Les lobbies sont souvent décriés par les promoteurs de la démocratie, en raison de l’influence démesurée de groupes industriels sur la décision publique. Or le lobbying pourrait aussi se mettre au service des citoyens. C’est le pari osé du collectif Clic, qui aspire à donner à chacun les moyens d’action pour faire entendre sa voix et faire bouger les lignes. En collaborant avec des ONG et en misant sur la participation des citoyens, ce dispositif a contribué à des victoires importantes dont vous avez sans doute entendu parler, comme la libération des semences paysannes, l’abolition du régime fiscal privilégié de l’huile de palme et la transparence sur les pesticides. Qui sont-ils ? Comment fonctionnent-ils ? On fait le point.
A l’échelle de la planète, 90% des variétés traditionnellement utilisées par les paysans ont disparu des cultures en moins d’un siècle, et 75% d’entre elles ont déjà été irréversiblement perdues, selon la FAO. En s’intéressant à la problématique, Jonathan et son cousin Alexandre constatent les nombreux problèmes de la politique en vigueur, qui a mené à cette disparition alarmante de la biodiversité cultivée. Ils décident donc d’agir. Après être partis à la rencontre d’agriculteurs en France et ailleurs, ils lancent une pétition pour la libération des semences paysannes. Malgré près de 50 000 signataires, le ministre de l’agriculteur de l’époque, Stéphane Le Foll, refuse de recevoir la pétition. Jonathan et son cousin décident alors de tenter de faire aboutir leurs idées par d’autres voies…
Permettre aux citoyens de faire entendre leur voix
Cette aventure les amènera jusqu’au Sénat, après avoir contacté de nombreux députés et sénateurs. Leur parcours, celui de citoyens comme les autres qui tentent de faire valoir leurs idées auprès des élus, est raconté dans le film Des clics de conscience, disponible sur ImagoTV. Lors de sa projection aux quatre coins de la France, des débats ont été organisés, suivi d’ateliers législatifs d’écriture collaborative de propositions de loi.
Alexandre et Jon ont démontré que tous les citoyens pouvaient prendre part activement aux décisions qui les concernent dans le sens de l’intérêt général. Ils décident donc de ne pas en rester là. Avec plusieurs autres bénévoles, ils lancent le collectif Clic (Citoyennes.ens Lobbyistes d’Intérêts Communs) en mars 2018 pour mettre en place une plateforme de lobbying citoyen. Si le concept est encore peu courant, son importance est capitale puisque il permettrait à la population de se réapproprier un certain pouvoir dans le processus de prise de décision. Clic aspire en effet à créer une structure qui propose des informations, des méthodes et des outils aux citoyens pour mener des campagnes d’interpellation des politiques sur des sujets d’intérêt général et remporter ainsi d’autres combats comme celui de la libération des semences paysannes.
L’influence limitée des citoyens sur la décision publique
La plupart des citoyens ont peu de connaissance sur le processus de fabrication des lois. A l’inverse, les lobbies et groupes de pression ont leurs entrées au parlement, et sont en mesure d’influer sur la prise de décision publique en communiquant avec les élus. Ceci est particulièrement vrai pour les représentants de grands groupes industriels aux moyens considérables, qui déséquilibrent la fonction globale du lobbying par la disproportion de leur influence comparée à celle plus limitée des ONG et à plus forte raison des citoyens.
Clic intervient donc pour faciliter la mise en relation des citoyens avec leurs élus afin de mieux les interpeller. « Les citoyens, qui sont ceux qui rémunèrent leurs élus, sont en droit de les interpeller et de leur demander des comptes » souligne Aurélien Vernet, juriste et co-fondateur de Clic, qui insiste sur l’importance du développement d’un écosystème démocratique.
La collaboration avec des ONG
Clic travaille en collaboration avec différentes ONG, qui font bénéficier le collectif de leur expertise et de leur réseau. Ces associations sont d’ailleurs à l’origine de nombreux de leurs projets. Mais les actions menées par Clic peuvent aussi émaner des citoyens, qui sont invités à soumettre leurs idées. Celles-ci seront prises en compte par l’équipe de Clic pour les transformer le cas échéant en actions concrètes.
A l’origine de leurs différentes actions, on trouve aussi souvent une pétition. Elle a l’avantage de rassembler facilement une communauté et de signifier aux élus qu’une problématique est perçue comme étant importante par une partie de la population. Mais si certains députés peuvent défendre des projets en s’appuyant sur ces mobilisations citoyennes, la loi française n’oblige pas le pouvoir politique à tenir compte de ces pétitions.
