Et si le metal pouvait financer des projets de biodiversité ? C’est l’idée novatrice et positive qu’ont eue deux passionnés – de musique, et de nature. Née en 2022, l’ONG Savage Lands promeut ainsi l’action écologique grâce au soutien d’artistes engagés, et d’une communauté grandissante. Portrait.

Savage Lands, c’est un peu l’association que beaucoup de fans de metal attendaient : celle qui allie leur musique, contestataire et humaine, à la protection de la faune et la flore. Un collectif encore tout jeune mais déjà très actif et porteur d’une énergie positive contagieuse. Rencontre avec Sylvain Demercastel, l’un de ses cofondateurs.

Sylvain Demercastel, cofondateur de Savage Lands ©ML

Mr Mondialisation : Peux-tu nous raconter ton parcours, celui qui t’a poussé à créer Savage Lands ?

Sylvain Demercastel : « Je suis musicien metalleux et « combattant » pour la nature depuis les années 1980. J’ai toujours été militant écologiste, sous différentes casquettes. Ces dernières années, cela prenait la forme d’actions un peu confidentielles au Costa Rica. Suite au Covid, il y a eu une vague d’études immobilières dans ce pays où je vis une partie de l’année. C’est là que j’ai réalisé que mes petits projets ne suffisaient plus. Entre-temps, après avoir délaissé la musique pendant près de 15 ans, je me suis remis à jouer de la guitare pendant la saison des pluies… Mon amour pour le metal et mon plaisir à jouer sont revenus. C’est à ce moment-là que j’ai appelé Dirk Verbeuren, ami de longue date et batteur actuel de Megadeth. Je lui ai proposé de créer quelque chose avec la communauté metal. Il a adhéré tout de suite car de son côté, lui aussi dénonçait et tentait d’agir, mais il ressentait ce besoin d’avoir un collectif pour plus d’efficacité. C’est ainsi que nous avons créé notre première ONG, Savage Lands, née en Californie. »

Vous avez rapidement été rejoints par d’autres artistes…

« Oui, dès l’année de création de Savage Lands. Le noyau dur du groupe est composé de quatre musiciens. Je suis à la guitare, Poun et Etienne de Black Bomb A sont respectivement au chant et à la basse, et Florian de Loco Muerte assure la batterie. Poun et moi composons des morceaux auxquels les artistes peuvent venir se greffer. Cela nous offre beaucoup de liberté, sans que l’on se pose de questions sur le style ou les attentes du public, contrairement à un groupe classique. Très vite, nous avons rencontré des musiciens metal intéressés par notre démarche.

C’est ainsi qu’Andreas Kisser de Sepultura, Alissa White-Gluz d’Arch Enemy ou John Tardy d’Obituary ont décidé d’apporter leur pierre à l’édifice. Sans oublier le groupe Heilung, très impliqué dans Savage Lands. Ils reversent 1€ à l’ONG sur chaque vente de disque ! »

Savage Lands sur la Mainstage du Hellfest en 2024 ©Savage Lands

Vous avez donc frappé fort dès le départ, avec des artistes metal d’envergure internationale. Y en a-t-il d’autres que tu « rêves » d’avoir à tes côtés ?

« Oui bien sûr, même si c’est déjà dingue de voir les noms qui nous ont rejoints ! Actuellement, nous sommes en contact avec Bill Kelliher de Mastodon, ce qui est énorme à nouveau. Pour te répondre, je dirais que je suis partagé entre de grosses légendes, comme Rob Halford de Judas Priest, et la scène plus jeune. Savage Lands est un projet que je souhaite inscrire dans le long terme, donc attirer la jeune génération, ce serait formidable. J’aimerais également faire le pont avec d’autres artistes en France, pas forcément metal. Je pense à M ou Julien Doré… Ils pourraient se greffer sur nos morceaux avec leur propre patte, tout en gardant le style d’origine. Ces artistes, plus connus du grand public, permettrait d’offrir une belle visibilité à notre combat écologique, tout en popularisant un peu le metal. »

Peux-tu justement nous expliquer le combat écologique mené par Savage Lands ?

« nous sommes la première organisation à être à la fois artiste et ONG »

« Savage Lands Europe, dont l’association est basée en France, a pour but de travailler à la promotion de la biodiversité à travers des opérations de reforestation, des achats de sanctuaires mais également des opérations artistiques. Aujourd’hui, nous sommes la première organisation à être à la fois artiste et ONG. Nous avons signé sur un label qui assure que tous les flux financiers venus de la musique sont reversés directement l’association. Cette structure permet entre autres d’agir directement sur les territoires et de défiscaliser les dons des adhérents. »

Les opérations de reforestation se multiplient sous l’impulsion de l’ONG ©Savage Lands

D’où viennent les fonds récoltés aujourd’hui par Savage Lands ? Comment sont-ils répartis ?

« Ils viennent essentiellement des dons de partenaires, comme les festivals – majoritairement le Hellfest, qui soutient notre projet depuis ses débuts – ou le groupe Heilung. Les ventes de disques sont minoritaires. Les adhésions aident, même si cela reste léger. Nous essayons de ne pas assommer les gens en réclamant constamment de l’argent, nous savons très bien que tout le monde ne peut pas se le permettre. De fait, nous tentons d’optimiser les dépenses, et de travailler sur la communication. La base de notre système reste d’établir des partenariats pour tous nos projets, afin que les finances puissent suivre tout en créant une dynamique. »

Quels sont les projets que vous avez pu mener à terme jusqu’à présent ?

