Aussi essentiel aux écosystèmes que salutaire à l’être humain, le renard continue pourtant d’être affublé de l’étiquette d’« animal nuisible ». À ce jour, il fait, contre toute logique, partie de la liste des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD). Une aberration mortifère témoignant une fois de plus de l’étroit copinage entre l’État et le lobby de la chasse. Focus sur le renard, cet animal incompris, victime de préjugés absurdes profondément enracinés dans la culture collective.
Le verdict de l’Agence de sécurité sanitaire (Anses), qui a remis son expertise mi-juin suite à la demande du ministère de la Transition écologique, est sans appel : « le motif sanitaire ne justifie aucune intervention sur les populations de renards ». Pourtant, la liste ESOD a été renouvelée mi-juillet par un arrêté et ce, jusqu’en 2026, justifiant ainsi le massacre d’au-moins un demi-million d’individus par an.
Chasse à tir, piégeage, déterrage, battues administratives… Tout autant de techniques meurtrières sont utilisées contre le renard, en réalité inoffensif, devenu malgré lui un bouc-émissaire. En dépit de son utilité indéniable pour la biodiversité mais aussi pour les activités humaines, le renard est aujourd’hui un des animaux sauvages les plus persécutés. Une pétition a été lancée par les associations Anymal, Aspas et One Voice pour retirer le renard de la liste des ESOD.
L’abattage des renards est contre-productif sur le plan sanitaire
L’un des premiers arguments soutenant l’éradication des renards est qu’ils sont vecteurs de pathologies, plus particulièrement de l’échinococcose alvéolaire, une maladie parasitaire causée par Echinococcus multilocularis. Cependant, les animaux domestiques étant les principaux transmetteurs de cette maladie à l’homme, les vermifuger suffit à rendre le risque quasi-nul.
Selon le rapport d’expertise de l’Anses : « Les quelques données disponibles sur les agents pathogènes pour lesquels le renard joue ou a joué un rôle épidémiologique majeur, i.e. E. multilocularis et le virus rabique [rage], et les connaissances acquises sur la dynamique populationnelle et épidémiologique dans cette espèce permettent de conclure, avec un niveau d’incertitude faible, que l’élimination des renards ne permet pas de les contrôler et donc de réduire le risque de transmission de ces agents pathogènes aux humains ou aux animaux domestiques. Des effets inverses de ceux attendus (augmentation de la charge parasitaire, dispersion virale) ont au contraire pu être observés. »
Notons ici que brandir, en parallèle, le spectre de la « rage du renard » est inapproprié puisque le dernier cas remonte à 1998, celle-ci ayant été complètement éliminée du territoire français en 2001 grâce à la vaccination. Par ailleurs, selon les données officielles, « parmi les pays qui ont mis en œuvre ces plans de vaccination orale des renards, la France est le seul pays qui ait obtenu un succès continu. ».
Le renard : notre allié contre la maladie de Lyme
En plus de n’avoir pas grand-chose à voir avec la « menace sanitaire » proférée dans les légendes urbaines, les renards sont au contraire de véritables atouts en matière de santé publique. La maladie de Lyme, également appelée borréliose, (causée par une bactérie du genre Borrelia), se transmet à l’humain par les piqûres de tiques ayant elles-mêmes piqué un animal contaminé. Lorsque détectée suffisamment tôt, elle peut être guérie grâce à un traitement antibiotique d’une durée de quelques semaines. Dans le cas d’une prise en charge tardive, les soins doivent en revanche être plus étendus, en raison d’atteintes cutanées, articulaires, voire neurologiques.
Les rongeurs font partie des principaux vecteurs de la maladie de Lyme étant donné qu’ils vivent près du sol, là où se trouvent les bactéries. Et l’un des principaux prédateurs des rongeurs est… le renard bien entendu. Ce même animal massacré par centaines de milliers chaque année pour en fin de compte, aboutir à un effet boomerang avec une augmentation des cas de borréliose, proportionnellement liée aux abattages de renards.
