Les traits sont tirés, les visages marqués, les émotions exacerbées, les multiples portraits dévoilés par Lee Jeffries parlent là où les mots se taisent. Cet artiste engagé met en lumière les laissés pour compte de la société dans une série poignante de clichés en noir et blanc.
Nous les apercevons souvent sans les regarder, un sentiment coupable d’impuissance nous étreint et rend la scène difficile à observer. Nous passons alors notre chemin, à la fois affligés par le manque de considération de la société dans son ensemble et désolés de notre propre incapacité à leur venir en aide durablement.
Bien sûr quelques fois nous tentons un rapprochement, des pièces tombent dans un gobelet ; un sourire timide et contrit est échangé, mais ça ne dépasse bien souvent pas ce stade. Le temps rend myope le cœur et ride les sentiments, et bientôt, ceux avec qui la vie n’a pas été aussi indulgente ne font plus partie que d’un triste décor.
Heureusement, tous n’ont pas encore abandonné l’idée de nous mettre face à ce que nous avons du mal à accepter, et c’est ici que le travail de Lee Jeffries intervient. Ce travail a débuté en 2008 alors que Lee faisait une rencontre surprenante dans la rue où il photographiait, sans sa permission, une jeune sans abris de la capitale anglaise. Ennuyée par le manque de politesse de Lee, celle-ci lui vociféra à son encontre. Mais plutôt que de fuir, Lee alla à sa rencontre et échangea plusieurs heures avec la jeune femme. C’est « le point de départ » de son engagement, confie-t-il.
Depuis, il parcourt le monde pour honorer ses gens aux histoires différentes et bouleversantes, comme pour Margo Stevens, ex-star du porno des années 90 devenue sans domicile et survivant dans un garage avec des femmes prostituées. Lee Jeffries entend leur donner une signification plus grande que la simple personne meurtrie dont il faudrait avoir pitié et qui n’attends plus désormais qu’une main tendue. Mais celle qui parle encore le mieux du travail du photographe, c’est Isabelle Nanty :
« Il leur redonne toute leur dignité, toute la force que cela représente que de vivre dehors et de ne pas faire partie du paysage mais de devenir soi-même un paysage. Chacun, à lui seul, reflète tout un monde, les visages sont sculptés comme des terres qui auraient subi des érosions, il y a des contrastes qui reflètent tous les mouvements du cœur, de l’âme. Ils sont tous comme des figures historiques, tous pourraient être un personnage connu, épique ».
Plus que de simples portraits, ces photographies brisent la surface et font de ces visages creusés autant de témoignages immortels du présent. Rencontre avec les oubliés de notre folle société.