« Nous mettons beaucoup l’accent sur la France, avec l’accession de terrains : récemment, nous avons créé une ORE de 3 hectares dans le Parc Naturel Régional de la montagne de Reims, ainsi qu’un sanctuaire près de Tours en partenariat avec le GFCE Komorebi (Groupement citoyen forestier écologique).

Un super partenariat avec l’institut Jane Goodall France nous a également lancés sur un projet en Afrique, au Burundi. Nous participons à la construction d’un corridor écologique, avec une grosse composante sociale. Celui-ci aura pour but de protéger les chimpanzés comme les hommes, en évitant les rencontres dues à des conflits de territoire.

Enfin, nous essayons de créer le plus de partenariats possibles avec des festivals, et de créer des projets autour de leurs sites. Actuellement, nous travaillons avec le Hellfest, le Furious Fest, On n’a plus 20 ans, et South of Heaven, aux Pays-Bas. Nous allons également rencontrer les responsables du Motocultor pour essayer d’y être en 2026 et de monter un partenariat « gagnant-gagnant. »

L’équipe de Savage Lands fière de son partenariat avec Jane Goodall ! ©Savage Lands

Comment la communauté metal réagit-elle à votre projet ?

« Lorsque l’on se balade dans les allées des différents festivals partenaires, on croise des gens qui nous remercient ! Franchement, au début, j’avais peur de me faire envoyer balader, qu’on ne comprenne pas notre combat, qu’on me reproche d’avoir pris l’avion depuis le Costa Rica… Au lieu de ça, les gens nous font part de leur motivation. Nous n’avons pas ressenti de critiques ou de rejet d’ordre politique. Je pense qu’il y avait une attente… Savage Lands est dans une logique de projet, et non d’interdiction.

Ce côté positif fait que des gens qui n’étaient pas forcément réceptifs à l’écologie le deviennent, car l’approche leur plaît. On avait déjà remarqué une réelle envie de partager des savoir-faire au service de notre cause, comme avec le restaurant La Cuisine de Comptoir à La Rochelle qui a créé un burger Savage Lands, ou la marque française Flibustier à l’origine d’une bague à l’effigie de l’association… Ces envies et ces initiatives créent de la solidarité, sans dogme, et une énergie positive. C’est à la fois nourrissant et inspirant. »

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Partenaire de festivals comme le Hellfest, Savage Lands attire la communauté metal ©Savage Lands

Penses-tu que la communauté metal est intrinsèquement sensible à la protection animale et environnementale ? Les metalleux-ses sont-ils et elles, selon toi, faciles à sensibiliser à cette cause ?

« Les metalleux sont à la fois gueulards, un peu violents pendant les concerts, mais aussi humbles. Or, cette humilité est obligatoire quand tu regardes la nature… »

« Je pense que la communauté metal possède assez naturellement une approche assez intellectuelle des choses, car le metal en lui-même est une musique particulière, contestataire et souvent complexe. Prends un groupe comme Meshuggah : c’est juste impossible à écouter pour une oreille non avertie ! Et même si c’est un exemple assez extrême, c’est pour dire que le metal est rarement basique.

De fait, je pense que cela rend les metalleux plus réceptifs, plus ouverts. Cette approche intellectuelle aide pour se sentir concerné sur la protection du vivant, comprendre les enjeux écologiques, se poser des questions. Les metalleux sont à la fois gueulards, un peu violents pendant les concerts, mais aussi humbles. La communauté metal n’étant pas représentée dans les médias ou sur les radios mainstream, elle a toujours appris à se débrouiller seule.

Or, cette humilité est obligatoire quand tu regardes la nature… Je pense que c’est un ensemble de petits ingrédients qui facilitent le boulot. Toutefois, il faut faire attention à ne pas tomber dans l’essentialisme. Ce n’est pas parce qu’on est metalleux qu’on est écolo, et pas parce qu’on est sensible à l’écologie qu’on est forcément de gauche ou végane. Je me méfie des cases. Il faut respecter les démarches de chacun, faire avancer la cause à petits pas. Et de façon positive, pas punitive. »

Comment les lecteurs et lectrices de Mr Mondialisation peuvent-ils et elles soutenir Savage Lands et intégrer cette « Armée des arbres » ?

« Il existe différentes façons de nous soutenir : écouter notre musique sur les plateformes, acheter les supports physiques, porter nos t-shirts, adhérer à l’association, faire un don… Nous avons aussi vu des collectifs monter un crowdfunding pour nous aider !

Il est enfin possible de monter un projet dans son milieu professionnel, comme ce fut le cas avec le burger du restaurant La Cuisine de Comptoir. Ces initiatives sont ensuite relayées via nos réseaux et engendrent un cercle vertueux, positif. D’ailleurs, nous suivre sur les réseaux, c’est aussi un moyen simple et efficace de nous soutenir ! Plus nous serons nombreux, plus Savage Lands sera crédible pour agir sur le terrain. »

– Entretien réalisé par Marie Waclaw


Source image d’en-tête : ©Cedric Le Dantec

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