C’est le constat notamment de chercheurs néerlandais qui ont découvert que les zones où les renards sont les plus nombreux sont celles où l’on retrouve le moins de tiques. Et ceci pour une raison simple, les rongeurs ont moins tendance à s’aventurer en dehors de leur habitat en présence d’un prédateur. Les rencontres avec les tiques deviennent donc moindres et celles-ci se contentent de cibles plus faciles, non vectrices d’infections, contrairement aux rongeurs. L’étude, publiée en 2017, conclut :
« L’émergence des effets en cascade de l’activité des prédateurs sur le risque de maladies transmises par les tiques appelle à l’appréciation et à la protection des espèces prédatrices telles que le renard roux, dont beaucoup sont persécutées dans toute l’Europe. »
En 2012 déjà, des scientifiques américains avaient montré que l’augmentation des cas de maladie de Lyme était liée au déclin des populations de renards roux, concluant que « les changements dans les communautés de prédateurs pourraient avoir des impacts en cascade facilitant l’émergence de maladies zoonotiques, dont la grande majorité dépendent d’hôtes occupant des niveaux trophiques bas. »
Ainsi, l’argument sanitaire pour le massacre des renards est en réalité une contre-vérité, basé sur des croyances démantelées depuis des années. Blâmés d’être responsables de la propagation de maladies, les renards font tout au contraire partie des animaux qui les limitent et qui préservent la santé des écosystèmes.
Les renards : amis des agriculteurs
En plus d’être utiles pour l’humain sur le plan sanitaire, les renards sont également des alliés incontestables des agriculteurs dont beaucoup finissent eux-mêmes par protester contre l’abattage de ces canidés. En cause, les campagnols : des petits rongeurs également appelés « rats taupiers » qui creusent des galeries souterraines donnant l’impression d’un sol labouré sur des zones données, modifiant le paysage des prairies et raréfiant l’herbe à disposition pour les ruminants. En outre, ils se nourrissent de plantes et de racines, dévastant ainsi certaines récoltes (de pommes de terre notamment) mais aussi des arbres fruitiers.
Prédateur et régulateur naturel des écosystèmes, un renard peut manger à lui seul entre 6 000 et 10 000 rongeurs par an, limitant ainsi grandement la dévastation des cultures par les campagnols. Et ce n’est pas tout ! Également chasseur de lapins, il a récemment été appelé à la rescousse par des agriculteurs dans l’Hérault en raison de dégâts causés par une prolifération que les chasseurs ne sont pas parvenus à contrôler. La présence du renard permet en fin de compte des milliers d’euros d’économies aux agriculteurs chaque année. Ainsi, leur massacre n’est pas seulement une aberration écologique mais aussi économique.
Autre accusation à l’encontre des renards : ils seraient les ennemis absolus des élevages de volailles. Bien qu’il leur arrive effectivement de s’attaquer aux poules, il ne s’agit-là que d’une très faible fraction de leur alimentation. Par ailleurs, étant des animaux « opportunistes », ils visent principalement les proies faciles, c’est-à-dire que si les poulaillers sont protégés adéquatement, ils n’auront aucun intérêt à s’y attaquer. À ce propos, quelques mesures sont conseillées sur le site de Natagora (association de défense de l’environnement située en Wallonie).
À l’heure où l’humain a presque totalement dévasté la vie sauvage sur cette planète, un effort de cohabitation inter-espèces est plus que nécessaire. Dans un témoignage envoyé à l’Aspas (Association pour la protection des animaux sauvages), une éleveuse de poules montre qu’il est tout à fait possible de coexister pacifiquement avec le renard, dénonçant au passage les dérives de la chasse qui l’incommodent bien plus que cet animal sauvage :
« Depuis 15 ans, nous avons un élevage de 3 500 poules pondeuses, en Label Rouge et plein air, dans le Tarn et Garonne. Les poules disposent de 3,5 hectares de prairie arborée où elles évoluent librement dans la journée. Le soir, elles rentrent d’elles-mêmes au poulailler et nous fermons les trappes.
