En détournant la constitution et en bafouant la voix de l’opposition, les députés Renaissance, ouvertement soutenus par Les Républicains, ont réussi à empêcher la dernière chance de voter à l’assemblée contre la réforme des retraites. Pendant ce temps, une immense contestation sociale se prépare dans la rue pour le 6 juin prochain.

« La commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale a adopté, mercredi 31 mai, une version vidée de sa substance de la proposition de loi Liot portant sur la réforme des retraites. Les députés avaient dans la matinée voté la suppression de l’article 1, qui prévoyait l’abrogation du recul de l’âge légal à 64 ans (38 pour, 34 contre, une abstention) » rapporte FranceInfo.

La stratégie était pourtant connue depuis des jours. Pour autant, la sidération n’en était pas moindre ce mercredi 31 mai pour l’opposition lorsque la majorité venait une nouvelle fois de balayer leur initiative parlementaire. Historique d’une actualité politique loin d’être anodine.

La niche Liot : dernier recours parlementaire contre la réforme

Le 8 juin 2023 se tiendra la niche parlementaire du groupe LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires). Il s’agit du seul moment de l’année où ce groupe centriste – loin d’être révolutionnaire quoique particulièrement engagé dans l’opposition à la réforme des retraites -, pourra dicter l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. En effet, puisque l’exécutif avait jusque-là empêché les députés de voter sur la réforme des retraites à l’aide de l’article 49.3 de la constitution, l’opposition a décidé de revenir à la charge.

Cette niche, consacrée à la possible abrogation de la loi retraite promulguée par Emmanuel Macron, devait ainsi inviter les parlementaires à s’exprimer sur le sujet. Or, avec plusieurs élus LR hésitants, cette étape aurait présagé une probable défaite du gouvernement pouvant remettre en cause des mois de stratégie aux relents antidémocratiques pour forcer le passage d’une réforme rejetée par 7 français sur 10. Face à cette menace, la majorité a donc répliqué sans attendre…

L’article 40 : des recours bien peu valables

De fait, le gouvernement ne s’en est pas caché : il mettra tout en œuvre pour empêcher la discussion de se tenir. La secrétaire d’État Charlotte Caubel lançait d’ailleurs en tout sérénité sur le plateau de LCP : « Nous ferons tout pour que ce débat n’ait pas lieu, il est illégitime ».

Aussi, pour rejeter la proposition de loi Liot, la Macronie n’a pas hésité à dégainer l’article 40 de la constitution. Depuis plusieurs semaines, les porte-paroles du gouvernements ne cessent de répéter que ce projet ne doit pas aboutir. Selon ce passage de notre texte suprême, « tout amendement ou proposition de loi formulé par les membres du Parlement qui aurait pour conséquence une diminution des ressources publiques ou la création ou l’aggravation d’une charge publique sera jugé irrecevable financièrement » résume l’Obs.

En effet, les parlementaires de la majorité arguent que revenir sur cette réforme serait en inéquation avec les textes démocratiques puisque cela entraînerait une forte dépense supplémentaire : estimée selon eux de 15 à 22 milliards d’euros de perte pour les caisses de la Sécurité sociale. Un argument en soi irrecevable, la réforme retraite n’étant même pas encore entrée en vigueur, ses bénéfices supposés pour les caisses publiques étant à ce jour imaginaires. 

Par ailleurs, cet article n’est d’habitude jamais brandi puisqu’il bride toute initiative parlementaire. En ce sens, on inscrit souvent usuellement dans beaucoup de projets une taxe sur le tabac pour rester dans les clous vis-à-vis de l’article 40, même si celle-ci n’est ensuite jamais réellement appliquée.

C’est bien ce qu’avait prévu le groupe LIOT dans son cas, et c’est d’ailleurs également de cette manière qu’avait déjà procédé la majorité dans d’autres cas, comme le soulignait le député Bertrand Pancher : « Il y a quelques semaines, la majorité nous présentait un texte sur le “bien vieillir”, gagé sur la taxe sur le tabac. Ils se foutent du monde ».

