Afin de résister à la « Startup Nation » dont Emmanuel Macron s’est fait le défenseur dans un récent discours, le collectif « Opposition à la Startupisation de l’Economie française » (OSEF) a lancé ce 27 janvier un mouvement pour dénoncer un modèle de « domination, d’exploitation, de logiques sécuritaires » sur fond de libéralisme économique et d’injustices sociales croissantes. Avec une sélection de médias indépendants, Mr Mondialisation est signataire du manifeste publié à cette occasion.
OSEF, collectif informel composé d’organisations d’horizons divers dont les sensibilités touchent aussi bien à l’écologie, la défense des libertés numériques et la lutte pour la justice sociale, a décidé de pointer la politique économique du gouvernement français en place et les dérives sociales qu’elle accompagne. Le manifeste dont le mouvement s’est doté met en lumière la réappropriation par le capitalisme des alternatives sociales à des fins économiques et s’inquiète de la remise en cause systématique des droits des individus, ce qui met en danger le tissu social.
« ce même dogme qui justifie aujourd’hui la casse du secteur associatif »
Un phénomène de société
De manière générale, « on assiste à une énième mutation du dogme productiviste et capitaliste » commente Gaël Trouvé, qui a participé à la rédaction du manifeste. Le membre de l’association Scolopendre qui fait partie des premiers signataires, pointe un phénomène qui ne touche pas seulement certains secteurs (celui des taxis ou celui des coursiers, qui sont en aujourd’hui en première ligne), mais qui se répand progressivement à tous les secteurs de l’économie. C’est ce même « dogme » qui justifie aujourd’hui « la casse du secteur associatif qui est en cours », « la baisse des dotations des collectivités » ou encore « la contractualisation systématique dans l’enseignement supérieur ».
Le corolaire, c’est l’utilisation systématique de cette « novlangue pour déguiser de « cool » une fuite en avant technologique qui permet de ne pas penser les questions que posent la crise écologique, mais aussi les crises sociales et les crises de la représentation politique qui sont à l’œuvre ». Dans le même temps, s’inquiète Gaël Trouvé, le capitalisme est en train de « récupérer tout ce que le mouvement des hackers et du libre a pu produire, dans le seul objectif d’efficacité économique », se réappropriant leurs outils et dénaturant les raisons qui avaient pousser à leur développement : la construction d’une société plus transversale, plus égalitaire et dont l’économie serait plus humaine.
Demain à 17h30 à la bourse du travail de Paris, le #CollectifOSEF lancera la campagne @StartuffeNation https://t.co/y1aNE83oXD pic.twitter.com/PS06Iuo6yv
— Startuffe Nation (@StartuffeNation) 26 janvier 2018
Les travailleurs en première ligne
Dans une société dans laquelle chacun est prié de devenir un entrepreneur autonome, y compris dans des domaines dans lesquels on ne s’y attendait pas du tout, c’est la précarité des travailleurs qui inquiète en premier lieu. Pourtant, comme l’expriment ceux qui travaillent dans les domaines touchés de plein fouet par le phénomène, la généralisation de l’auto-entreprenariat à toutes les sphères de la société est l’une des pires régressions sociales de l’histoire récente et une mise en danger immédiate des acquis sociaux conquis pendant le 21ème siècle, reposant sur la fraternité et l’entraide institutionnalisée. D’ailleurs, les mouvements de résistance qui apparaissent partout où le modèle « Uber » est appliqué, aussi bien en France qu’en Allemagne, en Belgique ou encore en Italie ne trompent pas : quel que soit le lieu, les travailleurs ubérisés sont conscients que les conditions de travail qui leur sont proposées leurs sont de plus en plus défavorables.
Selon le communiqué de presse du collectif, derrière la politique libérale d’Emanuel Macron et sa volonté d’étendre le modèle de la Startup le plus largement possible à la société française, « se cache en réalité un programme politique qui conduit tout droit à une remise en cause tous azimuts des droits politiques, économiques et sociaux. » Pour construire une opposition, « StartuffeNation.fail se veut […] un espace « ressource », où pourront être mises en commun des analyses du phénomène de startupisation et des contributions graphiques ou poétiques visant à sensibiliser la « Startup Nation » à ses dangers, mais aussi à moquer ses promoteurs ».
Le collectif a vocation a rassembler autour du manifeste (à lire ici) une diversité d’associations et de structures engagées dans une réflexion sociétale afin de « montrer qu’un autre monde est possible, qu’il est là, et qu’il ne demande qu’à être développé ». Tout organisme sensible au message peut se joindre au manifeste.
Manifeste du collectif OSEF — Opposition à la Startupisation de l’Économie Française
Partout, dans les discours des dirigeants et des éditocrates, le vocabulaire des startups s’impose. Dans les administrations, dans les services publics, dans les universités, dans les entreprises et jusque dans le monde associatif, l’« open innovation disruptive » et les « méthodes agiles » de la Silicon Valley tiennent lieu de nouveau paradigme gestionnaire. On nous jure que, grâce aux « corporate hackers » et autres transfuges du « digital », il serait désormais possible de « changer le système de l’intérieur », de « libérer les énergies ».
Derrière cette énième incarnation de vieilles rengaines technocratiques, c’est en fait l’intensification des funestes logiques néo-libérales qui est à l’œuvre. Les promoteurs de la « Startup Nation » entendent légitimer un ordre social injuste, poussant à une précarisation toujours plus grande du travail, à la marchandisation des sciences et des savoirs. Ils ravalent la notion d’intérêt général à la seule efficacité économique, œuvrant à la mise en compétition de tous contre tous pour faire entrer le calcul dans les moindres recoins de nos vies quotidiennes.
Afin d’attirer les flux financiers internationaux sur le territoire, le projet de « Startup Nation » conforte le rôle des grandes multinationales des technologies au cœur de l’économie, et légitime leurs modèles économiques fondés sur la surveillance. Peu à peu, se construit un horizon ultratechnologique où l’asservissement des femmes et des hommes par le biais des machines – à force d’ubérisation, de robotisation, de gouvernance algorithmique, de contrôle – doit permettre d’endiguer l’effondrement d’un modèle de société à bout de souffle, sur fond de crise environnementale sans précédent.
Pour parvenir à leurs fins, les « technocrates 3.0 » nous dépossèdent de notre vocabulaire, s’approprient nos aspirations communes et, ce faisant, parviennent à recruter de nouveaux adeptes qui le plus souvent ne pensent pas à mal. Mais nous ne sommes pas dupes : renommer l’infamie pour la déguiser de « cool » ne change en rien sa nature, faite de domination, d’exploitation, de logiques sécuritaires.
Contre la marchandisation et la technologisation de tout, nous continuerons de faire proliférer les espaces de simplicité, d’autonomie, de don et de partage. Contre l’artificialisation des relations, nous démultiplierons les solidarités sincères. Contre l’anéantissement de la politique, nous userons de nos libertés pour faire foisonner les alternatives. Nous ne serons pas les bouffons de ces « startufferies ».
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