« On ne peut plus feindre qu’il y aurait des journalistes ‘engagés’ et d’autres qui seraient neutres. Derrière la bataille pour l’information se joue celle des priorités, et les choix de priorité renvoient à des visions différentes du monde. » Citation d’Hervé Kempf.

En ce milieu de semaine, nous avons pris connaissance, comme une large partie de l’internet francophone, du nouvel outil développé par « Les Décodeurs » du journal Le Monde : Le Décodex. La plateforme en ligne se propose de lutter contre les fausses informations en classant plus de 600 sites d’information. Chaque site sélectionné se voit ainsi attribuer une couleur, un classement et une remarque générique. A notre grande stupeur, nos journalistes découvrent que notre site https://mrmondialisation.org se voit catégorisé, dans la fiche du Monde, comme site « moyennement fiable » sans apporter aucun élément factuel ou argument justifiant ce choix. Seuls éléments proposés par le Décodex, des liens vers deux articles généralistes ne donnant aucune indication sur la fiabilité de notre média. Le choix de catégorisation de l’organe du Monde tombe donc comme un couperet sans possibilité de s’y opposer, de répondre ou même d’en débattre. Alors, sur quelle base factuelle et démocratique le Décodex peut-il se reposer pour justifier son classement, sachant que celui-ci peut porter préjudice économique et moral aux médias ciblés ?

Par la force des choses, la rédaction de Mr Mondialisation a ainsi été poussée à s’intéresser de plus près à ce fameux Décodex et à la méthodologie utilisée pour classer les différents médias dans des catégories si restrictives, si peu nuancées. Nous estimons en effet qu’un tel outil implique une très grande responsabilité, nécessitant une transparence aussi grande, d’autant que son objectif est d’influencer les choix des lecteurs. Malheureusement, notre entretien avec un responsable des Décodeurs s’avèrera décevant. Si nous avons effectivement obtenus d’eux des excuses et la suppression d’une erreur de source qui s’était glissée sur la fiche à notre sujet (un lien qui faisait mention de Jean-Paul Ney, un journaliste avec qui nous n’avons aucune relation), aucune explication convaincante n’a pu nous être fournie pour préciser les critères rationnels et factuels qu’utilise l’organe du Monde pour justifier une classification si stricte en fonction de la « fiabilité » présupposée d’autres journalistes. Les Décodeurs se contentent de répéter leur avis personnel, tel un argument d’autorité, dévoilant l’absence édifiante de toute méthode de classement un minimum rationnel : l’avis fait foi.

Méthodologie inexistante d’un média juge et partie

Entendons-nous bien, l’idée de prévenir les lecteurs qu’il convient d’adopter un regard critique sur l’information est vitale à l’heure où les fausses informations, arnaques, hoax et autres propagandes politiques noient les réseaux sociaux. L’initiative « Décodex » semble donc la bienvenue ainsi que leur appel à toujours vérifier ses sources. Cependant, ne devrait-elle pas émaner d’un organe neutre, sur base d’une méthodologie ouverte, rationnelle et précise, le tout dans un cadre démocratique et transparent ouvrant un droit de réponse sur le modèle de Wikipédia ? Ces contraintes élémentaires semblent d’autant plus impératives dans le cadre d’un grand média privé comme Le Monde, soutenus par des fonds publics (16,1 millions d’euros en 2013) et actionnaires privés, cherchant à en juger d’autres, dont une masse de petits médias indépendants comme le nôtre. Il semblerait fou et malvenu qu’un constructeur automobile comme Renault lance son application pour classer des marques de voitures sur base de l’avis de ses employés. Il serait tout aussi absurde qu’un éditeur de livre dominant le marché impose une classification de ce qu’il faudrait lire ou non.

Comment être alors certain qu’une décision de classification ne soit pas le fruit d’un simple avis généraliste ? d’une rumeur ? d’une erreur ? d’un biais économique ou idéologique ? Qui, derrière l’écran, prend la décision ? Sur quels critères rationnels ? Quels articles ont été utilisés pour émettre un jugement ? Selon quelle méthodologie transparente ? Il nous sera impossible d’avoir des réponses précises à ces questions. Dans le cas de notre média alternatif, où nous prenons soins de sourcer précisément chacune de nos informations, nous concluons que notre engagement militant et apartisan a été l’une des raisons pour lesquelles les journalistes du Monde nous ont classés dans la catégorie « intermédiaire » (ni vert, ni rouge). Pourtant, les décodeurs s’en défendent officiellement : « Dans ce travail, nous n’avons pas tenu compte de la nature des positionnements politiques ou idéologiques des sites, des pages ou des comptes sur les réseaux sociaux étudiés. Notre seul critère a été leur respect des règles journalistiques ».

