Numéro 1 mondial du e-commerce, Amazon est l’une des rares entreprises qui a profité de la pandémie de la covid-19 et continue d’en profiter. Avec des bénéfices qui explosent, la croissance fulgurante de la firme ces dernières années a fait de son dirigeant Jeff Bezos l’homme le plus riche du monde. A quel prix ? Entre évasion fiscale massive, incitation à la surconsommation, émissions de gaz à effet de serre, maltraitance d’employés et destruction d’emplois locaux, Amazon est probablement l’une des entreprises les plus néfastes de la planète pour la société et l’environnement. Alors que son chiffre d’affaires, qui devrait encore gonfler à l’approche du Black Friday, bat tous les records cette année, il est plus que jamais essentiel de questionner son monopole et les structures qui permettent à ce genre de monstre économique d’exister sans contrôle.
Cette position dominante, Amazon l’a acquise en s’affranchissant d’une série de règles et de considérations écologiques et sociales. Son développement s’accompagne ainsi d’une augmentation massive de la consommation de produits divers, dont une large partie ne répond pas à de véritables besoins. Si cette surconsommation engendre à elle-seule des effets ravageurs sur l’environnement, d’autres pratiques du géant du e-commerce contribuent à promouvoir un modèle de société aux antipodes d’un avenir durable et souhaitable.
Des chiffres démesurés en pleine pandémie
Contrairement à la plupart des entreprises, la crise sanitaire de la covid-19 constitue une aubaine pour Amazon. Après deux décennies de croissance, le deuxième trimestre 2020, marqué par la première vague de la pandémie et un confinement généralisé, s’est ainsi soldé par un chiffre d’affaires de 88,9 milliards de dollars, soit une augmentation de 40% par rapport à l’année précédente. En termes de bénéfices nets, l’entreprise en a enregistré 5,2 milliards de dollars en pleine crise sanitaire. Le trimestre suivant bat encore ce record avec 96,1 milliards de dollars de chiffre d’affaires, et 6,3 milliards de dollars de bénéfices dégagés.
Mais le contexte particulier de cette fin d’année 2020 pourrait signifier des résultats encore plus impressionnants. Le confinement intervenant pendant le Black Friday et à l’approche des fêtes, Amazon s’attend en effet à enregistrer un chiffre d’affaire compris entre 112 et 121 milliards de dollars au cours du quatrième trimestre, une première historique. Une grande partie de ces ventes sont réalisées sur le continent européen, et notamment en France, où Amazon a déclaré un chiffre d’affaire d’1,3 milliards en 2019.
Un recours systématique aux paradis fiscaux
D’après un rapport d’Attac France, avec les Amis de la Terre et l’Union syndicale Solidaires, ces chiffres déclarés seraient pourtant largement en dessous de la réalité. Les estimations indiquent en effet que la firme dissimulerait 57% de son chiffre d’affaires réalisé en France, et ce grâce à différents mécanismes de délocalisation fiscale. Les profits réalisés en Europe sont transférés à Amazon Services Europe, une filiale du groupe basée au Luxembourg, où il paye la plus grande partie de ses impôts, avec un taux de prélèvement bien plus faible. Cette optimisation fiscale, pratiquée par tous les GAFAM, la firme l’applique également aux États-Unis.
Une étude du New York Times avec le S&P Global Market Intelligence révèle ainsi qu’Amazon aurait payé des impôts à un taux moyen de 13% entre 2007 et 2015, soit près de la moitié de la moyenne de 26,9% pour les entreprises du S&P 500 (un indice boursier basé sur 500 grandes sociétés, qui couvre environ 80 % du marché boursier américain). En déplaçant systématiquement une grande partie de ses bénéfices vers l’étranger, Amazon réduit sa contribution aux recettes fiscales des États, mais ce recours massif aux paradis fiscaux renforce également sa position dominante vis-à-vis de ses concurrents, qui paient davantage d’impôts en proportion de leurs activités. On pense notamment aux librairies indépendantes qui croulent sous les impôts alors qu’elles réalisent un travail de proximité tout en générant des emplois locaux ayant du sens.
Des employés écrasés par un management oppressant
Dans sa quête de profit et de rentabilité, Amazon met également en place des conditions de travail parmi les plus dures du secteur, pratiquant sans hésiter le chantage à l’emploi dans des zones souvent sinistrées. Cadences imposées et harassantes, rémunérations inférieures à la moyenne, abus d’utilisation des intérimaires, pratiques de licenciement en fin de période d’essai, mesures de contrôle et de surveillance des salariés, on ne compte plus les dérives dont s’est rendue coupable la firme.
