Au Sénégal, l’apiculture gagne en importance. A l’image d’autres pays africains comme le Kenya, berceau d’une apiculture tournée vers l’autonomie de ses abeilles évoluant dans des ruches troncs et en ciments. Petit détour vers ce nouveau secteur en évolution et en dialogue avec l’environnement local. 

Rappelons que les abeilles ont un intérêt écologique majeur car sans leur travail de pollinisation indispensable, l’écosystème mondial en viendrait à s’effondrer. Or, aujourd’hui, ces dernières sont menacées d’un grave déclin par les dérives de l’activité humaine, comme l’usage de pesticides ou la perte d’habitats due à l’artificialisation des espaces naturels. Toutefois, il faut bien distinguer les abeilles sauvages des Apis mellifera domestiques le plus couramment sollicitées dans l’apiculture classique.

En effet, l’apiculture, en favorisant la pollinisation alentours et en produisant du miel peut offrir des bénéfices économiques mais également écologiques si le miel est produit à échelle humaine et de façon responsable. Toutefois, elle trouve ses limites dans la concurrence avec les pollinisateurs sauvages dans le cas de monocultures intensives d’abeilles domestiques.

L’apiculture locale et raisonnée permet malgré tout au Sénégal de dynamiser l’économie rurale par le biais de pratiques solidaires tout en préservant l’environnement. La FAO et le Programme pilote intégré sur la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne (PARFA) font ainsi du miel un pilier des produits agricoles et de la vitalité de l’économie à l’échelle locale. Du miel des mangroves à celui récolté dans la forêt de Mbao, l’apiculture sénégalaise s’exerce dans une variété de lieux uniques qui donnent à ce miel son caractère si particulier.

Découverte de ce qui fait de l’abeille sénégalaise un exemple de résistance et de diversité, à l’aune d’une pratique apicole méconnue en Europe du Nord…

La culture du miel au village Niaga à côté du lac Rose au Sénégal

@Mamadou Ly

Mamadou Ly est un apiculteur notoire au village Niaga, à côté du lac Rose. Au fil des ans, il est devenu un formateur expert dans toute l’Afrique : « A la fois formateur et consultant en apiculture tropicale, j’ai pu encadrer des apiculteurs guinéens, mauritaniens, burundais et originaires de bien d’autres pays africains ».

Naturaliste convaincu, il pratique l’apiculture dans des lieux protégés tels que la forêt classée de Mbao, située dans la capitale de Dakar. Apiculteur toujours en mouvement, on peut le retrouver donnant des formations dans le village des tortues situé au cœur de fermes locales comme les 3 fermes Mbodiennes de la région de Thiès. Son miel est aussi récolté dans la réserve de Ngazobil à Joal, en Casamance, à Bignona comme dans la région de Matam. Les régions de Thiès, Kaolack et Tambacounda sont particulièrement actives en termes d’apiculture.

Son parcours en tant qu’apiculteur est façonné par sa soif d’en apprendre toujours plus. Ce pourquoi depuis 1995, il n’a pas hésité à voyager pour en savoir davantage en participant à des formations qui ont aidé plusieurs autres apiculteurs sénégalais. En Suisse, il a pu découvrir des techniques de fécondation des abeilles à l’élevage des reines, en particulier pour la race Carnica, absente du territoire africain.

Récemment, il a pu investir dans du matériel apicole moderne grâce à des subventions et à des programmes de soutien nationaux. Il a pu acquérir des ruches, des enfumoirs et d’autres équipements lui permettant de renforcer son activité : « Mon entreprise apicole est désormais prise en compte par l’État, C’est une forme de reconnaissance pour tout le travail que j’ai accompli. Cette année, je vais me concentrer sur la commercialisation du miel et de la propolis à l’étranger ». Le mois d’août est alors une période intense pour Mamadou Ly. C’est le moment où il prête une attention toute particulière à ses reines, veillant à ce qu’elles soient bien intégrées dans leurs colonies.

L’élevage de reines est une étape cruciale pour lui. Il constate que les reines qu’il élève s’adaptent bien au climat sahélien étant très résistantes aux maladies, dans une région où les conditions peuvent être difficiles. Ces reines jouent un rôle crucial dans l’équilibre et la gestion de la colonie. Deux types de reines sont utilisées par Mamadou : les reines fécondées et non fécondées. A savoir que les apiculteurs préfèrent généralement acheter des reines déjà fécondées, qu’ils peuvent intégrer directement à leurs colonies.