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LR au secours de Macron : retour sur la commission 

Manque de chance pour le gouvernement, c’est au président de la commission des finances de statuer sur la recevabilité économique d’une loi. Or, ce poste est occupé par l’insoumis Éric Coquerel qui avait décidé de valider la conformité de la loi Liot lundi 30 mai après avoir été saisi par Renaissance.

La majorité n’en démordait pas pour autant et restait fixée sur son idée. C’est ainsi par le biais détourné de la commission des affaires sociales qu’elle a choisi d’opérer. Chargée de débattre de la loi avant son examen par l’intégralité de l’assemblée, cette instance s’est alors saisie de la question ce mercredi 31 mai 2023.

Pleine comme on ne l’avait jamais vue, la commission n’a pour autant pas exactement les mêmes tendances que l’ensemble de l’assemblée. Au sein de cette dernière, les députés favorables à la réforme avaient de grandes chances d’être minoritaires. À l’inverse, en commission, les rapports étaient plutôt équilibrés.

L’opposition et la majorité disposaient en effet toutes les deux de 32 députés chacun. L’arbitrage revenait alors aux Républicains qui avaient dans leur côté les huit derniers parlementaires restants.

Résultats des courses, six se sont rangés à la Macronie contre deux seulement du côté de l’opposition. L’amendement réclamant le départ à la retraite à 62 ans au lieu de 64 a donc été supprimé avec 38 voix contre 34. Pourtant, on aurait pu espérer une égalité parfaite avant-hier soir.

En effet, dans la nuit, LR, dirigés par le très droitier Éric Ciotti (favorable à la réforme), avaient décidé d’évincer deux élus en accord avec LIOT pour les remplacer par un duo acquis au report de l’âge de départ à la retraite.

L’opposition bâillonnée

La stratégie politique était donc ficelée, mais l’opposition n’avait pas encore joué toutes ses cartes. Ayant anticipé l’affaire, la NUPES se décide alors à mettre sur la table une flopée de sous-amendements. Avec cette manœuvre, elle tente d’empêcher la loi LIOT d’être validée en première instance par la commission.

En effet, si cette dernière n’a pas le temps d’examiner tous les amendements déposés, alors c’est le projet initial qui est envoyé face à l’ensemble de l’hémicycle. En procédant ainsi, la gauche espérait donc que le report de l’âge puisse être débouté devant l’intégralité de la représentation nationale.

C’était compter sans Renaissance qui, contre toute attente, a pris la responsabilité de balayer unilatéralement la totalité de ces potentielles modifications. La présidente de la commission, Fadila Khattabi, a fait ce choix seule, sans sourciller, bafouant complètement le droit d’amendement de l’opposition.

Indignés, les élus de gauche ont alors quitté la salle, protestant contre un « déni de démocratie ». Il faut dire que cette décision pourrait créer une très dangereuse jurisprudence, rendant la recevabilité des amendements entièrement arbitraires et à la discrétion de la majorité.

Riposte dans la rue ?

C’est donc une loi vidée de tout son contenu initial qui arrivera devant les parlementaires le 8 juin prochain. Le leader de LIOT, Charles De Courson, traité de « Che Guevarra de la Marne » par un député LR, a annoncé qu’il déposera un amendement pour rétablir l’article 1.

Peu d’espoir pour autant que cette initiative aboutisse puisque dans ce cas de figure, ce n’est plus au président de la commission des finances de décider la recevabilité budgétaire du projet, mais à la cheffe de l’assemblée, Yaël Braun-Pivet. Or, celle-ci a déjà fait savoir qu’elle considérait l’article 1 de la proposition Liot comme anticonstitutionnelle et qu’elle la débouterait si elle en avait l’occasion.

La seule possibilité de voir la réforme des retraites retirée repose donc sur la pression exercée par le peuple et les syndicats. Le 6 juin, ils seront justement réunis dans la rue à travers toute la France pour protester contre ce nouveau coup de force. De quoi obliger la Macronie à reculer ?

– Simon Verdière


Image d’entête @PartiSocialiste/Flickr

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