La perte de biodiversité, la pénurie d’eau, l’insécurité alimentaire, les risques sanitaires et le changement climatique sont des crises indéniablement interconnectées. Pourtant, les réponses politiques apportées à ces enjeux sont cloisonnées et mal adaptées à ces réalités complexes. Pour la première fois, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) propose 71 pistes de solutions à la hauteur des défis à relever.
Fruit de trois ans de travail effectué par 165 experts internationaux, le nouveau rapport Nexus publié par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) détaille pour la première fois les effets d’une gouvernance incohérente, qui échoue à aborder la complexité des crises interconnectées que nous traversons.
Des crises interdépendantes, des réponses cloisonnées
On le sait, les crises environnementales, sociales et économiques sont toutes interconnectées. Pourtant, à l’échelle politique, elles font bien souvent l’objet d’un traitement isolé, « en silos », qui s’avère peu efficace, voire contre productif.

Depuis 50 ans, tous les indicateurs indiquent un déclin de la biodiversité de 2 à 6% par décennie, préviennent les chercheurs. À bien des égards, cette diversité biologique est pourtant essentielle : « elle régule les cycles hydrologiques, contrôle des ravageurs et des pathogènes, stabilise le climat, et préserve les identités culturelles. Elle contribue à la production alimentaire par la pollinisation, le maintien de sols fertiles et la protection contre les événements climatiques extrêmes », note le rapport. A contrario, les écosystèmes dégradés perdent leur capacité à stocker du carbone, contribuant ainsi à l’accélération du changement climatique.
Selon les scientifiques, ce déclin majeur est dû à une combinaison de facteurs directs (changement d’utilisation des terres et des mers, changement climatique, surexploitation des ressources, espèces exotiques envahissantes, pollution) et indirects (changements économiques, démographiques, culturels et technologiques) d’origine anthropique. Lorsque ces facteurs interagissent entre eux, ils provoquent des « effets en cascade sur les éléments interdépendants ».
Or, les stratégies politiques actuelles de lutte contre ces bouleversements s’entêtent à traiter les crises de façon indépendante les unes des autres. « Nos systèmes de gouvernance actuels sont souvent constitués de différents départements, qui travaillent en vase clos. Ils sont très fragmentés et élaborent leurs politiques de manière isolée. Souvent, ces liens [entre le climat, la santé, la biodiversité, l’eau et l’alimentation] ne sont même pas reconnus et complètement ignorés », explique Pamela McElewee, coprésidente du rapport et professeure à l’université Rutgers (Etats-Unis).
L’organisation pointe notamment les pratiques agricoles intensives subsidiées massivement pour accroître la production alimentaire depuis la Révolution verte de l’après-guerre. Aujourd’hui encore, ce mode de production alimentaire entraîne une perte de biodiversité, une utilisation non durable de l’eau, une réduction de la diversité et de la qualité des aliments consommés, ainsi qu’une augmentation de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre. En agissant sur un seul élément (la production alimentaire), les gouvernements ont négligé les conséquences de leurs actions sur l’ensemble du système.
Un autre exemple des conséquences délétères de cette absence de vision transversale s’illustre dans la lutte contre le changement climatique. Cette dernière, conduite de façon isolée, peut avoir des conséquences négatives sur la biodiversité et l’alimentation. Cela s’illustre avec l’installation arbitraire d’éoliennes dans l’isthme de Tehuantepec au Mexique, détruisant les moyens de subsistance des populations autochtones.
Les conséquences d’un modèle économique court-termiste
En parallèle, les décideurs ont également donné la priorité aux « avantages à court terme et aux retours financiers pour un petit nombre de personnes », tout en ignorant la finitude des ressources naturelles disponible. Au total, les chercheurs estiment que les coûts non comptabilisés de l’activité économique actuelle – reflétant ses impacts sur la biodiversité, l’eau, la santé et le changement climatique, y compris la production alimentaire – s’élèvent de 10 à 25 milliards de dollars (US) par an.

À côté de ces « coûts cachés », environ 1 700 milliards de dollars par an de subventions publiques sont accordées directement à des activités ayant des impacts négatifs sur la biodiversité. Pour les auteurs du rapport, cette réalité « renforce les incitations financières privées à investir dans des activités économiques qui causent des dommages directs à la nature », malgré les preuves évidentes des effets dramatiques des crises climatique et environnementale que nous traversons.
Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit dans des régions qui subissent les impacts les plus importants du déclin de la biodiversité, de l’insécurité alimentaire, de l’augmentation des risques sanitaires et des effets négatifs du changement climatique. « Ces fardeaux affectent particulièrement les pays en développement, les petits États insulaires, les peuples autochtones et les communautés locales, ainsi que les personnes en situation de vulnérabilité dans les pays à revenu élevé », note le rapport.
« Nos institutions actuelles de la gouvernance ne sont pas suffisamment réactives pour répondre aux défis interconnectés qui résultent de l’accélération des changements environnementaux et de l’augmentation des inégalités », explique Pamela McElwee. « Des institutions fragmentées et cloisonnées, ainsi que des politiques à court terme, contradictoires et non inclusives risquent fort de compromettre la réalisation des objectifs mondiaux en matière de développement et de durabilité ». Selon la scientifique, il reste possible d’y remédier, à condition de s’orienter vers des « des approches plus intégrées, inclusives, équitables, coordonnées et adaptatives ».
Des initiatives locales porteuses d’espoir
À titre d’exemple, l’IPBES salue les résultats d’un projet novateur mené dans une zone rurale du Sénégal, touchée par la schistosomiase. Cette maladie parasitaire peut entraîner une mauvaise santé à vie et touche plus de 200 millions de personnes dans le monde, et en particulier en Afrique.
« Traitée uniquement comme un problème de santé – généralement par le biais de médicaments – le problème réapparaît souvent lorsque les personnes sont réinfectées ».
Les porteurs du projet ont adopté une approche différente et holistique pour contrer les causes de la maladie : lutter contre la pollution de l’eau en éliminant les plantes aquatiques envahissantes afin de réduire l’habitat des escargots qui hébergent les vers parasites porteurs de la maladie. Ce travail « à la source » a permis de diminuer de 32 % les infections chez les enfants de la région, d’améliorer l’accès à l’eau douce et de générer de nouveaux revenus pour les communautés locales.
Parmi les bons exemples, on peut également penser aux zones marines protégées, qui associent les communautés locales à la gestion du projet et à la prise de décision. « Ces zones ont permis d’accroître la biodiversité, d’augmenter l’abondance de poissons pour nourrir les populations, d’améliorer les revenus des communautés locales et, souvent, d’augmenter les revenus du tourisme », explique la coprésidente de l’évaluation.
Vers une gouvernance holistique des crises

Pour y parvenir, l’IPBES énumère pas moins de 71 pistes de solutions à destination des gouvernements, à décliner selon les contextes et les besoins régionaux. En tant qu’individu, L’IPBES invite à la modification de notre régime alimentaire vers des assiettes moins carnées, locales et de saison. Le passage à des régimes alimentaires sains et durables, ainsi que la réduction du gaspillage alimentaire bénéficient directement à la sécurité alimentaire et à la santé des populations, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.
En outre, ces changements de consommation pourraient également « libérer des terres, offrant dans une série de cas des avantages connexes, tels que la conservation de la biodiversité et la création de puits de carbone », indique le rapport. « Collectivement, ces efforts pourraient réformer la relation entre l’économie et la nature, améliorer l’équité et produire des résultats convaincants en matière de développement durable », conclut Pamela McElewee pour CarbonBrief.
– Aure Gemiot
Photo de couverture : IPBES