Le Décodex s’attaque à la presse alternative, pas à leurs informations

Le Décodex distingue cinq catégories de sites. Tous d’abord ceux qui ne sont pas des sources d’informations à proprement parler et les sites parodiques. Ensuite, les sites qui partagent régulièrement de fausses informations, les sites régulièrement imprécis et enfin ceux qui sont plutôt fiables. En se penchant de plus près sur la question, on découvre que la catégorie intermédiaire concerne également les sites qui « se révèlent être militants » comme indiqué sur le site du Décodex. Qui est militant ? Qui ne l’est pas ? La simple prise d’expression n’est-il pas un acte politique en soi ? Par cette note, on peut estimer que ce n’est pas nécessairement la qualité des articles qui est jugée par le Décodex, mais le média dans son ensemble. Et il s’agit là d’un biais méthodologique confus et dangereux pouvant porter préjudice moral et/ou économique aux médias qui en seraient victimes. On en revient nécessairement à ces « visions différentes du monde » soulignées par Hervé Kempf. Le journaliste qui porte en lui une vision différente de celle admise par l’establishment devient implicitement un mauvais journaliste.

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Cette approximation des genres aboutit à une grande confusion s’agissant de la dite catégorie intermédiaire du classement (orange). Pour une même catégorie, on retrouvera des sites ouvertement xénophobes, mais aussi des médias jugés moyennement fiables à raison des informations erronées qu’ils propagent, le tout aux côtés des sites « militants » au contenu jugé trop engagé. Or absolument rien ne permet de justifier l’amalgame entre ces situations fondamentalement différentes. Comment peut-on justifier qu’un site de type humaniste, ayant construit sa réussite sur la droiture de ses informations, puisse se retrouver classé aux côtés de sites comme fdesouche.com où d’autres références obscurantistes ? Pourtant, les différents sites se voient apposer strictement le même commentaire : « Ce site peut être régulièrement imprécis, ne précisant pas ses sources et reprenant des informations sans vérification. Soyez prudent et cherchez d’autres sources. Si possible, remontez à l’origine de l’information. »

Des modifications en catimini sur le Décodex

Ainsi, cette catégorisation sans nuance est profondément confuse et offre une vision du monde infiniment restrictive aux lecteurs. Il y a les « bons » (l’ensemble des médias qui dominent le marché), puis, il y a les autres… Cette impossibilité d’offrir un nuancier honnête en seulement 3 couleurs « utiles » va nécessairement engendrer des erreurs, de la confusion, des oppositions et des modifications. Dans les heures qui suivront la parution du Décodex, nos journalistes ont constaté que les Décodeurs ont procédé à des modifications suites à des erreurs, comme dans le cas de notre propre fiche (cause de source erronée), mais aussi à des changements radicaux dans leur classement. C’est ainsi que le média très à droite « Valeurs actuelles », qui s’était vu allouer une pastille verte dans un premier temps, a soudainement régressé d’un cran, passant à l’orange. En dépit de l’orientation idéologique que nous ne partageons pas, quelle méthodologie sérieuse et raisonnée peut justifier ce type de modification hasardeuse ?

L‘effet « blouse blanche » à l’échelle des médias

Faire la chasse aux fausses informations est une bonne chose. En revanche, juger l’ensemble des journalistes d’un média en fonction des valeurs et du positionnement « politique » ressenti par un observateur tiers, le tout ayant pour effet de déduire la fiabilité du média dans l’opinion, en est une autre. Dans le premier cas, le « vérificateur » garde un point de vue neutre sur base d’une méthode mesurée et chiffrée. Il confronte des faits pour savoir si une information déterminée est juste ou erronée. Dans le second cas, celui du Décodex, la démarche suppose l’acceptation de présupposés idéologiques, d’une certaine vision du journalisme, puisqu’il s’agit de déterminer, par avance, et pour l’ensemble d’un média (pas un article ou une information) ce qui est engagé ou ce qui ne l’est pas. Pourtant, en tout état de cause, la véracité d’une information ne dépend pas de l’engagement de son auteur. Le Monde, qui regorge de billets d’opinions, devrait le savoir.

Le procédé est assez grave pour être pointé du doigt : sous couvert de fact-checking, surfant sur l’idée que Le Monde, en position dominante (second média le plus subventionné de France), joue un rôle d’autorité intellectuelle pour nombre de français, les Décodeurs en arrivent à dévaloriser certains médias alternatifs en raison de leurs idées et non en raison de leur fiabilité informative. On assiste ainsi à la création toute artificielle d’une nouvelle confusion des genres, puisque le Décodex propose « son avis » (comme indiqué sur chaque fiche) sur base d’arguments d’autorité qui interviennent dans le champ du politique, tout en prétendant le contraire. Si les Décodeurs veulent discuter des idées politiques d’un site ou de l’autre, libre à eux, mais ils ne peuvent décemment pas suggérer avoir adopté une démarche objective et neutre.

