« Résilience, n.f. : Capacité à vivre, à se développer, en surmontant les chocs traumatiques, l’adversité ». On entend de plus en plus parler de cette notion de résilience, dans notre actualité marquée par des catastrophes naturelles, des actes de terrorisme, et des difficultés à vivre dans un monde dirigé par le profit. Résilience c’est aussi un récit illustré d’anticipation écologique, qui nous place en face de préoccupations très… actuelles, alors que Donald Trump sort les États-Unis des accords climatiques. « Terres Mortes » est le premier tome de cette Bande Dessinée, disponible à la vente depuis le 3 mai, et dans lequel Augustin Lebon, l’auteur, nous dépeint un futur apocalyptique qu’on aimerait tellement éviter de vivre !
L’histoire ?
Il faut se propulser dans 50 ans, en 2068 et imaginer une Europe ravagée par plusieurs décennies d’une politique environnementale désastreuse. L’Europe est devenue un désert agricole où absolument tout a été remplacé par des champs de céréales transgéniques contrôlés par DIOSYNTA, une multinationale qui détient désormais 90% des terres agricoles. Le monde ne fait plus qu’un et les populations vivent reclus dans la précarité des villes, où se côtoient famine, maladies génétiques et régime dictatorial. Pour parfaire le tableau, les FSI (forces de sécurité intérieure) terrorisent les populations pour maintenir le contrôle.
Pour lutter contre la puissante multinationale qui viole et exploite les sols, un réseau clandestin baptisé la Résilience voit le jour. Ils résistent en propageant des idées libres et en organisant un trafic de semences traditionnelles, illégales. Seules quelques régions inexploitables par Diosynta donnent la possibilité d’organiser une auto-suffisance pour les plus courageux. Les Résilients sont désormais prêt à se sacrifier pour préserver une Terre à l’agonie.
Dans ce contexte horrifique, Adam et Agnès décident de rejoindre ce réseau de résistants plutôt que de gagner une vallée mythique où des hommes et des femmes vivraient en autosuffisance. Mais rapidement, le couple est séparé par les F.S.I. qui réquisitionne Adam et le force à travailler dans une « Cité agricole »… Et, à ce stade, il serait dommage d’en dire plus sur l’histoire de la BD que chacun des lecteurs aura plaisir à découvrir !
Qu’est-ce qui a donné l’idée à Augustin Lebon, à peine 30 ans, de concevoir ce monde absolument terrifiant ? Il l’explique dans une interview à retrouver sur le site de l’éditeur, Casterman :
« Je suis d’une génération qui a grandi avec les problèmes environnementaux, la surconsommation, le retour de l’extrémisme et j’en passe… les questions que je me pose sont plutôt : Un présent aussi noir est-il acceptable ? Doit-on se battre pour que ça change ? Comment ? La noirceur de Résilience vient de ma colère face à tout ça. Adam et Agnès, mes deux personnages principaux doivent survivre dans un monde hostile où la productivité agricole a remplacé toute logique humaine. Ils sont complètement dépassés par les évènements et doivent pourtant trouver la force de continuer. La forme d’histoire projetée dans le futur est malheureusement très proche de nous. Avec une terre en colère et des cultures et une population dominées par des équipes de robots tandis qu’une résistance œuvre de son mieux. »
En effet, Résilience fait terriblement écho au système de production mondialisé que nous connaissons, pensé dans une philosophie utilitariste de la nature, et que nous peinons tant transformer. Et c’est la raison pour laquelle la lecture de cette BD est si troublante. Elle diffère des récits post-apocalyptiques qui nous emmènent dans un futur qui nous donnerait l’impression d’être dans un autre monde. Celui-ci se veut récit d’anticipation, et nous montre de façon volontairement exagérée (ou pas?) ce que pourrait devenir notre monde si nous ne changeons pas tout de suite de direction. Comme le dit Augustin Lebon « on imagine toujours le futur en fonction du présent dans lequel on se trouve« .
Il faut dire aussi que l’auteur s’est attaché, au cours des 67 pages qui composent Résilience, à dépeindre des personnages auxquels il est vraiment facile de s’identifier, loin de toute conception manichéenne. Lui-même s’identifie d’ailleurs plutôt au personnage d’Adam « qui ne parvient pas à trouver sa place. Il est trop en colère pour être un bon résilient totalement pacifique, mais pas assez idiot pour être extrême ou violent. Il n’est d’ailleurs même pas certain de vouloir être quoi que ce soit… »
Questionner nos modes de production agricole
Résilience vient, pour peut que nous en ayons encore besoin, dénoncer les logiques de productions agricoles actuelles. En mettant en scène des personnages « résilients » et « résistants », la BD avertit: dépêchons-nous de remettre en question l’agro-industrie avant que le monde se dégrade davantage. Pour autant, doit-on vraiment parler d’agriculture « moderne » pour décrire cette agriculture majoritaire que nous subissons ? Pour l’auteur, « l’agriculture réellement moderne aujourd’hui, c’est l’agro-écologie. Elle est nettement plus productive au m² que l’agriculture industrielle et redonne de la fierté à ceux qui la pratiquent. La transition ne sera malheureusement pas simple, si les pouvoirs en place ne soutiennent pas ce changement alors que les consommateurs le demandent, j’ai bien peur que ce soient les agriculteurs et les agricultrices qui en souffrent les premiers« .
Et si nous n’en sommes évidemment pas au stade de la situation extrême que décrit Résilience, il nous appartient à tous, dès maintenant, de lutter pour qu’une telle situation n’arrive jamais. Et pour se faire, il appartient à chacun de ne plus attendre un miracle des décideurs publics, qui semblent protéger inlassablement les intérêts des multinationales de type DIOSYNTA, afin de promouvoir sans attendre les initiatives citoyennes de transition et de continuer à alerter l’opinion. C’est ce que fait désormais Augustin Lebon avec Résilience.
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