En Grande-Bretagne, des dizaines de milliers de volontaires ont réalisé un audit des déchets présents sur les plages du pays. Leurs résultats sont saisissants. 12 marques sont les principales responsables de la production des déchets recrachés par l’océan, en ce qui concerne cette région du monde. Ces observations nous indiquent qu’une poignée de multinationales a une responsabilité colossale sur la crise écologique actuelle, notamment en persistant dans la production d’emballages non-écologiques.
En mai dernier, l’association « Surfers Against Sewage » (SAS) lançait sa nouvelle édition de l’évènement Million Mile Clean 2021, au cours duquel 50,000 volontaires se sont organisés lors de 600 rassemblements pour nettoyer plus de 560 000 km de plages et espaces naturels à travers toute la Grande-Bretagne. Dans la foulée de cette impressionnante campagne de nettoyage, 3,971 volontaires ont participé à un audit organisé par SAS afin d’évaluer l’impact de la pollution plastique engendrée tant par les producteurs de plastique et autres déchets, premiers responsables de cette pollution issue du modèle de consumérisme effréné de notre société, que par l’incivilité et irresponsabilité environnementales d’une partie des consommateurs britanniques.
Dans le rapport publié par SAS au lendemain de ce recensement, il apparaît que douze entreprises sont directement responsables de la présence des emballages plastiques et autres déchets sauvages récoltés lors de la réalisation de cet audit. Alors que le Royaume-Uni s’apprête à accueillir la Cop26 dans la ville de Glasgow en novembre prochain, l’ONG entend revendiquer la mise en place de réelles politiques environnementales susceptibles de lutter contre la pollution issue des déchets produits par les activités humaines. On notera que les injonctions à « mettre les déchets dans la bonne poubelle » sont complètement dépassées par la réalité : une surproduction de déchets à la source.
L’audit de marque organisé en parallèle de l’évènement Million Mile Clean 2021 a permis à un groupe de plusieurs milliers de volontaires de parcourir environs 17 000 km de plages, rivières, montagnes et autres espaces verts, et de récolter pas moins de 26,983 déchets à travers les quatre coins du Royaume-Uni. Les résultats publiés dans un rapport[1] de l’association SAS identifient douze entreprises comme étant responsables de 48% de la pollution globale issue des déchets sauvages, qu’ils soient plastiques ou autres. Parmi le nombre de déchets récoltés, les principales marques représentées étaient Coca-Cola, PepsiCo, AB InBev, McDonalds, Carlsberg, Tesco, Heineken, Haribo et Aldi. Par ailleurs, ces compagnies représentent 65% des déchets récoltés si l’on tient en compte leurs filiales et succursales, telles que Fanta, Costa Coffee, 7UP ou encore Dr Pepper.
Malgré des compagnes publicitaires mettant en avant la durabilité et les composantes 100% recyclables de leurs produits, Coca-Cola et PepsiCo se retrouvent pour la troisième année consécutive dans le top 3 de ce triste palmarès, avec pour Coca-Cola une quantité de déchets trois fois plus élevée que certaines de ces douze entreprises les plus polluantes. Force est de constater que tant que ce greenwashing ne sera pas démenti et que les responsabilités environnementales de ces multinationales ultra-polluantes ne seront pas mises en cause, l’éternelle recherche de profit, s’inscrivant dans l’idée illusoire d’une croissance économique infinie nécessaire pour résoudre les maux de notre ère, continuera à exacerber les destructions environnementales et inégalités sociales à travers le monde.
Enfin, ce rapport révèle une montée fulgurante d’un certain nombre de marques d’alcool dans ce top 12, pouvant notamment s’expliquer par le contexte sanitaire et la fermeture des pubs, bars et restaurants, ayant entraîné comme résultat une augmentation de la consommation d’alcool personnelle dans les espaces publics. Ce constat démontre l’urgence d’opérer des campagnes de sensibilisation et d’éducation des consommateurs sur les méfaits de la pollution et l’importance d’adopter un comportement éco-responsable, afin de limiter drastiquement la présence des déchets sauvages dans les espaces publics et dans la nature.