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Une histoire de transmission

Mamadou Ly devant des ruches en bois et en ciment @MamadouLy

Mamadou Ly sensibilise les habitants du Sénégal à l’art de l’apiculture, hommes et femmes, en donnant des formations gratuites pour créer des micro-entreprises apicoles. Motivé de transmettre ses connaissances en collaborant avec un large public parmi lequel on retrouve des populations souvent mises de côté comme les femmes maraîchères et horticultrices, il sait bien que les groupements de femmes avec lesquelles il travaille sont indispensables dans le développement de la filière apicole au Sénégal.

Ces formations permettent ainsi de gagner en visibilité auprès du gouvernement : « En organisant plus de formations, je veux rendre ce secteur plus visible car il est encore trop délaissé par les pouvoirs publics. Le gouvernement ne se rend pas compte du potentiel économique et écologique de l’apiculture. Préserver les forêts est crucial, pour mieux faire face à la déforestation en Afrique. Le gouvernement a un rôle à jouer ». Les apiculteurs, en s’installant et restant dans leurs villages, grâce à leurs revenus apportent un important soutien économique au niveau local.

Le potentiel apicole est immense sur la rive du fleuve entre le Sénégal et le sud de la Mauritanie car les abeilles s’adaptent bien aux conditions métrologiques extrêmes, bien plus qu’on ne l’imagine. Oumar Diallo Al Foutiyou est lui aussi un passionné des abeilles. Il a suivi des formations avec ferveur ayant Mamadou Ly comme professeur. Pour lui, l’apiculture est essentielle : « Comme l’a surligné Mamadou Ly, nous avons au Sénégal une diversité importante de paysages : des rives, des forêts, des arbres mellifères. Actuellement, je pratique une apiculture biologique dans le respect des règles de l’art ».

Oumar Diallo Al Foutiyou en train de suivre une formation de M Ly @MamadouLy

Il sait à quel point l’apiculture comme l’agriculture durable permettent de mieux faire face aux sécheresses fréquentes du côté de la frontière Sahélienne : « La Mauritanie est un pays sahélien où certains mois de début mars jusqu’à juillet les températures peuvent être très élevées entre 30-45 °C sauf à Nouadhibou une ville côtière entouré par la mer. En période de fortes sécheresses, nous mettons même des fontaines pour faciliter aux abeilles l’accès à l’eau ce qui leur épargne une dépense d’énergie et de ressources supplémentaire ».

Sécheresses et déforestations menacent l’apiculture sénégalaise

Bien que le Sénégal ne soit pas le pays le plus aride du continent, plusieurs épisodes de sécheresse ont marqué le pays. La production de miel a fortement diminué au Sénégal lors de ces épisodes arides. Les apiculteurs ont alors signalé une mortalité accrue des colonies en 2021. Un effondrement caractéristique dû au dérèglement climatique. Les pénuries d’eau étaient un problème pour les ruches cette année-là. Un an après, en 2022, le Sénégal connaît de nouveau une sécheresse intense, exacerbée par des conditions climatiques extrêmes.

Sécheresse et déforestation font donc souvent partie du quotidien des apiculteurs sénégalais. Mamadou a ainsi observé comment l’agriculture industrielle et l’utilisation de pesticides ont grandement affecté les populations d’abeilles au fil des ans. Il s’alarme sur une potentielle disparition des abeilles à cause de ces nouveaux défis climatiques : « Nous avons des espèces protégées dans les mangroves, les lagunes et les bras de mer. Nous devons préserver ces habitats. En période de floraison au Sénégal, nous observons que les abeilles migrent lors de ces épisodes de sécheresse, cherchant des zones riches en nectar, quitte à se rendre dans les villages et les villes. »

Oumar Diallo Al Foutiyou en train de suivre une formation de M Ly @MamadouLy

Immersion dans la diversité de l’apiculture sénégalaise

Les abeilles africaines fonctionnent horizontalement, contrairement aux abeilles européennes qui travaillent verticalement. En effet, les abeilles d’Europe construisent généralement des ruches structurées en forme de cadre ou de rayons qui s’élèvent du bas vers le haut. A contrario, dans certaines régions, les abeilles africaines peuvent naturellement construire des nids dans des espaces plus horizontaux, comme des cavités d’arbres ou des endroits plus bas et larges. Elles adaptent leur structure de construction aux environnements locaux. Cela peut aussi refléter les pratiques locales d’apiculture qui favorisent des ruches horizontales (comme les ruches-troncs ou des ruches locales traditionnelles).