En 15 ans, nous n’avons JAMAIS eu à nous plaindre des renards. En effet, ces animaux discrets et craintifs ne rôdent que la nuit. Et même si, par hasard, l’un d’eux avait attrapé une poule sortie du parc, j’estime que c’est “de bonne guerre” étant donné que nous exploitons une grande partie de leur habitat.
Par contre, la seule fois où nous avons eu un énorme préjudice et plus d’une centaine de poules tuées en plein jour, c’était il y a 3 ans lors de l’intrusion de CHIENS DE CHASSE dans notre enclos. Inutile de vous détailler les horreurs que nos poules ont subi, ainsi que le traumatisme à long terme qui a évidemment agi aussi sur le taux de ponte… Les chasseurs responsables se sont à peine excusés, sans aucune empathie pour les nombreux animaux blessés et agonisants, se retranchant derrière leurs assurances.
Chaque fois que j’entends des gens se plaindre des renards, je leur suggère juste de fermer leurs poulaillers le soir, ce qu’ils ne font pas, par paresse et négligence. Les élevages de volailles, quels qu’ils soient, favorisent la prolifération des rongeurs, et c’est bien normal que le renard fasse son boulot de prédateur, c’est pourquoi j’apprécie sa présence, qui est une meilleure solution que l’épandage de raticides : écologique et gratuit.
Merci à vous de réhabiliter le renard en particulier et toute la petite faune naturelle que nous ne voulons pas voir disparaître. »
Ignorance et soif de sang : les maîtres mots de notre « régulation » des prédateurs sauvages
Si la saison de chasse dure généralement de septembre à février et qu’il est interdit de tuer certaines espèces en dehors de cette période, le renard, tout comme les autres animaux de la liste ESOD, échappent à cette règle et peuvent continuer à être massacrés tous les jours de l’année et ce, même en période de reproduction. Une réglementation bien pratique pour les chasseurs qui peuvent poursuivre leur loisir sans laisser la nature reprendre son souffle un seul instant.
Et ce n’est pas la seule raison pour laquelle cette réglementation arrange bien les chasseurs. Éliminer le renard leur permet d’éliminer un concurrent de chasse. En effet, chaque année, des millions de faisans et de perdrix sont élevés dans des cages dans un seul et unique but : être relâchés durant la saison de chasse pour être instantanément tués après avoir eu un maigre aperçu de la liberté.
Ayant passé la quasi-entièreté de leur vie en captivité, ces animaux n’ont aucune idée du comportement à adopter dans le monde sauvage et deviennent donc des proies faciles pour les prédateurs tels que les renards. L’argument de la « régulation » soulevé pour justifier l’existence de la chasse devient alors rocambolesque. Il vient en réalité légitimer toujours plus de massacres pourtant injustifiables, avec pour seul objectif le plaisir et le divertissement d’une poignée d’individus.
Les renards sont également accusés de faire baisser certaines populations d’animaux et il s’agit-là encore une fois, d’un faux argument puisqu’ils sont des régulateurs naturels de leur environnement. Ils veillent à la santé des écosystèmes en s’attaquant aux proies faibles et malades et permettent d’éviter les surpopulations. En outre, il ne peut tout simplement pas y avoir « trop » de renards étant donné qu’ils s’auto-régulent sans aucune intervention humaine, comme la plupart des prédateurs. Les femelles sont fertiles moins d’une semaine par an et le nombre de renardeaux par portée s’adapte naturellement chaque année selon les proies disponibles. Précisons également que les renards sont très territoriaux, c’est-à-dire qu’ils s’établissent dans une zone donnée et ne laissent pas de place pour les concurrents.
Ils demeurent pourtant utilisés comme boucs émissaires pour les déclins de populations de petits mammifères ou d’oiseaux par exemple, alors qu’avec les données actuelles, on sait pertinemment que l’extinction de ces espèces est principalement imputable aux activités humaines et aux désastres environnementaux qui en découlent (agriculture intensive, urbanisation, changement climatique…). En moins d’un demi-siècle, le capitalisme aura réussi à exterminer près de 70 % des animaux vertébrés sauvages.