Déchets « non marqués »
Parmi les déchets collectés durant la réalisation de l’audit, une proportion importante de ces déchets étaient composés de produits dont la marque ne pouvait être identifiée.
Une part significative de cette catégorie de déchets est constituée des mégots de cigarettes. En effet, les mégots sont très souvent jetés par les fumeurs dans les rues, sur les trottoirs ou dans d’autres lieux publics, pouvant dès lors être transportés par ruissellement vers les espaces naturels et polluer rivières, parcs, plages et océans. Les filtres non biodégradables et composés de nombreuses particules plastiques constituent l’un des plus grands polluants dans le monde, entraînant des conséquences dévastatrices pour l’environnement en raison du nombre conséquent d’années nécessaires pour se décomposer intégralement. Par ailleurs, avec l’essor des e-cigarettes, dont les filtres à usage unique sont composés de plastiques, de déchets électroniques et chimiques, la pollution issue de l’industrie du tabac risque de gravement augmenter durant les prochaines années. À cet égard, en mars de cette année, le gouvernement anglais a annoncé son intention d’envisager la mise en place de mesures réglementaires permettant de garantir que l’industrie du tabac assume pleinement la responsabilité financière des coûts d’élimination de leurs produits ou matériaux toxiques mis sur le marché, y compris les mégots de cigarettes[2].
Outre les produits issus de la pêche, les bouteilles en verre, et autres déchets non plastiques tels que les pneus ou objets métalliques, la rapport révèle aussi une augmentation des déchets directement liés à la crise sanitaire. En effet, la pandémie a considérablement augmenté la production et l’utilisation des masques médicaux ou en tissu, avec pour conséquence l’essor d’une nouvelle forme de pollution et de nouveaux risques en matière de gestion des déchets. L’Organisation Mondiale de la Santé a signalé une augmentation de 40% de la production mondiale de masques jetable depuis le début de la pandémie, et estime qu’à l’avenir la pandémie pourrait entraîner la production et consommation de centaines de millions de masques par mois, transformant davantage nos océans en déchèterie à ciel ouvert[3].
L’extension du principe de « pollueur-payeur »
Dans le système réglementaire actuel en matière de gestion des déchets, les producteurs d’emballages dont le chiffre d’affaires dépasse 2 millions de livres sterling doivent s’enregistrer et assumer leur part de responsabilité en matière de gestion et recyclage des déchets d’emballages, afin de les inciter à réduire la quantité d’emballages en début de chaine de production, de réduire la quantité d’emballages mis en décharges et d’augmenter la quantité d’emballages recyclables et récupérables. Or, alors que toutes les entreprises les plus polluantes présentes dans le rapport enregistrent un chiffre d’affaires annuel bien supérieur à 2 millions de livres sterling, les producteurs ne paient actuellement qu’environ 10% des coûts liés à l’élimination de leurs produits. Dès lors, le gouvernement entend introduire un système de responsabilité élargie des producteurs d’ici à 2023 dans lequel les producteurs assumeraient 100% des coûts de gestion, de recyclage et d’éliminations de leurs déchets d’emballages, à des frais plus élevés lorsque ceux-ci sont plus difficilement recyclables. À cet égard, le gouvernement prévoit également d’introduire en 2022 une taxe supplémentaires sur tous les emballages qui ne sont pas constitués d’au moins 30% de contenu recyclé.
Toutefois, la SAS souhaiterait la mise en place de législations plus ambitieuses qui permettraient d’interdire la production et consommation de plastique polluant non essentiel et à usage unique.
