Depuis quelques années, la progression rapide de la fièvre jaune parmi les populations de singes en Amérique Latine inquiète au plus haut point la communauté de scientifiques. Transmise par les moustiques, la maladie touche également les humains. Mais ces derniers y sont bien moins sensibles que les primates qui y succombent bien plus souvent. Mais voilà, accusés de transmettre la fièvre jaune, nos lointains cousins sont désormais pourchassés et abattus en masse, accélérant l’effondrement de leur population. ONG et scientifiques s’insurgent aujourd’hui contre l’image négative dont souffrent les singes, notamment à cause de certains médias de masse, dont Netflix, qui accusent à tord les singes de transmettre la maladie. Une pétition signée plus de 100.000 fois leur a été adressé.
Depuis plusieurs mois, une nouvelle « crise » de fièvre jaune touche humains et singes (en particulier les singes hurleurs) en Amérique Latine. Alors que le développement de la maladie est observée depuis plusieurs années, les scientifiques s’inquiètent des taux de mortalité élevés chez les primates, très sensibles à la maladie. Les populations humaines sont également touchées, mais dans une moindre mesure.
Une maladie mortelle pour les humains et les primates
Chez les êtres humains, les symptômes de la maladie se traduisent par de la fièvre, des frissons, des douleurs musculaires ainsi que des maux de tête. Si, selon Mélissa Berthet, primatologue de l’université de Neuchâtel, en Suisse, et de l’Ecole Normale Supérieure, à Paris et co-auteur de la pétition, « 40 à 65% des personnes contaminées ne développent aucun symptôme », […] 5 à 10% des personnes touchées peuvent développer une forme grave de la maladie avec des vomissements de sangs noirs qui entrainent la mort ». Tout comme les singes, après contamination, les humains développent une immunité qui empêche en principe de contracter à nouveau la maladie un jour.
« Chez les singes, l’histoire est encore pire. Les singes d’Amériques sont beaucoup plus sensibles à la maladie que leurs cousins d’Afrique. Les singes contaminés meurent le plus souvent en trois à sept jours. Les rares qui survivent développent aussi une immunité, comme les humains », explique Mélissa Berthet. Sur le terrain, on assiste à une véritable hécatombe accentuée par la réaction des Hommes.
« Depuis juillet 2017, nous explique-t-elle, une nouvelle crise de fièvre jaune touche le Brésil. » D’après ces chiffres, il y a eu 180 signalements de fièvre jaune chez les humains ces derniers mois. Parmi eux, 35 cas dont 20 décès ont été confirmés par le ministère de la santé brésilien, les autres étant encore en cours d’examen. Chez les populations de singes, la maladie fait encore plus de dégâts. En effet, bien plus sensibles, les singes sont les premiers à être touchés par la maladie. « Près de 2445 corps de singes ont été retrouvés depuis juillet 2017, dont 410 sont porteurs effectifs de la fièvre jaune et 750 sont encore étudiés pour déterminer la cause de la mort », rapporte la scientifique.
Si les chiffres montrent indéniablement les ravages causés par la maladie, une autre donnée met les scientifiques en alerte : en effet, bon nombre de ces singes dont la mort ne s’explique pas par la fièvre jaune ont été tués par la main de l’Homme. « Parmi près de 240 singes qui ont été retrouvés mort dans l’Etat de Rio de Janeiro depuis début janvier environ 70% ont été tués par l’homme, et non par la maladie » déplore la scientifique. Un véritable carnage chez ces primates.
Comment expliquer ces agissements ? Beaucoup de personnes voient dans les singes un vecteur de la maladie et espèrent endiguer son expansion en les tuant. Pourtant, s’insurge Mélissa Berthet, c’est un non-sens du point de vue scientifique. La maladie se transmet par l’intermédiaire des moustiques et non de singes à êtres humains. Et ce sont essentiellement les déplacements des humains qui causent l’apparition de la maladie dans de nouvelles régions. Les singes permettent même de suivre l’expansion de la fièvre jaune par les chercheurs, ce qui facilite les actions à prendre contre la maladie. Ils « agissent comme des sentinelles, explique Mélissa Berthet : ils meurent rapidement et en grand nombre lorsque la maladie arrive dans une région saine, ce qui alerte les autorités avant que les humains ne soient touchés. Ainsi, les autorités peuvent prendre les mesures nécessaires pour protéger la population lorsqu’ils trouvent des corps de singes ». Ainsi, les massacres de singes brouillent les pistes.
Les singes victimes des rumeurs
Si dans la culture populaire, les singes souffrent d’une mauvaise réputation, les scientifiques s’insurgent également contre certains médias, ces derniers ayant « beaucoup relayé de fausses informations sur la transmission du virus, accusant les singes de transmettre la maladie aux humains. Ceci est faux, car la maladie est apportées dans les régions saines par des humains contaminés qui voyagent, et elle est transmise par les moustiques uniquement. Les singes sont des victimes de la maladie mais ne sont pas responsables de sa propagation« , commente la primatologue. Ainsi, de très nombreux médias officiels, par manque de précision ou erreur, ont propagé l’idée que les singes étaient responsables de la maladie, générant une « vengeance » des habitants sur ces animaux.
Les scientifiques, qui avaient tant bien que mal participé à la sensibilisation des habitants par l’intermédiaire de campagnes médiatiques, sont aujourd’hui dépité. En effet, face aux médias aussi bien locaux que nationaux qui participent à la diffusion d’informations incomplètes, sans contredire les légendes urbaines, difficile de se faire entendre. Récemment, même Netflix s’y mettait en lançant et promouvant une série à propos des animaux les plus dangereux au monde. Dans le 7ème épisode, les singes hurleurs étaients présentés comme « porteurs d’une maladie mortelle » qu’ils « transmettent » aux êtres humains. Un nouveau raccourci largement propagé qui fait bondir les spécialistes.* Aujourd’hui, ces derniers tentent de réaffirmer le « rôle de sentinelle que jouent les singes » et ont récemment lancé une pétition afin d’alerter sur la situation et demander à Netflix de corriger cette méprise et de s’engager à leurs côtés pour informer la population, dans le but de protéger les populations déjà menacées de singes.
* [MAJ] 19/02/2018 : Entre le 14 février et ce jour, Netflix a modifié la série. Les singes hurleurs sont désormais présentés comme vulnérables à la fièvre jaune. La référence aux êtres humains a disparu.
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