D’après une nouvelle étude publiée dans la revue Nature, les pays les plus riches « exportent l’extinction » des espèces sauvages en détruisant 15 fois plus de biodiversité à l’échelle internationale qu’à l’intérieur de leurs propres frontières. En cause : la consommation élevée de bœuf, d’huile de palme, de soja ou encore de bois, des produits responsables d’une grande partie de la déforestation à travers le globe et notamment dans les « points chauds » de la biodiversité.
Le déclin de la biodiversité s’est accéléré à un « rythme alarmant » au cours des dernières décennies, préviennent les auteurs d’une nouvelle étude parue le 12 février 2025 dans la revue scientifique Nature. La destruction des habitats des espèces sauvages, notamment des environnements forestiers, en est la principale explication. Ainsi, le défrichement des terres permettant la récolte de bois ou destinées à de nouveaux espaces de culture agricole s’intensifie et réduit considérablement l’espace disponible pour la faune sauvage.

Extinction exportée
« Si les pays dégradent souvent les écosystèmes à l’intérieur de leurs frontières par ces activités, ils jouent également un rôle important dans la perte d’habitats à l’étranger en délocalisant la production agricole, c’est-à-dire en important des aliments ou du bois d’autres pays, ce qui conduit ces derniers à détruire leurs forêts pour produire les produits d’exportation », détaille l’équipe de chercheurs de l’Université de Princeton (Etats-Unis) dans un communiqué.
Pour la première fois, l’étude révèle que les pays à revenu élevé sont responsables de 13 % de la perte d’habitat forestier à l’échelle mondiale, en dehors de leurs territoires nationaux, dont 3% uniquement pour les États-Unis. Plus loin dans le classement, l’Allemagne, la France, le Japon et la Chine sont désignés comme principaux contributeurs de cette « extinction exportée ».
Une première mondiale
Au total, grâce à l’examen des impacts de 24 pays sur 7 593 espèces d’oiseaux, de mammifères et de reptiles dépendants des forêts, les scientifiques identifient les « points chauds » de perte grave de biodiversité et quantifient la proportion de la perte d’habitat de chaque espèce qui peut être attribuée aux importations de chaque pays développé.
« Il a toujours été difficile de déterminer l’impact des pays sur l’environnement en dehors de leurs frontières », explique l’auteur principal de l’étude, Alex Wiebe, doctorant au département d’écologie et de biologie évolutive.
« En combinant l’imagerie satellite avec des données économiques et sur la biodiversité, nous sommes désormais capables de cartographier précisément les endroits où les pays ont un impact sur les espèces sauvages à travers le monde ».
Les États-Unis, qui ont causé la plus grande destruction en dehors de leurs frontières, ont l’impact le plus significatif en Amérique centrale, tandis que la Chine et le Japon ont une influence plus importante sur les forêts tropicales d’Asie du Sud-Est, notamment en Indonésie.
Sans surprise, d’autres régions, comme à Madagascar ou au Brésil, sont particulièrement touchées par la déforestation. Si la plupart des pays étudiés affectent directement les espaces riches en biodiversité des régions voisines, « dans quelques cas, les pays développés ont également infligé des dommages disproportionnés dans des pays éloignés ».
Finalement, « en important de la nourriture et du bois, ces pays développés exportent en réalité l’extinction de la biodiversité », résume David Wilcove, co-auteur de l’étude et professeur d’écologie, de biologie évolutive et d’affaires publiques.

Espèces menacées en danger
Les résultats de leur recherche ont également mis en évidence les effets néfastes du commerce international sur les espèces menacées. Selon l’étude, 25 % des espèces en danger critique d’extinction ont vu plus de la moitié de leur aire de répartition disparaître à cause de la consommation internationale au cours de la période étudiée.
« En externalisant de plus en plus l’utilisation de leurs terres, les pays affectent les espèces dans le monde entier, plus encore qu’à l’intérieur de leurs propres frontières », explique Alexis Wiebe, qui espère un sursaut des consciences.
Alors que la plupart des pays occidentaux, et notamment l’Europe, multiplient les aires protégées sur leur territoire et font figure de « bons élèves » pour le climat, notre consommation élevée de boeuf, d’huile de palme, de soja ou de bois conduit inévitablement à la déforestation d’espaces sauvages dans d’autres régions du globe.

Soumis aux règles impitoyables du marché mondial, les pays les plus pauvres se voient contraints d’abandonner des espaces riches en biodiversité pour répondre à une demande insatiable des consommateurs les plus privilégiés. En outre, ils ne disposent pas toujours des ressources nécessaires pour la protection des écosystèmes ou leur restauration lorsqu’ils ont déjà été dégradés.
Contributions inégales
Pourtant, lors des négociations entourant l’action environnementale, les États les plus riches rechignent continuellement à débloquer les fonds nécessaires à la protection et la restauration des écosystèmes, niant leur contribution profonde dans la crise de la biodiversité et le changement climatique.
En octobre 2024, la communauté internationale réunie à Cali, en Colombie, n’était pas parvenue à un accord financier lors du sommet mondial pour la biodiversité (COP16). Depuis lors, les 154 pays présents autour de la table semblent avoir trouvé un terrain d’entente pour distribuer de façon plus égalitaire les fonds nécessaires, après plusieurs jours de négociation à Rome.
À ce titre, David Wilcove souligne la nécessité d’une collaboration entre les pays importateurs et exportateurs afin de faire progresser la conservation des habitats et garantir des pratiques commerciales plus durables. « Le commerce mondial des denrées alimentaires et du bois ne va pas s’arrêter », souligne le co-auteur.
« Ce qui est important, c’est que les pays importateurs reconnaissent les impacts environnementaux de ce commerce sur les pays exportateurs et qu’ils collaborent avec ces derniers pour réduire leurs impacts. Toutes les nations ont intérêt à promouvoir la protection des habitats et l’agriculture durable, car la biodiversité profite à tous. »
– Lou A.
Photo de couverture de Elena Jiang sur Unsplash















