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    Handicap : « Si on ne médiatise pas ma situation, ils vont me tuer ! » 

    Dorine, une maman de 49 ans en fauteuil roulant, se bat depuis des années pour ses droits. Souffrant d’une maladie génétique orpheline (pathologie rare pour laquelle il n’existe pas de traitement efficace) elle raconte à quel point elle se retrouve délaissée par la société malgré l’existence de lois qui doivent veiller à son intégration. Pire encore, sa vie est quotidiennement mise en danger depuis qu’elle a déménagé dans la ville de Bergerac (24100) et ce, malgré de nombreuses sollicitations du maire, d’autres élus et de la police. Une inaction criminelle des autorités qui fait froid dans le dos. Témoignage.

    « J’ai fait le plus gros de ma carrière dans le domaine socio-professionnel (insertion) mais je suis maintenant en invalidité. Je suis en fauteuil roulant électrique depuis 5 ans avec lequel j’ai commencé à Briançon (station de ski et de montagne, 6 mois de neige par an) puis Istres (ville du sud de la France) : je pensais avoir fait le tour en 5 ans de la question des problématiques d’accessibilité… puis, j’ai déménagé à Bergerac fin février 2022 !

    Si je reste complètement autonome et plutôt débrouillarde dans ma vie de tous les jours (je me considère comme une valide à roulettes et refuse tant que cela sera possible toute aide humaine), ma vie est devenue un enfer depuis mon arrivée ici (pour me rapprocher de Bordeaux où exerce l’un des rares spécialistes maîtrisant la maladie génétique orpheline dont je souffre).

    La « priorité absolue » du maire de Bergerac : les déjections canines

    Bergerac est une très jolie bourgade de Dordogne qui est aussi la ville de mes racines, d’où mon nom de famille. Le maire de la commune s’est médiatiquement fait connaître il y a quelques mois pour son grand combat dont la cause est une priorité absolue selon lui : les déjections canines.

    Alors, si cela est effectivement important (car quand on est handi et qu’on roule dans du caca, on le rapporte à la maison avec ses roues… et sur les mains lorsque le fauteuil est manuel), j’ai très vite réalisé qu’à ses yeux « handicap » et « accessibilité » avaient bien moins d’importance que le buzz des « merdes de chien ».

    Cela n’allait pas me décourager. Ne dit-on pas que « seuls les cons ne changent pas d’avis » ? Mais c’est justement là qu’il me semble que le bât blesse… J’ai donc très vite compris que non seulement on ne ferait rien, mais qu’en plus il ne fallait pas trop déranger car, ne l’oublions pas, je ne suis qu’une handicapée. Mais je suis aussi une citoyenne, une électrice, une administrée et une femme (un être humain donc !) et j’ai eu l’audace d’avoir l’outrecuidance d’essayer de le rappeler ….Oups.

     

    Eh bien NON, j’ai découvert qu’à Bergerac, je ne suis rien (voire même, moins que rien). Je ne suis tellement rien que le maire a donné des instructions pour que plus aucun service municipal ne communique avec moi (tous mes écrits restent lettre morte), pas même la police municipale dont l’élu responsable est également le maire. Pour finir de me prouver que je n’existe pas pour la commune, le maire a même pensé (et cela montre a quel point il a réfléchi au sujet) à me bloquer de la page Facebook de la commune pour que je ne puisse avoir aucune information quelle qu’elle soit. Si cela m’a fait rire au début, j’ai vite effacé mon rictus lorsque je me suis retrouvée sans aucune information au moment de l’explosion de l’usine SEVESO cet été.

    Mais que faire ? C’est le Maire ! Il a des pouvoirs administratifs et judiciaires, le pouvoir d’un réseau et de relations (et j’attends le retour de bâton lorsqu’il apprendra que je vous ai saisi mais je l’assume !). Je souhaitais médiatiser cette situation car je pense être clairement discriminée et mise en danger et cela ne peut plus durer.

