Une récente étude publiée par des chercheurs de l’Université de Californie révèle que certains pesticides peuvent avoir des effets durables sur la santé reproductive des abeilles, en réduisant leur taux de fertilité. Plus alarmant, alors que les populations d’abeilles sont déjà en chute libre depuis plusieurs années, cette étude révèle également que l’exposition aux pesticides affecte les insectes pollinisateurs sur plusieurs générations, réduisant ainsi la croissance globale des populations d’abeilles. Essentielles pour la sauvegarde de la biodiversité, des écosystèmes et de la sécurité alimentaire, il est urgent d’adopter des politiques ambitieuses de conservation et de protection des espèces pollinisatrices, dont nous dépendons tous intrinsèquement. Mise en lumière.
Alors que les effets néfastes des pesticides sur la biodiversité sont largement documentés, on sait actuellement peu de choses sur la manière dont ils affectent les insectes, et particulièrement les insectes pollinisateurs, sur le long terme.
Cette nouvelle étude, publiée dans le magazine scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences [1], révèle qu’une seule exposition à certains insecticides au cours de la première année de vie d’une abeille impacte sa santé reproductive, la fertilité de sa progéniture, et diminue ainsi la croissance démographique globale des populations d’abeilles.
Afin de démontrer « les effets de rémanence » que les pesticides ont sur les différentes générations d’abeilles, c’est-à-dire les effets qui perdurent dans le temps malgré que la cause de ceux-ci ait disparu, les chercheurs de l’Université de Californie ont étudié les conséquences d’une exposition à un insecticide sur la santé des abeilles maçonnes du verger, une espèce d’abeille bleue solitaire et sauvage.
Pendant deux ans, ces abeilles bleues ont été exposées à l’imidaclopride, un insecticide connu pour sa toxicité pour les abeilles. Le résultat est sans appel. « L’exposition répétée pendant deux ans a eu un effet négatif additif sur la reproduction individuelle des abeilles, ce qui a conduit à une réduction vraiment spectaculaire de la croissance de la population »[2], a notamment averti Clara Stuligross, auteure principale de l’étude.
Une réduction de la fertilité des abeilles observée sur plusieurs générations
Dans le cadre de cette étude, les chercheurs ont expérimenté plusieurs combinaisons d’exposition dans le temps et au cours de leur cycle de vie : une exposition des abeilles au cours de la première année, une lors de la première et deuxième année, et enfin une exposition lors de leur seconde année de vie.
Les abeilles exposées à l’imidaclopride lorsqu’elles étaient encore à l’état de larve, puis plus jamais, ont eu une diminution de 20% de progéniture par rapport aux larves qui n’avaient jamais été exposées à cet insecticide. Les abeilles adultes qui ont été exposées une seule fois au cours de la première année ont enregistré une réduction de 30% de progéniture par rapport aux abeilles adultes non exposées. Enfin, concernant les abeilles qui ont été exposées au cours des deux années, les chercheurs ont observé une diminution de 44% du taux de fertilité.
« L’exposition aux pesticides réduit la reproduction des abeilles, et l’exposition aux stades de vie antérieurs ou à une génération précédente a une incidence sur les performances de l’abeille l’année suivante » [3], a indiqué Stuligross. Plus alarmant, compte tenu du taux de nidification des abeilles bleues et le ratio femelle/mâle, les chercheurs de l’université californienne ont observé une réduction de la croissance démographique des populations d’abeilles de 71% lorsqu’elles ont été exposées au cours de deux années consécutives.
Par ailleurs, comme s’en inquiète Stuligross, « ce pesticide, présent dans de nombreux tissus végétaux, affecte également le système nerveux des abeilles. Dès lors, outre l’incidence sur la fertilité des individus, il peut y avoir de nombreux autres types d’effets sur le comportement et la physiologie des abeilles » [4].
Un rôle indispensable pour la survie de nos écosystèmes
Bien que l’utilisation de l’imidaclopride soit interdite dans l’Union Européenne, sa production ne l’est pas, et de grandes quantités sont exportées chaque année à travers le monde. Selon le National Pesticide Information Center de l’Oregon State University, on retrouve cet insecticide dans plus de 400 produits mis en vente sur le marché.
Or, malgré leur rôle indispensable pour la préservation de nos écosystèmes et la pérennité de nos systèmes alimentaires, on enregistre chaque année un déclin des populations d’abeilles de plus en plus dramatique. En effet, grâce à la pollinisation, elles assurent la préservation de la biodiversité et des écosystèmes, et contribuent à la sécurité alimentaire en participant directement au maintien de la production végétale de nos systèmes agricoles.
Selon Lars Chittka, professeur d’écologie à l’Université Queen Mary de Londres, « cette nouvelle étude montre que même si l’application de pesticides était interdite pour la saison 2022, nous verrions toujours les effets négatifs des applications de 2021. Les larves qui arrivent à maturité aujourd’hui et se préparent à polliniser les cultures de l’année prochaine sont déjà affectées de manière irréversible »[5].
Sachant que les pesticides peuvent réduire dramatiquement le taux de croissance des populations d’abeilles à long terme, il est essentiel de prendre rapidement des mesures concrètes en faveur de la sauvegarde des insectes pollinisateurs pour éviter l’effondrement de nos cultures végétales et d’arbres fruitiers, et préserver la biodiversité déjà gravement menacée.
W.D.
[1] Stuligross, C., Williams, N. M., Past insecticide exposure reduces bee reproduction and population growth rate, Proceedings of the National Academy of Science of the United States of America, 30 novembre 2021, disponible sur: https://www.pnas.org/content/118/48/e2109909118
[2] Truong, H., “Study shows pesticide can impact generations of bees. Here’s what you can do” in Phys.org, 1 décembre 2021, disponible sur: https://phys.org/news/2021-12-pesticide-impact-bees.html
[3] Quaglia, S., “Bees may take generations to recover from one exposure to insecticides” in The Guardian, 22 novembre 2021, disponible sur: https://www.theguardian.com/environment/2021/nov/22/bees-generations-recover-exposure-insecticides
[4] Ibid., https://www.theguardian.com/environment/2021/nov/22/bees-generations-recover-exposure-insecticides
[5] Ibid., https://www.theguardian.com/environment/2021/nov/22/bees-generations-recover-exposure-insecticides
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