Depuis janvier 2025, La Haye aux Pays-Bas a interdit la publicité pour les produits et services liées aux énergies fossiles. Retour sur cette avancée et les enjeux cruciaux qu’elle soulève.
Cette interdiction s’appliquera aux entreprises de production et distribution de gaz, pétrole et charbon, ainsi qu’aux voitures thermiques, voyages en avion et croisières.
Bien que d’autres villes aient déjà mis en place des restrictions similaires, l’approche de La Haye sera la première à être juridiquement contraignante. De manière plus générale, il serait grand temps de remettre en question la place de la publicité dans l’espace public compte tenu de ses effets néfastes et de son incompatibilité avec les enjeux environnementaux actuels.

Un signal politique fort
« Il serait illogique et intenable d’accepter la publicité d’une industrie qui cause des dégâts aussi évidents à notre planète et à ses habitants »
Le conseil municipal de La Haye a adopté en septembre 2024 une loi interdisant les publicités pour des entreprises de charbon, pétrole ou gaz naturel, de voitures à moteurs thermiques ou hybrides, de compagnies aériennes ou de croisières en bateau sur les panneaux d’affichage, abribus ou encore écrans numériques de la ville, que ces supports publicitaires soient privés ou publics.
L’interdiction, qui a pris effet le 1er janvier 2025, s’inscrit dans la stratégie de la ville pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2030.
Cette interdiction, initialement portée par le Partij voor de Dieren (PvdD, Parti pour les animaux), a été adoptée au terme de deux ans de négociations difficiles face à l’opposition d’autres partis du conseil municipal et au refus des opérateurs de publicités de s’y plier.
Après l’adoption de la loi, la conseillère municipale de PvdD, Leonie Gerritsen, déclarait au quotidien De Volkskrant : « Il serait illogique et intenable d’accepter la publicité d’une industrie qui cause des dégâts aussi évidents à notre planète et à ses habitants » et rappelait par l’occasion que, malgré l’inaction des gouvernements nationaux, les autorités locales peuvent jouer un rôle moteur dans la défense de l’environnement.
Interdiction déjà appliquée dans d’autres villes
Certaines villes avaient déjà interdit les publicités pour les énergies fossiles, comme Sydney en 2022 pour ses activités municipales ou Édimbourg en mai 2024. Ces interdictions reposent cependant sur des accords volontaires avec les opérateurs ou sur des motions municipales, et ne sont donc pas juridiquement contraignantes, contrairement au cas de La Haye qui représente une première mondiale à cet égard.
La municipalité d’Amsterdam a également banni la publicité fossile de son métro, ses bâtiments municipaux et événements de la ville depuis 2021 suite aux actions du collectif Reclame Fossielvrij. Le parti écologiste d’Amsterdam a récemment proposé d’étendre cette mesure à tout l’espace public de la capitale.