    Voici quelques exemples concrets qui nous mèneront à peine plus loin que le bout de ma rue (sinon j’écrirais un livre…) :

    Étape 1 : Entrer/sortir de la maison. Pour sortir de chez moi, j’ai un trottoir qui rend les choses aussi périlleuses que dangereuses avec mon fauteuil. La solution serait simple: mettre en place un bateau pour me permettre d’accéder en sécurité et en autonomie (sachant qu’il n’y a aucun bateau sur l’intégralité du trottoir pour me permettre un accès ailleurs). Normalement cela est simplissime puisque prévu par la loi et est même une priorité ministérielle : L’accessibilité de la voirie et des espaces publics | Ministères Écologie Énergie Territoires (ecologie.gouv.fr)

    Ce non-problème en devient un puisqu’à Bergerac, le maire refuse que l’enveloppe attribuée (on parle de millions d’euros !) par la CAB (Communauté d’Agglomération Bergeracoise) serve à mon accessibilité et me demande donc de payer ces travaux comme me l’a indiqué la conseillère municipale en charge du handicap… La CAB vous confirmera toujours donner son accord pour les problématiques de handicap et même des instructions pour une mise en place gracieuse conformément à la loi.

    Que faire face à un maire qui refuse d’appliquer la loi ?

    Pour trouver un compromis et gagner du temps, j’ai demandé à pouvoir installer, à mes frais, comme à ceux de mon voisin (notable et valide), un accès « fait maison ». Cela lui permet de ne pas abîmer sa Berline lorsqu’elle rentre au garage et cela me permettrait, à moi, de rentrer en sécurité avec mon fauteuil roulant. Cela m’a été refusé car il est illégal d’investir la voirie et le domaine publique. On m’a expliqué que lui bénéficie d’une tolérance dont je ne peux bénéficier (sans autre explication).

     

    Suite à cela, et alors que, depuis toujours, nous nous garions comme nous le souhaitions dans l’impasse, Monsieur le Maire vient de changer les règles avec un stationnement par quinzaine côté pair puis impair.

    Désormais, 15 jours par mois, toutes les voitures étant d’un seul coté, je ne peux accéder ni sortir de chez moi en fauteuil roulant et encore moins mettre ou sortir mon fauteuil de mon coffre de ma voiture. J’ai bien entendu prévenu tant la police municipale que l’élue en charge du handicap, et que Monsieur le Maire… tous sont restés muets et rien n’a été changé.

    Cela est une entrave concrète à ma liberté élémentaire d’aller et venir et cela me pourrit la vie. Ainsi je suis interdite d’aller chercher mes médicaments ou de sortir mon chien quand je le souhaite. Je dois faire en fonction des horaires de mes voisins pour ne pas me retrouver coincée.

     

    J’ai bien entendu demandé à pouvoir bénéficier d’une place PMR puisqu’il n’y en a aucune dans le pâté de maison et que je suis bénéficiaire de la carte mobilité inclusion. L’élue en charge du handicap m’a indiqué « étudier ma demande » formulée il y a plus de 6 mois. Ni elle ni le service responsable ne souhaitent répondre à mes relances. Cela veut certainement dire que c’est un refus car il ne faut pas des mois pour étudier la faisabilité et réaliser une place PMR de surcroît dans une impasse d’une vingtaine de maisons, elle-même dans une ville de 26000 personnes.

    Une fois sortie, il ne faut pas vouloir accéder à un service public ou même au bout de la rue… Par exemple, il m’est interdit d’aller à la poste de mon quartier (c’est vraiment ballot car il se trouve que la banque postale est justement ma banque). Outre le fait qu’il n’y a, là encore, aucune place PMR pour se garer, il n’y a pas non plus d’accès PMR. Pire encore, il y a un double trottoir (utilité ?) qui m’interdit tout accès seule.

    Je vous épargne les incivilités qui, bien que signalées, ne sont jamais verbalisées. Je peux justifier de demandes à la police municipale datant de plus de 6 mois où la problématique reste inchangée et me met concrètement en danger.

    Voici l’exemple d’une rue à sens unique (perpendiculaire à la mienne, c’est donc un passage obligé). Si une voiture arrive, elle ne peut pas me voir, pas plus que je ne peux la voir. Dans cette situation, un freinage d’urgence ne servira à rien. Imaginez vous un choc frontal fauteuil roulant contre voiture.Quel humain peut laisser délibérément un autre humain risquer à ce point sa vie sans jamais intervenir ? Informés, cela ne pose problème ni à Monsieur le Maire ni à l’élue en charge du handicap, ni à la police municipale…

     