L’interpellation directe des élus
C’est la raison pour laquelle Clic encourage d’autres actions, comme l’envoi de mails personnalisés pour interpeller directement les élus, ou les appels téléphoniques de masse. Ils proposent des formations dans les grandes villes de France pour ces prises de contacts, et un webinaire est également disponible à ce sujet sur MakeSense.TV. Ce genre d’actions restent malheureusement marginales. Sur 50 000 signataires d’une pétition, seules quelques centaines de personnes seront susceptibles d’envoyer un mail, et seules une vingtaine d’entre elles appelleront les députés.
Sur le site de Clic, de nombreux contenus sont par ailleurs à la disposition des citoyens pour mieux comprendre les enjeux et les dynamiques à l’œuvre dans chaque dossier, ainsi que l’évolution de la situation au niveau législatif.
Plusieurs victoires à l’actif de Clic
Depuis sa création, les actions de Clic ont contribué à faire valoir l’intérêt général pour modifier certaines lois. Le collectif a ainsi trois victoires à son actif. Pour la libération des semences, par exemple, la mobilisation citoyenne a permis de remettre la biodiversité semencière à l’agenda parlementaire. La proposition de loi Egalim réintroduit en effet l’autorisation de vendre des semences de variétés traditionnelles, appartenant au domaine public mais non inscrites au « catalogue officiel », à des utilisateurs non professionnels.
Cela permet d’encourager le travail précieux de conservation de la biodiversité des jardiniers amateurs et de lui donner les moyens légaux de se développer. Les jardiniers pourront enfin avoir accès à une plus grande diversité de semences, et surtout aux variétés non homogènes et non stables qui ont été interdites à la commercialisation par le système du « catalogue officiel ». Au niveau européen aussi, la législation a connu une avancée majeure. En effet, le règlement sur le Bio adopté en 2018 et applicable en 2021 autorise désormais la vente de variétés traditionnelles de semences même entre professionnels (cela ne concerne néanmoins que le secteur du Bio).
Huile de palme et pesticides
Une autre des actions menées par Clic concerne le régime fiscal privilégié de l’huile de palme utilisée dans les carburants. Une grande campagne citoyenne a été lancée, en lien avec une vingtaine d’ONG dont les Amis de la Terre, Canopée et Greenpeace. L’influence importante des lobbies industriels – bien plus puissants – a compliqué les choses, mais en décembre 2018, la mobilisation a finalement porté ses fruits. L’Assemblée Nationale a exclu l’huile de palme des agro-carburants bénéficiant d’une exonération fiscale.
Le collectif a aussi obtenu une belle victoire dans un autre domaine capital, la transparence sur l’utilisation des pesticides. Il s’agit d’une démarche citoyenne lancée en 2017 par Elsa, l’une des bénévoles de Clic, qui a finalement abouti en mars 2020 à un référé de la Cour des Comptes demandant à l’Etat français plus de transparence sur les produits phytosanitaires : « les pouvoirs publics doivent favoriser la mise à disposition des professionnels et du public d’informations élaborées dont ils garantiraient la fiabilité et la mise à jour régulière. »
Un revenu universel d’urgence
Beaucoup d’autres mobilisations citoyennes sont encore en cours, comme l’action pour la reconnaissance légale des habitats légers, démontables ou réversibles et l’organisation des Etats Généraux de la démocratie. Une autre campagne de CLIC fait également parler d’elle aujourd’hui, à l’heure où les propositions de la convention citoyenne pour le climat ont été publiées. De nombreux citoyens tirés au sort se mobilisent pour exiger du gouvernement que les propositions retenues et élaborées lors de ce processus démocratique historique soient adoptées sans filtre.
Aujourd’hui, la crise économique que nous traversons suite à la pandémie pourrait agir comme un accélérateur pour une autre revendication du collectif citoyen, l’adoption d’un revenu universel pérenne en France. Les gouvernements et les banques centrales prévoient d’injecter des centaines de milliards d’Euro dans le système financier en espérant que cela permettra de relancer la machine économique. Mais des voix s’élèvent pour que cette crise soit l’occasion d’injecter de l’argent vers les individus et l’économie réelle, plutôt que vers les systèmes financiers. Cette stratégie, qui reçoit actuellement de nombreux soutiens dans le monde, pourrait être un premier pas pour instaurer un revenu universel à sa suite.
Clic donne aujourd’hui à chacun les moyens de faire entendre sa voix, n’hésitez pas à visiter le site du collectif pour participer à ces différentes mobilisations. L’émergence de ce genre d’initiatives peut rééquilibrer les rapports de force entre citoyens, politiques et groupes industriels. A terme, ces nouveaux dispositifs démocratiques pourraient enfin donner à l’expression citoyenne la place centrale qu’elle mérite au sein du processus de prise de décision, alors qu’elle est trop souvent reléguée au rang de contre-pouvoir mineur.
Raphael D.