Dans une enquête publiée par le New York Times, des anciens employés ainsi que des sources anonymes décrivent une entreprise où la délation est encouragée, où les éléments jugés inaptes sont vite renvoyés et les autres exploités jusqu’à l’épuisement. La justice a également condamné ces abus à plusieurs reprises. Sanctionnée en avril dernier par le tribunal de Nanterre pour avoir négligé la sécurité de ses employés pendant la crise sanitaire, l’entreprise fait également l’objet d’une plainte dans son pays d’origine. Trois travailleurs d’un des entrepôts de la firme affirment en effet que le groupe n’a pas suivi les directives des agences de santé publique pour prévenir la propagation du coronavirus.
Un danger pour l’emploi local
Pour évacuer ce facteur humain qui semble lui poser tant de problèmes, Amazon développe aujourd’hui une automatisation maximale dans les entrepôts logistiques, la livraison par drone, ainsi que des magasins Amazon Go, sans employés, en phase de test dans plusieurs grandes villes américaines. De quoi confirmer les craintes de ceux qui mettent en cause le rôle de la firme dans la destruction d’emplois : Amazon veut réaliser un vieux rêve capitaliste : en finir avec le facteur humain. Si le nombre de ses employés à travers le monde s’élevait fin 2019 à 750 000 personnes, ce nombre se révèle relativement faible selon les normes de l’industrie de la vente au détail. Les magasins traditionnels, comme la chaîne Walmart, emploie ainsi environ 2,2 millions de personnes dans le monde. Pour cause, la rationalisation à l’extrême et un management oppressant permettent de maintenir une même productivité avec beaucoup moins de travailleurs.
Ce nombre est donc à confronter aux emplois « invisibles » détruits par Amazon. Une étude américaine réalisée en novembre 2016 par l’Institute for Local Self-Reliance avait abouti au ratio de « deux emplois supprimés aux États-Unis pour un emploi créé par Amazon ». En France aussi, la firme détruit bien plus d’emplois qu’elle n’en crée. A chiffre d’affaires équivalent, ses entrepôts embauchent 2,2 fois moins de salariés que les commerçants traditionnels. D’après un rapport du député et ancien secrétaire d’Etat au numérique Mounir Mahjoubi, les activités d’Amazon auraient indirectement détruit 20 200 emplois dans le commerce de proximité (en équivalent temps plein), soit un déficit entre les créations et les destructions de 7 900 emplois. Et ceci si on considère que ces emplois sont de qualités égales, ce qui n’est pas le cas au regard des conditions de travail chez Amazon.
Gaspillage et consommation excessive d’énergie
Mais la quantité de travail ne fait pas tout. Le développement de l’emploi, concentré dans quelques entrepôts, se fait également au détriment du tissu commercial local et donc du lien social. Mais ce type de commerce nuit également gravement à la planète, principalement via l’augmentation massive des transports de longue distance qu’il occasionne. Le rapport d’Attac France avance ainsi le chiffre 55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre émis par Amazon Web Services en 2018, soit l’équivalent des émissions du Portugal. Les pratiques de la firme occasionnent en outre un gaspillage considérable : 3 millions de produits neufs auraient été détruits par Amazon en France, rien que pour l’année 2018. L’entreprise ne respecte par ailleurs pas les obligations de reprise des déchets électroniques et électriques.
La démesure d’Amazon impacte ses émissions de nombreuses manières, et notamment via la taille de ses serveurs informatiques qui consomment des quantités d’énergie faramineuses. Ses activités numériques lui permettent en outre de recueillir une masse de données importante sur la vie privée des utilisateurs, particulièrement utile pour développer des publicités ciblées, orienter le choix des utilisateurs et surtout les pousser à consommer toujours plus. La gamme des produits et services proposés par Amazon ne fait en effet que s’élargir, au même rythme que sa course effrénée vers la rentabilité, au détriment de toute autre considération. Une doctrine qui cherche à fluidifier les échanges internationaux. Amazon est ainsi un cœur vibrant de la mondialisation triomphante. Finalement, c’est la seule chose qu’Amazon peut défendre aujourd’hui : écraser les prix pour contrôler le marché. Et la majorité des consommateurs se fournissent au moins cher sans se poser de question.
En matière de respect des droits humains et sociaux les plus élémentaires, de préservation des écosystèmes ou d’évasion fiscale, les multinationales comme Amazon semblent donc être parvenues à s’imposer face à des États trop complaisants. Le modèle entretenu et encouragé par ces firmes n’est pourtant pas soutenable, et il est désormais urgent de réagir pour se libérer de l’emprise de multinationales comme Amazon sur nos vies, en voie d’acquérir une situation monopolistique. C’est d’ailleurs ce que propose une tribune signée par 120 personnalités, élus, et représentants d’ONG, qui appellent à stopper la firme avant qu’il ne soit trop tard, en demandant l’instauration d’une taxe exceptionnelle sur le chiffre d’affaires.
Raphaël D.