    Je ne demande pas à avoir un policier derrière moi H24 et, pour tout vous dire, je trouverais cela particulièrement déplaisant. Mais ne nous voilons pas la face, il y a des solutions : lorsqu’on a été verbalisé pour stationnement gênant/stationnement dangereux, on a souvent deux réflexes : on fait attention la fois suivante et on en parle (oui, on râle même à tort ! ) et de ce fait les autres font aussi attention pour ne pas se faire verbaliser… Mais voilà comment la police municipale (le brigadier chef principal, s’il vous plaît) justifie son inaction dans son unique mail du 2 Août 2022 :

    Il fait référence à la photo ci-dessous qui empêche le passage de mon fauteuil.  Cela signifie donc que pour la police municipale de Bergerac :

    –  stationner sur des bandes blanches est légal (dans ce cas pourquoi avoir matérialisé des places au sol ?). J’ai constaté d’autres cas où, reliés par plusieurs passages piétons, ces bandes blanches sont donc considérées comme des trottoirs. On ne met pas des passages piétons au milieu de rien…

    il est normal de refuser d’appliquer la jurisprudence (l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2022 :  « La Cour de cassation a en effet estimé qu’un trottoir n’était pas forcément surélevé« . En clair, peut être considéré comme trottoir une zone au sol réservée aux seuls piétons, qui serait délimitée par une démarcation par exemple. “Constitue un trottoir la partie d’une voie urbaine qui longe la chaussée et qui, surélevée ou non, mais distinguée de celle-ci par une bordure ou tout autre marquage ou dispositif, est réservée à la circulation des piétons.”

    que l’on peut mettre les citoyens en danger en leur mentant tant au regard de l’application du code de la route que de la loi.

    Ils ne peuvent ignorer qu’un fauteuil roulant n’a pas le droit de circuler sur la route mais seulement sur les trottoirs, mais en fin de compte, ils n’en ont rien à faire, comme ils font fi du caractère vulnérable d’un(e) PMR.

    Je tiens à préciser que dans mes exemples, nous ne sommes qu’à 50 mètres de la maison. J’espère que vous pouvez maintenant comprendre pourquoi j’ai vraiment le sentiment d’être victime de discrimination, de mise en danger volontaire et de refus d’application des lois. Me nier à ce point est vraiment très humiliant. Dans mon malheur, j’ai la chance d’être un minimum instruite et de me battre pour mes droits mais quid de toute la population handi qui n’a pas les capacités physiques ou mentales de le faire ? Comment peut on écraser moralement, mettre en danger, oublier, mépriser toute une partie de la population même si dans les faits, elle ne se rebelle jamais (a t-on déjà vu une manifestation pour les droits des personnes en situation de handicap ?). N’est ce pas à l’État de montrer l’exemple ? »

    M.A.J. 14/12/2022 : Les mésaventures de Dorine continuent de s’accumuler avec le refus notamment de sa place PMR. Ainsi, à Bergerac, ce ne serait pas le maire qui décide d’accorder ces places mais les riverains… Ce qui donne naissance à de nouvelles questions sans réponse : Qui ? Quand ? Pourquoi ?

    Selon Dorine, l’élue en charge du handicap est même allée jusqu’à lui reprocher ses courriels de relance, l’accusant de causer des problèmes dans le quartier : « En fait, elle retourne le problème : plutôt que de sécuriser le quartier et de respecter la loi, on me reproche de courir des risques dans le quartier. Quelle perversité !

    Elle oublie simplement que le maire avait fait parvenir un document qui ne laissait aucune ambiguïté sur la création d’une place PMR. » précise Dorine.

    « A noter que l’OPI du 1er septembre n’a jamais eu lieu. Maintenant, la place PMR la plus proche est à environ 300 mètres alors que la Carte Mobilité Inclusion est réservée aux personnes qui ne peuvent faire plus de 20 mètres.

    Je pense juste être punie pour avoir parlé et posé des questions sur le respect de mes droits. Si je continue vais-je être envoyée au goulag ou serai-je brûlée vive sur place publique comme les sorcières ? Je verrai bien ce qui m’attend car je ne lâcherai rien. » termine Dorine, portée par une détermination à toute épreuve malgré les nombreuses difficultés qui l’assaillent au quotidien.

    La page Facebook de Dorine pour suivre son combat et la soutenir : https://www.facebook.com/domobilesed

    – Propos recueillis par Elena M.


    Photo de couverture @Dorine et Bergerac, Mairie @Père Igor/Wikicommons

     

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