Les élections présidentielles de 2017 et de 2022 furent le théâtre d’un malaise collectif qui ne fait que progresser. Abstention record, montée de l’extrême droite, surmédiatisation de certains candidats. À l’aune du mouvement social du 10 septembre, que reste-t-il aujourd’hui, en 2025, de la démocratie française ?
La France, pays autoproclamé des droits humains et de la démocratie, semble accumuler les lacunes en matière de représentativité. La remise en question de notre modèle démocratique, amorcée bien avant le soulèvement des Gilets jaunes en 2018, n’a cessé de gagner en intensité. Et quand on regarde du côté de nos voisins suisses, on comprend vite que tout n’est qu’une question de perspective.

La singularité suisse
Précisons d’emblée qu’il n’existe aucun système démocratique parfait — la Suisse ne fait pas exception. La démocratie est une expérience collective propre à chaque histoire nationale, évolutive par nature. Mais les institutions rigides peinent à se transformer, à moins de mouvements populaires ou de ruptures profondes.
Dans ce cadre, la Suisse apparaît comme un contre-modèle intéressant. Là où la France repose sur une démocratie majoritaire fortement présidentialisée, les Suisses se sont dotés d’une démocratie consociationnelle, fondée sur le pluralisme permanent.
Le gouvernement, le Conseil fédéral, est composé de sept membres élus par le Parlement, représentant les principales forces politiques du pays. Il n’y a pas de parti d’opposition permanent, mais un principe de consensus. Ce système, combiné à une démocratie directe très développée, permet un équilibre rare entre institutions et citoyens.

Trois leviers de démocratie directe en Suisse
- Référendum obligatoire : pour toute révision constitutionnelle ou adhésion à un traité international. Il exige une double majorité (population + cantons).
- Référendum facultatif : permet aux citoyens de s’opposer à une loi adoptée, via 50 000 signatures en 100 jours. Une sorte de veto populaire.
- Initiative populaire : permet de proposer une révision constitutionnelle via 100 000 signatures en 18 mois. C’est le levier de proposition directe.
Les Suisses sont appelés à voter tous les trois mois sur des sujets législatifs, constitutionnels ou internationaux. La démocratie y est donc vivante, rythmée, et contraignante pour les élus.
Depuis 1848, ils ont voté près de 600 fois, renforçant un modèle où les lois priment sur les figures politiques. Une différence fondamentale avec la France, où le pouvoir personnel reste central.
Une France conservatrice à la traîne
Avec cet arsenal, le peuple suisse dispose d’un pouvoir réel : abrogatif, consultatif et d’initiative. En France, la Constitution prévoit un seul référendum, à l’initiative du Président ou du Parlement. Le citoyen n’est qu’un spectateur, qui n’a d’autre choix que d’attendre l’élection suivante.
Un tel fonctionnement, inadapté à l’accélération du monde, ne peut qu’alimenter abstention, frustration et colère populaire.
Il n’est donc pas étonnant que les mobilisations de ces dernières années (Gilets jaunes, retraites, climat, inflation…) aient en commun une chose : la demande de représentativité réelle. Et si on se demande pourquoi les Français manifestent davantage que les autres peuples européens, il suffit peut-être de regarder leurs institutions.
L’illusion du « référendum d’initiative partagée »
Depuis 2015, le Référendum d’initiative partagée (RIP) existe théoriquement. Mais il nécessite l’accord de 1/5 des parlementaires et de 10 % du corps électoral — autant dire une mission impossible. Ce n’est donc ni populaire, ni vraiment une initiative citoyenne.
Comme le souligne le sociologue Antoine Bevort sur Reporterre, la France conserve une vision extrêmement restrictive du droit démocratique :
« Le référendum dit d’initiative partagée n’a rien d’un droit citoyen. Il est contrôlé par les parlementaires. En Suisse, 1 à 2 % des électeurs suffisent pour lancer un référendum, sans intervention politique. Depuis 1891, la Suisse a organisé 184 référendums d’initiatives. En France, aucun. »
Un système suisse sans faille ? Bien sûr que non.
Le modèle helvétique est-il exempt de défauts ? Certainement pas.
- un quart de la population suisse ne dispose pas de la nationalité et est donc exclue du vote fédéral
- Les lobbies économiques utilisent la démocratie directe comme levier d’influence.
- Des groupes réactionnaires s’en servent pour lancer des votations populistes ou discriminantes.
Le référendum peut aussi devenir un outil de manipulation, surtout quand la formulation des questions prête à confusion. Et comme tout vote binaire, il peut réducteur, voire injuste.
Une démocratie à réinventer, pas à copier
L’exemple suisse n’est pas une panacée, mais il nous rappelle une chose essentielle : la démocratie n’est pas un slogan. Elle repose sur la capacité réelle des citoyens à agir sur la loi, pas seulement à choisir qui les représentera.
À ce sujet, l’historien Pierre Rosanvallon insiste sur une distinction importante :
« Il faut aller au-delà du simple référendum. La démocratie participative, ce n’est pas seulement corriger la représentative, c’est associer les citoyens à la délibération, à l’information, à la reddition de comptes. C’est une démocratie interactive. »
Le 10 septembre 2025 comme signal faible ?
Le mouvement social qui s’annonce, né autour des enjeux démocratiques, sociaux et environnementaux, pose une nouvelle fois la question centrale : quelle place pour le citoyen dans le système politique français ?
Alors que le pouvoir exécutif reste verrouillé, les institutions essoufflées et la participation électorale en chute libre, la démocratie interactive défendue par l’historien Pierre Rosanvallon, face à cette fatigue démocratique, semble plus urgente que jamais.
Encore faut-il avoir le courage de la mettre en œuvre.
– Mr Mondialisation
Gilets Jaunes. « RIC » = Référendum d’Initiative Citoyenne. 2019. Wikimedia.