Ainsi, les Décodeurs se trompent donc gravement de méthodologie et de forme. En procédant de la manière dont ils l’ont fait, le Décodex ne risque pas d’améliorer les relations écornées des journaux mainstream avec le public. Au contraire, sur les réseaux sociaux, leur outil a été accueilli avec réserve, voire défiance. Nombre d’individus comprennent aujourd’hui qu’il existe de très nombreuses nuances de couleurs entre « les médias officiels » (dont il est de notoriété publique qu’une poignée de milliardaire contrôlent 95% de la production journalistique française) et « les autres ». Grâce à l’émergence d’internet, on trouve de plus en plus de médias alternatifs et indépendants tout à fait sérieux, qui se différencient des sites politiques, trompeurs ou satiriques. Pour beaucoup, ces sites représentent un espoir d’une information qui ne soit pas influencée par une caste, des lobbies ou un milliardaire assez riche pour devenir l’investisseur majoritaire d’un quelconque média. Cette fracture déjà palpable se voit ici renforcée par le Décodex qui, de par son autorité, divise l’ensemble des médias tout en se plaçant naturellement à la tête de la hiérarchie.

Nous pouvons estimer qu’un outil véritablement utile dans la lutte contre les fausses informations devrait être bien plus nuancé, argumenté, démocratique, voire même open-source, visant l’information et non pas le média même, avec la possibilité pour les journalistes de tous bords de confronter leurs points de vue. Non, à ce jour, cet outil n’existe pas. Aujourd’hui, une petite poignée de journalistes du Monde catégorisent les sources d’informations profitant d’un effet blouse blanche et de l’argument d’autorité de leur journal. Et personne ne peut vraiment y faire opposition, si ce n’est en développant un outil alternatif et libre, beaucoup plus juste. Ainsi, chacun est en droit de se questionner. Comment l’outil des Décodeurs peut-il être si peu fiable et si léger dans sa méthodologie, alors qu’il a été financé par le « Fonds Google » à hauteur de plusieurs dizaines de milliers d’euros, selon Samuel Laurent, le big boss des Décodeurs ?

Quid des médias « fiables » dans tout ça ?

L’ouverture du Décodex tombe à pic : quelques mois après l’élection de Trump, le rôle joué par les fausses informations dans sa victoire donne bien évidemment un grand poids à ce genre d’outil rédempteur. Cependant, il ne faudrait pas oublier la part de responsabilité des médias de masse dans la catastrophe qui se déroule aujourd’hui Outre-Atlantique. Une mise en cause profonde de la manière dont ils traitent et trient l’information est donc également une urgence absolue pour la démocratie. En effet, Trump n’a cessé d’être dépeint comme un bouffon en raison de son comportement jugé immature. Chaque mot de travers fut surmédiatisé faisant de Trump un omniprésent des médias sur la forme, rarement sur le fond. Les américains ont redécouvert qu’en matière d’audimat, il n’y a jamais de mauvaise publicité.

Ainsi, pourquoi des individus même éduqués ou diplômés se détournent-ils des médias mainstream ? De plus en plus de personnes sont conscientes du fait que ces derniers sont traversés par d’importants conflits d’intérêts, parfois même dénoncés en interne. Faut-il rappeler, une fois de plus, que les principaux médias sont détenus par une minorité de grands groupes privés et riches industriels ? Et qu’en ce sens il est difficile de nier le poids d’intérêts privés sur le monde de l’information ? Que ces mêmes intérêts privés place le lecteur comme simple client potentiel et ont nécessairement une influence, assumée ou non, sur la ligne éditoriale ? Comment un outil créé par un tel média pourrait-il se revendiquer à la fois juge et parti sans éveiller quelques doutes sains sur sa méthode ?

Ce lundi 6 février, Facebook annonçait officiellement sa collaboration avec huit médias français, dont Le Monde, pour organiser la lutte contre les « fausses informations » sur le réseau social. Hasard du calendrier, on observera que, la semaine de lancement de l’outil Décodex, le journal Le Monde sponsorisait sur Facebook une campagne publicitaire pour vendre des abonnements sous le slogan « Le monde : l’information sérieuse et fiable ». Pas de craintes, le quotidien s’est vu décerner la meilleure note par les Décodeurs… du Monde.


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