Un récent rapport des Nations Unies tire (à nouveau) la sonnette d’alarme. Les terres agricoles ne seraient bientôt plus en mesure de pouvoir nourrir l’ensemble de l’humanité si rien n’est fait. Surexploités, les sols partiraient en poussière à une vitesse anormalement élevée. Un tiers des terres arables de la planète seraient concernées.

Qui doute encore en 2015 des limites du système productif conventionnel ? Pas même l’organisme des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dont le nouveau rapport a de quoi inquiéter. Publié en décembre dernier et bénéficiant d’un relais médiatique relativement faible, le document souligne la détérioration rapide des sols cultivables de la planète. L’étude sur l’État des ressources en sols dans le monde (650 pages), fruit des travaux de quelque 200 scientifiques de 60 pays, met notamment en évidence une série de menaces qui pèsent sur les sols sans lesquels l’humanité ne pourrait survivre. Perte des nutriments, érosion, diminution de la teneur en carbone, imperméabilisation, désertification, urbanisation, changements climatiques, acidification et autres pollutions chimiques, la terre souffre lourdement de l’activité humaine, dans tous les sens du terme.

Le Groupe technique intergouvernemental qui a planché sur la santé des terres mondiales conclut qu’un tiers des terres arables de la planète sont plus ou moins menacées de disparaître. Par ailleurs, la majorité des ressources en sols du monde est dans un état passable, mauvais ou très mauvais. « Leurs conditions empirent bien plus souvent qu’elles ne s’améliorent. » exprime le FAO sur son site. Si l’information fait beaucoup moins de bruit que le changement climatique, les répercussions d’un manque d’ambition décisionnel face à la problématique pourrait s’avérer fatales. On parle à terme d’un risque de famine pour l’humanité et une aggravation de la pauvreté. En effet, ces changements de la constitution des sols conduisent, dans le meilleur des cas, à leur réaffectation. Dans le pire des cas, ces terres deviennent impropres aux usages agricoles. Au-delà de la baisse de productivité que représente le phénomène, ces terres perdent leur rôle de puits de carbone, sans même parler du manque à gagner pour la biodiversité (phénomène d’effondrement des passereaux). Si cette projection des chercheurs devait se réaliser, les pertes humaines risquent d’être colossales.

Une étude publiée en 2000 par l’Université du Minnesota estime que le monde perd 100 000 km2 de terres arables chaque année. Le rapport de la FAO indique quant à lui une perte annuelle de 25 et 40 milliards de tonnes de l’épiderme de la planète. Ceci se déroulant dans un contexte où la demande mondiale en nourriture augmente en flèche. Selon une projection 2009 de l’INRA-CIRAD, le besoin de nouvelles terres arables en 2050 devrait être de 590 millions d’hectares. Comment y répondre si les terres se raréfient ? Si l’étude se penche exclusivement sur l’état des sols, l’agriculture chimique et intensive génère une foule d’externalités négatives : diffusion dans l’air de N2O, acidification des océans, développement incontrôlé d’algues, pollution des nappes phréatiques, pour ne citer qu’elles.

desertificationCampagne du WWF contre la désertification / Contrapunto BBDO

Il reste de l’espoir

La FAO se veut pourtant optimiste. « Employons-nous à promouvoir une gestion durable des sols ancrée dans la bonne gouvernance et des investissements rationnels. Ensemble, nous pouvons défendre la cause des sols. », a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, à l’occasion de la Journée mondiale des sols le 4 décembre dernier. En effet, la « bonne nouvelle » c’est qu’il n’est pas trop tard pour restaurer l’intégrité des sols. Les pays qui prendront l’initiative de promouvoir des pratiques de gestion durable et l’utilisation de technologies appropriées peuvent éviter la baisse annoncée de la productivité. Mais ceci implique une profonde réforme dans notre manière de concevoir l’agriculture. Est-ce seulement envisageable quand les syndicats industriels, telle que la FNSEA en France (présidée par Xavier Beulin, également PDG de Sofiprotéol-Avril, géant de l’agroalimentaire), encouragent l’augmentation de la productivité, luttent pour une baisse des réglementations qui brime cette productivité et continuent de défendre les techniques de monocultures intensives gourmandes en engrais chimiques.

Peu importe, la FAO conseille une action en 4 points essentiels pour sortir de cette crise et relancer l’activité biologique des sols : « Atténuer la dégradation des sols et restaurer la productivité des sols déjà dégradés dans les régions où les populations sont les plus vulnérables; stabiliser les stocks mondiaux de matière organique des sols, y compris le carbone organique et les organismes du sol; stabiliser ou réduire le recours aux engrais azotés et phosphatés, tout en accroissant  l’utilisation des engrais dans les régions manquant de nutriments et améliorer nos connaissances sur l’état et les tendances des conditions des sols. » Si l’organisation n’évoque pas explicitement l’agriculture biologique, elle incite les gouvernements à imposer des taxes dissuadant les pratiques néfastes comme « le recours excessif aux engrais, aux herbicides et aux pesticides. » Le message est clair, mais est-il entendu ?

Soucis de taille, moins les terres sont fertiles, plus les exploitants sont tentés de compenser les pertes par des méthodes chimiques qui « boostent » artificiellement la fertilité. Le serpent se mord rapidement la queue, ralentissant le processus de transition au bénéfice d’une autre industrie, chimique cette foi. De l’autre côté du miroir, une agriculture raisonnée fait son bout de chemin, tout en restant marginale. L’agriculture d’aujourd’hui apparait donc définitivement divisée entre la paysannerie, productrice d’une alimentation écologique, locale et diversifiée, et l’agriculture conventionnelle, dépendante des intrants chimiques et dont le seul objectif est d’augmenter la productivité de ses monocultures afin de fournir l’agroalimentaire. Si nul ne peut prédire l’avenir, il semblerait que les études scientifiques nous invitent à embrasser une transition agricole aussi vite que faire se peut.

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Sources : lesechos.fr / terre-net.fr / fao.org / agrimaroc.ma / lepoing.net / wikipedia.org / PDF du rapport lemonde.fr

Image à la uneBustamante/AP

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