Depuis septembre, la décision de la ville de La Haye d’interdire complètement la publicité fossile a eu un écho mondial. Robert Barker, conseiller municipal responsable de la politique publicitaire et membre du PvdD, espère un effet boule de neige dans le monde entier pour mettre fin à la promotion d’entreprises dégradantes de l’environnement.
« La publicité normalise des comportements que nous devons décourager »
Selon lui, « autoriser les publicités pour les combustibles fossiles tout en essayant de réduire les émissions de CO₂ est contre-productif. La publicité normalise des comportements que nous devons décourager, comme les vols fréquents ou la dépendance aux combustibles fossiles. Cette interdiction est un pas dans la bonne direction. »
Ce message est également appuyé par le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, qui plus tôt dans l’année encourageait vivement les gouvernements et médias à interdire les publicités des entreprises du secteur des énergies fossiles, les qualifiant à l’occasion de « parrains du chaos climatique ».
Selon lui, “de nombreux gouvernements limitent ou interdisent la publicité pour les produits qui nuisent à la santé humaine, comme le tabac, a-t-il déclaré. Je demande donc à tous les pays d’interdire la publicité pour les entreprises produisant des combustibles fossiles. Et j’exhorte les médias et les entreprises technologiques à cesser d’accepter la publicité pour les combustibles fossiles.”
Les effets néfastes de la publicité
« Selon une étude, un citoyen serait confronté de 1.200 à 2.200 messages publicitaires par jour. »
Ce débat soulève plus largement la question de la place qu’occupe la publicité dans l’espace public. Selon une étude, un citoyen serait confronté de 1.200 à 2.200 messages publicitaires par jour. Une surexposition inquiétante compte tenu des impacts sociaux, environnementaux et économiques de ceux-ci.
De fait, la publicité incite à la surconsommation et au gaspillage, alors que la sobriété s’impose face à l’urgence climatique, et les principaux annonceurs étant de surcroît des entreprises peu soucieuses de l’environnement.
En France, en 2019, environ 600 grandes entreprises sur 3 millions ont effectué à elles seules 80% des dépenses publicitaires, représentant principalement la grande distribution et l’automobile. Pour ne rien arranger, ces entreprises polluantes utilisent de plus en plus des techniques de greenwashing pour donner l’illusion de produits plus respectueux de l’environnement.
A cet égard, le rapport du GIEC de 2022 sur l’atténuation des changements climatiques soulignait la nécessité de réguler la publicité dans le but d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre nécessaire à maintenir la limite du réchauffement à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle (atteinte en 2024…)
Sans compter que les panneaux publicitaires numériques sont ultra polluants : la consommation électrique annuelle d’un panneau de deux mètres carrés équivaut à celle d’un ménage français, selon un rapport de l’Ademe.1
L’image consumériste véhiculée par les publicités associant le bonheur au fait de consommer et de posséder toujours plus, en plus de nuire à l’environnement en nourrissant un imaginaire collectif obsolète, jouerait par ailleurs un rôle négatif sur notre santé mentale et nous rendrait plus malheureux.
Enfin, l’argument économique selon lequel la publicité profite aux collectivités a été largement réfuté. Une étude britannique réalisée par la New Economics Foundation a estimé qu’1£ de valeur créée par la publicité génère l’équivalent de 11£ d’externalités négatives, qu’elles soient environnementales, sociales ou sanitaires.
La publicité coûte donc davantage aux collectivités qui doivent réparer les dommages qu’elle cause, que ce qu’elle ne leur rapporte.
Moins et mieux de pub

Face à ces constats, plusieurs collectifs citoyens appellent à diminuer la place de l’affichage publicitaire dans leurs villes, à l’image du mouvement Reclame fossielvrij qui a réussi à faire pression à Amsterdam et à la Haye.
La Convention citoyenne pour le Climat avait également inclus la régulation de la publicité parmi ses mesures, proposant « une meilleure gestion de l’espace publicitaire français afin de réduire l’exposition aux comportements et produits nocifs pour le climat tout en favorisant la promotion des comportements et produits les plus vertueux ».2
En bref, les citoyens demandent « moins et mieux » d’affichage publicitaire, c’est-à-dire limiter les publicités nocives et intrusives et favoriser l’affichage culturel, associatif et communal.
La ville de Grenoble a mis en place cette mesure depuis 2015, en supprimant la publicité commerciale afin de s’inscrire dans un « espace public plus humain, mieux partagé ». Seuls les panneaux consacrés à une expression libre, aux informations de la ville ou campagnes d’intérêt général, ainsi qu’aux informations culturelles, ont été maintenus.
La publicité devrait s’adapter aux changements de comportements de consommation plus que nécessaires à l’heure actuelle. De même, si les pays veulent respecter leurs engagements climatiques comme ceux de l’Accord de Paris, cela doit se faire à tous les niveaux, y compris en encourageant la sobriété. L’interdiction de publicité d’activités et produits liées aux énergies fossiles en est un bon début.
– Delphine de H.
Sources
« How The Hague became the first city in the world to ban fossil fuel advertising”, 17/12/2024, https://storiesofpurpose.thehague.com/legal-policy/how-hague-became-first-city-world-ban-fossil-fuel-advertising
“Limiter la publicité dans l’espace public, une idée qui fait son chemin », Bernard Deljarrie, 17/04/2020, https://www.cap-com.org/actualit%C3%A9s/limiter-la-publicite-dans-lespace-public-une-idee-qui-fait-son-chemin
« Libérons l’espace public de l’affichage publicitaire », Canopea, 5/09/2024, https://www.canopea.be/liberons-lespace-public-de-laffichage-publicitaire/
1 Agence de la transition écologique, Comparaison des impacts des panneaux publicitaires numériques, juillet 2020.
2 https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/objectif/reguler-la-publicite-pour-reduire-les-incitations-a-la-surconsommation/