La production de miel se fait généralement plusieurs fois par an en Afrique contrairement à l’Europe où les abeilles vont hiberner en hiver ne produisant aucun miel. Mamadou explique son choix de ruches symboles de l’apiculture sénégalaise : « J’utilise des ruches kenyanes et des ruches troncs en bois, car elles sont les plus appropriées à l’abeille africaine, l’Adansonii, qui travaille horizontalement et remplit les hausses rapidement. Ces abeilles se divisent et essaiment à une vitesse incroyable. Elles travaillent efficacement, sans nécessiter d’interventions. »

Opération apicole la nuit @Mamadou

Il utilise des ruches kényanes et en ciment, privilégiant ce matériel pour éviter les vols et les attaques de termites. Il adopte une approche traditionnelle en récoltant le miel sans matériel moderne, comme les extracteurs. En récoltant la nuit pour déranger le moins possible les abeilles, il veut éviter d’imposer sa présence aux abeilles. Son miel produit au Sénégal, près de l’eau salée des mangroves est plus doux et parfumé que les autres. Il a des vertus thérapeutiques notables et une couleur entre le noir et le transparent. C’est un miel qui reste liquide.

Le miel de mangrove est issu des fleurs de deux types: l’abyssinian, qui donne ce fameux miel liquide, et l’isophora, qui produit un miel plus crémeux. Mamadou Ly produit également du miel de soump, qui vient du dattier du désert, du miel de jujubier et aussi du miel de forêt, récolté à partir de toutes les fleurs sauvages.

Le miel de mangrove récolter dans les îles saloum @mamadou

Apicultures méditerranéennes et africaines, des exemples évocateurs face aux sécheresses

On peut faire un parallèle entre l’apiculture africaine et les apicultures méditerranéennes car ce sont des zones du globe où le réchauffement climatique y est le plus impactant même si les températures ont toujours été élevées. En Espagne, l’utilisation de ruches horizontales est courante tout comme en Grèce, où les épisodes d’incendie sont légion. On y utilise des ruches en bois traditionnelles, comme les ruches Dadant ou Langstroth.

Au Maghreb, les zones où le miel est le plus présent est le long des côtes ; là où le climat y est clément. Dans les zones arides, trouver du miel est alors rare. Mamadou nous informe que, là-bas, les pratiques traditionnelles se modernisent, ce qui arrivera progressivement au Sénégal. La Tunisie continue toujours l’apiculture traditionnelle avec des ruches en bois et en argile. Ainsi, les abeilles africaines comme celles méditerranéennes savent s’adapter en adoptant instinctivement des comportements de conservation de l’eau et de gestion de la température de la ruche. Elles savent aussi être autonomes lorsqu’il y a des pénuries de nectar de fleurs en stockant de la nourriture d’elles-mêmes. Ces abeilles aux spécificités multiples ont donc encore beaucoup à nous apprendre.

L’introduction de plantes mellifères résistantes à la sécheresse comme le moringa, le neem ou l’acacia permet également de contourner l’impact négatif de ces périodes arides sur les abeilles. Dans l’Est du Sénégal, des apiculteurs déposent par ailleurs leurs ruches vers le parc national du Niokolo-Koba pendant la saison sèche. La réserve de Biosphère du delta du Saloum fait partie de ces alcôves naturels protégés où il fait bon vivre pour les abeilles sénégalaises.

De fait, si les sécheresses – mais aussi l’émergence des maladies comme le varroa et le petit coléoptère des ruches – sont autant de menaces à prendre en compte pour mieux protéger les abeilles, les apiculteurs comme Mamadou continuent d’explorer des solutions durables pour le Sénégal, tout en formant les locaux à ce métier vital à la subsistance alimentaire locale, à l’économie rurale ainsi qu’à l’écosystème naturel. 

– Audrey Poussines

 

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