Introduction d’un système ambitieux de consigne en Grande-Bretagne
Afin de réduire drastiquement le nombre de déchets sauvages et accroître la quantité de déchets recyclables, le gouvernement britannique étudie actuellement la potentielle mise en place d’un système de consigne pour toutes les bouteilles en plastique polyéthylène téréphtalate (PET) et en verre, ainsi que les cannettes en acier et en aluminium. En effet, dans un système de consigne, les consommateurs paient une consigne initiale sur un article qui sera ultérieurement remboursée lors du retour du récipient[4].
Dans les systèmes de reprise des dépôts consignés bien conçus et complets, tel que celui introduit en Allemagne, il a été démontré qu’un tel système permet de favoriser considérablement le recyclage et la réutilisation des matériaux consignés, et d’ainsi permettre au plastique de haute qualité de rester dans la chaine de consommation[5].
Selon une étude publiée dans le rapport de la SAS, 73% des déchets récoltés parmi les 12 entreprises les plus polluantes seraient couverts par ce type de système de récupération des déchets, évitant ainsi une importante part de la pollution liée à la gestion actuelle des déchets en Grande-Bretagne.
Des conséquences dramatiques pour l’environnement
Il est estimé que 8 à 13 millions de tonnes de plastique finissent chaque année dans les océans, et que 80% de ces déchets présents dans les écosystèmes marins proviennent des activités humaines « terrestres ». En effet, la pollution marine résulte principalement des déchets rejetés dans les égouts, et ensuite dans les rivières, des déversements industriels, de la mauvaise gestion des décharges et de l’incivilité des consommateurs, dont le ruissellement en temps de pluie amène directement les déchets vers les rivières, plages et océans.
Ce haut taux de polluants dans les écosystèmes marins ne sont malheureusement pas sans conséquences pour l’environnement[6]. Chaque année, 100,000 mammifères marins et tortues, ainsi qu’un million d’oiseaux marins sont tués en raison de la pollution plastique. Les scientifiques ont récemment démontré que les polluants plastiques représentent systématiquement 80% de tous les débris marins recensés. Par ailleurs, il pourrait y avoir actuellement 5,25 trillions de macro et microplastiques dans nos océans. Plus alarmant encore, des glaciologues ont récemment découvert des microplastiques enfouis dans les glaces de l’Arctique.
Dès lors, bien que nous sommes impuissants face à la quantité de déchets produits chaque année par les multinationales et entreprises polluantes, il est essentiel d’opérer à notre échelle des choix éco-responsables dans la gestion de nos déchets ménagers afin de limiter au mieux notre emprunte écologique personnelle.
W.D
[1] Slack, A., Turner, S. M., Surfers Against Sewage: 2021 Citizen Science – Brand Audit Report, août 2021, disponible sur: https://www.sas.org.uk/wp-content/uploads/SAS-BrandAudit2021-Digital.pdf
[2] Faulconbridge, « UK warns big tobacco firms: You should pay for cleaning up cigarette butts” in Reuters, 30 mars 2021, disponible sur: https://www.reuters.com/world/uk/uk-warns-big-tobacco-firms-you-should-pay-cleaning-up-fag-butts-2021-03-30/
[3] OMS, Shortage of personal protective equipment endangering health workers worldwide, 3 mars 2020, disponible sur https://www.who.int/news/item/03-03-2020-shortage-of-personal-protective-equipment-endangering-health-workers-worldwide
[4] Department for Environment, Food and Rural Affairs, Introduction of a deposit return scheme in England, Wales and Northern Ireland, 24 mars 2021, disponible sur: https://www.gov.uk/government/consultations/introduction-of-a-deposit-return-scheme-in-england-wales-and-northern-ireland
[5] Centre Européen de la Consommation, La consigne en Allemagne, 30 juin 2019, disponible sur : https://www.cec-zev.eu/thematiques/environnement/la-consigne-en-allemagne/
[6] SAS, Plastic Pollution – Facts and Figures, disponible sur https://www.sas.org.uk/our-work/plastic-pollution/plastic-pollution-facts-figures/