Le renard : ce mystérieux vagabond à la capacité d’adaptation hors du commun
Des yeux perçants et un pelage flamboyant, le renard roux, de son nom scientifique Vulpes vulpes, a de quoi attiser notre curiosité une fois que l’on se rend compte que la réalité de cet animal n’a rien à voir avec les sophismes desquels il est baigné. Canidé adroit et futé qui arpente les forêts, les champs et les montagnes, il est une des incarnations de la splendeur de la faune sauvage. On le retrouve sur plusieurs continents, autant dans les coins les plus reculés que près des villes, ayant su s’adapter incroyablement au monde au fil des âges, et ce malgré des préjugés humains qui le poursuivent depuis des lustres et qui donnent parfois lieu à des actes d’une cruauté inhumaine.
Si certains contes des pays occidentaux associent péjorativement l’intelligence du renard à la malice et la tromperie, comme dans « Le Corbeau et le Renard » de Jean de la Fontaine (1668), dans les contes folkloriques japonais par exemple, les renards sont associés à la magie et à la transformation. Dans la mythologie du pays du soleil levant, on retrouve notamment les kitsune, renards magiques polymorphes, capables de prendre forme humaine. Serviteurs d’Inari, divinité gardienne des maisons, les kitsune sont associés à la sagesse et la protection.
Au-delà des contes et des mythes, les renards sont simplement des animaux à l’incroyable adaptabilité qui suscite l’admiration. Forêts denses, déserts arides, milieux urbains… Peu d’environnements demeurent aujourd’hui inaccessibles à ce petit animal à l’extraordinaire plasticité écologique. Aussi rusé que dans notre imaginaire, il est capable de faire face à nombre de problèmes complexes lorsqu’il est en train de chasser et peut également stocker de la nourriture dans un but stratégique.
Prédateur opportuniste, ses proies sont très variées, allant des rongeurs aux insectes, en passant par les oiseaux et même les fruits ! Son régime alimentaire demeure adaptable aux saisons et à la disponibilité de la nourriture. Monogames, les renards forment des couples pour la reproduction et vivent généralement en famille, au moins jusqu’à ce que les petits deviennent indépendants. Un superbe documentaire Arte est actuellement disponible, jusqu’au 27 février 2024, intitulé La montagne aux renards, pour un aperçu de la vie de ces canidés.
Au fil du temps, les renards ont développé des capacités impressionnantes qui leur permettent de survivre dans des environnements étonnamment variés. Dotés d’une ouïe extraordinaire, leurs oreilles pointues et mobiles parviennent à capter jusqu’aux plus faibles bruits environnants. Leur vue et leur odorat n’échappent pas à la règle et sont pour eux d’une aide précieuse pour traquer leurs proies. Leur pelage épais leur permet de s’adapter aux conditions météorologiques extrêmes, le tout agrémenté d’une queue soyeuse et dense qui, sans parler de son aspect esthétique, a, à la fois, un rôle équilibrant lorsqu’ils se déplacent, et de couverture thermique une fois dans les bras de Morphée.
Tandis que le renard roux parcourt aisément l’Eurasie, l’Afrique du Nord, l’Amérique du Nord et l’Australie, son cousin, le renard arctique (Vulpes lagopus) arpente la scène glacée des régions polaires dont l’Alaska, le Groenland, le Canada, l’Islande, le Svalbard et les Alpes scandinaves.
Symbole de résilience de la vie sauvage dans des environnements extrêmes, il est coiffé d’un pelage blanc comme neige qu’il quitte pour un poil brun quand il mue lors de la saison estivale, pour se fondre plus aisément dans les paysages d’été. Comme pour beaucoup d’animaux sauvages des contrées froides, la menace du changement climatique pèse sur son existence. Et plus grande encore, la menace de l’espèce humaine, et tout particulièrement de l’avidité des hommes, le genre majoritaire dans le monde de la chasse.
– Elena M.
Photographie de couverture : @PxHere / PublicDomain