Le déclin des populations d’abeilles sauvages et domestiques est particulièrement inquiétant, en raison de leur rôle essentiel pour l’équilibre des écosystèmes naturels. Si l’agriculture conventionnelle est l’une des causes majeures de cette disparition, des pratiques agricoles plus respectueuses de la biodiversité pourraient inverser la tendance. Loin d’opposer préservation des abeilles domestiques et sauvages, deux apicultrices du Lot-et-Garonne œuvrent pour produire un miel de qualité tout en contribuant au développement d’un environnement propice à la prolifération de tous les pollinisateurs. Découverte.

Si la protection des abeilles s’impose aujourd’hui comme une nécessité absolue pour préserver l’équilibre des écosystèmes, et accessoirement notre capacité à continuer de produire de la nourriture, il convient néanmoins de distinguer plusieurs types de pollinisateurs. Les plus connus sont les abeilles dites domestiques, au rôle économique important puisqu’elles produisent du miel. Moins connues et moins bien protégées, les abeilles sauvages rassemblent pourtant près d’un millier d’espèces en France, parmi lesquelles on retrouve des bourdons, des papillons ou encore certaines espèces de mouches.

L’effondrement des pollinisateurs sauvages

Ces pollinisateurs sauvages rendent des services écosystémiques primordiaux, avec près de 80% des plantes à fleurs qui en dépendent. Moins évident, leur intérêt économique est en outre bien réel, puisqu’ils assurent par la pollinisation le rendement agricole de nombreuses parcelles. Depuis les années 1980, la population de ces abeilles sauvages connaît un véritable effondrement. Plus de 40% des pollinisateurs seraient ainsi en voie de disparition, d’après l’IPBES, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques.

Des pratiques apicoles déraisonnées peuvent nuire aux pollinisateurs sauvages. – Damien Tupinier sur Unsplash.

Comme le rappelle l’ONG Pollinis, qui agit pour la protection de tous les pollinisateurs et pour une agriculture qui les respecte, les causes de ce déclin sont multiples, et en partie communes à l’abeille domestique : destruction de leurs habitats, raréfaction des fleurs sauvages et cultivées, toxicité de l’environnement… Ces facteurs résultent notamment de l’urbanisation croissante, du dérèglement climatique et de l’agriculture conventionnelle qui implique usage de pesticides chimiques, monocultures et suppression des bocages. Mais la concurrence avec les abeilles domestiques, dans le cadre de l’apiculture industrielle qui multiplie les ruches dans une même zone, contribue également au déclin des pollinisateurs sauvages.

Des pratiques apicoles vertueuses

L’apiculture fait face au même problème que l’agriculture : tout est dans la taille et les moyens. Des chercheurs de l’Inra ont démontré l’impact de la concurrence alimentaire des colonies d’abeilles domestiques sur les abeilles sauvages. Les pratiques déraisonnées d’apiculture engendrent une compétition pour les ressources entre les différentes espèces. Une forte densité d’abeilles domestiques peut également favoriser la propagation d’agents infectieux entre les pollinisateurs. Mais les chercheurs montrent également qu’une cohabitation est possible en respectant simplement quelques règles loin des critères de production industrielle. Limiter la taille des ruches et mieux contrôler leur implantation dans les biotopes naturels est donc essentiel pour limiter l’impact des abeilles domestiques sur leurs homologues sauvages, tout en permettant de protéger les premières, qui sont également en danger. Loin d’opposer la conservation des deux groupes d’espèces, des pratiques apicoles responsables peuvent permettre cette conciliation. Pour cause, une biodiversité équilibrée est favorable à toutes les espèces d’abeilles, la pollinisation induite par les unes permettant de développer à long terme le nombre de fleurs disponibles pour toutes.

C’est la mission que se sont données Manon et Clara, deux sœurs apicultrices du Lot-et-Garonne, qui produisent un miel de nectars biologique à taille raisonnée. Les deux fondatrices des Abeilles de Malescot œuvrent pour valoriser les produits du terroir tout en développant la biodiversité à leur échelle sans créer de compétitivité entre espèces. L’exploitation s’appuie en effet sur des pratiques agricoles vertueuses, comme l’explique Clara : « notre travail est également de préserver et de participer à la prolifération de tous les insectes pollinisateurs ».

Concilier préservation des abeilles domestiques et sauvages est possible dans le cadre d’une apiculture vertueuse.

Préserver l’équilibre des ressources

« Le travail que nous réalisons sur l’environnement de nos ruchers en semant des cultures mellifères et en plantant des haies contribue à améliorer la biodiversité et bénéficie aux deux espèces » se félicite la co-fondatrice des Abeilles de Malescot. Afin de préserver un équilibre des ressources, et ne pas fragiliser les espèces sauvages, les deux sœurs ont par ailleurs choisi de limiter la taille de leurs ruchers à 30 colonies dans un rayon de 3km. Elles ont également fait le choix d’une apiculture sédentaire, pour éviter la transhumance des ruches, propice à la déstabilisation des écosystèmes. Mais l’objectif est également d’agir face à la hausse de la mortalité des abeilles domestiques.

C’est ainsi que les apicultrices lancent aujourd’hui une campagne de financement participatif sur Ulule pour lever les fonds nécessaires afin d’acheter 100 nouveaux essaims et créer des ruches encore plus résistantes, grâce à un travail de sélection. Les abeilles, comme beaucoup d’animaux, ont une importante faculté d’adaptation naturelle. Cependant, cette adaptation est le résultat d’un changement progressif de leur environnement. Les nouvelles menaces qui pèsent aujourd’hui sur ces insectes, comme les nouveaux prédateurs tels que le frelon asiatique ou l’accélération du dérèglement climatique, n’entrent pas dans cette évolution naturelle.

Rendre les abeilles plus résistantes

« Afin d’aider les abeilles à s’adapter à ces changements plus rapides que leur rythme naturel, nous nous sommes lancées dans le travail de sélection » poursuit Clara. Ce processus est basé sur l’observation des ruches et du comportement des abeilles face aux prédateurs et aux aléas climatiques. Le comportement de ces insectes est transmis par leur reine (leur mère). Lorsqu’une ruche est sélectionnée pour ses qualités, les apicultrices tentent donc de reproduire cette génétique en créant de nouvelles reines à partir de cette ruche. Ce procédé naturel et respectueux des abeilles (pas d’insémination ni de contrôle de la fécondation) représente un travail de longue haleine, qui peut durer jusqu’à deux ans.

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Outre la production de miel, les apicultrices des Abeilles de Malescot œuvrent à différents égards pour préserver les pollinisateurs dans leur ensemble.

« Notre objectif est simple : faire en sorte que nos abeilles n’aient plus besoin d’intervention humaine pour se défendre et survivre, mais aussi en faire profiter un maximum d’apiculteurs français avec lesquels nous échangeons des reines et partageons notre travail de sélection » résume Clara. Le partage constitue en effet un autre volet majeur des activités de l’exploitation, qui travaille avec plusieurs associations pour sensibiliser un large public à l’importance des abeilles domestiques et sauvages pour les écosystèmes naturels. Les apicultrices interviennent ainsi dans des écoles et accueillent des visiteurs sur le site.

Leur travail ne se résume donc pas à la production de miel, mais englobe toute une série d’actions pour préserver les populations d’abeilles domestiques et sauvages. Des activités que chacun peut soutenir via la campagne de financement participatif sur Ulule, qui vise à récolter 15 000 euros avant le 13 janvier 2021. Une sélection de produits issus de l’exploitation remercie les participants pour leur contribution.

Raphaël D.

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