côte – beaucoup de logements sont construits, mais ne sont pas financièrement accessibles aux habitant·es. Beaucoup deviennent des Airbnb, des résidences secondaires ou des investissements spéculatifs.
« il existe énormément de bâtiments qui pourraient être rénovés pour servir de logements »
À Cambo, il existe énormément de bâtiments qui pourraient être rénovés pour servir de logements, ou d’espace déjà artificialisés : d’anciennes stations thermales, par exemple. Évidemment, nous ne voulons pas opposer production alimentaire et besoins en logement – les deux sont essentiels – mais on doit trouver d’autres solutions que l’artificialisation des terres agricoles.
« nous ne voulons pas opposer production alimentaire et besoins en logement – les deux sont essentiels – mais on doit trouver d’autres solutions que l’artificialisation des terres agricoles »
Mr Mondialisation : Quelles sont les conséquences environnementales et agricoles majeures que vous redoutez face à cette artificialisation des terres ?

Jakes : Il n’y a pas d’espèces spécialement menacées ici, ce sont des prairies. Mais chaque année, 290 hectares sont artificialisés au Pays basque et plus de 20 000 en France.
Il est donc essentiel de freiner cette artificialisation, pour au moins trois raisons : d’abord, il n’y a pas assez de terres agricoles au Pays basque pour toutes les personnes qui souhaitent s’y installer. Ensuite, pour l’alimentation, il est indispensable de préserver des terres et des espaces agricoles. Enfin pour le climat, car l’artificialisation renforce le réchauffement climatique.
» Ce combat peut sembler modeste en surface – 3,5 hectares, ce n’est pas grand-chose – mais ces terres sont devenues un symbole. »
Aujourd’hui, beaucoup de gens ont pris conscience des enjeux, y compris parmi les élu·es. Même la CAPB a mis en place un plan climat. Il faudrait qu’ils comprennent que faire marche arrière, ce n’est pas capituler : c’est tenir compte de ce que l’on sait mieux aujourd’hui, corriger les erreurs passées, et surtout être en cohérence avec les urgences du changement climatique.
Mr Mondialisation : Avez-vous trouvé des exemples inspirants d’autres luttes ou méthodes de mobilisation locale pour nourrir votre action ?

Jakes : D’abord, à l’échelle locale, de nombreuses batailles ont été menées pour défendre l’agriculture paysanne, l’environnement et lutter contre la spéculation. Nous nous inscrivons dans cette histoire. Nous avons construit une coalition avec cinq entités : le syndicat paysan ELB, Lurzaindia, le CADE, “Nahi Dugun Herria”, les élu·es de l’opposition et OSTIA. Chacun a apporté ses expériences et son expertise, ce qui nous a rendus plus forts.
Ensuite, nous nous sommes inspirés d’autres luttes comme celle de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes que de nombreuses personnes du Pays Basque ont visitées et où certaines se sont impliquées. Nous nous sommes inspirés de leurs tactiques et réflexions. Le serment des bâtons, par exemple, vient de la ZAD.
Mr Mondialisation : Comment pouvons-nous aider concrètement la mobilisation contre ce projet ?
Jakes : L’occupation continue. Nous avons prévu de semer du blé panifiable dans les semaines à venir, et nous aurons besoin de bras pour nous soutenir. On essaie d’impliquer les gens au maximum, notamment via le relais de nos actualités sur notre canal Télégram, notre page Facebook et dans notre newsletter.
Nous avons également une caisse de dons pour faire face aux frais liés aux procès. D’autres mobilisations sont en préparation.
En décembre dernier, à la suite de discussions avec des élu·es communautaires, 60 d’entre eux ont demandé l’organisation d’un débat en Conseil communautaire sur l’artificialisation des terres. Un débat a eu lieu le 24 septembre mais seulement à la conférence des maires, une instance de la CAPB qui a lieu une fois par an. Rien de concret n’en est sorti.
Mr Mondialisation : la bataille de Marienia en quelques mots,… que faut-il retenir ?
« Il n’y a pas de petites batailles ».
Jakes : Il n’y a pas de petites batailles. Certes, 3,5 hectares peuvent paraître dérisoires face aux 400 hectares agricoles menacés par l’A69 par exemple, mais c’est un travail d’éducation populaire, et un signal envoyé aux spéculateurs et promoteurs immobiliers. Ils savent désormais qu’il y aura une opposition organisée à leurs projets, et ils y réfléchiront peut-être à deux fois.
« Marienia est devenu un emblème de la lutte pour les terres nourricières et contre la spéculation foncière. »
En somme, je n’ai pas de conseils à donner, je n’ai aucune légitimité pour cela. Quand cette lutte sera terminée et gagnée, nous ferons un gros “débrief” pour voir quels enseignements en tirer. Et cela pourra peut-être en inspirer d’autres.
– Maureen Damman















