Au moins quatre fois par an, l’association bordelaise Et si c’était toi ? organise des maraudes auprès des personnes sans abri. La particularité des bénévoles ? Ils sont vêtus de déguisements de super-héros pour sensibiliser les passants et les inciter à agir. Reportage.
Un dimanche matin de janvier dans un appartement bordelais, Ocey, Vale, Matthieu, Bérénice, Féni et Bilel préparent des toasts. Saumon, foie gras… Noël après l’heure. Mais finalement, peu importe le calendrier. Car si ces jeunes adultes sont réunis autour de la table, c’est pour donner un peu de joie aux personnes sans-abri qu’ils croisent dans les rues de la capitale girondine et qu’ils rencontrent en maraude.
Inciter à la solidarité
Tous font partie de l’association Et si c’était toi ?. Le nom de celle-ci est sans équivoque : « On veut rappeler aux gens que personne n’est à l’abri, que cela peut arriver à n’importe qui », explique Ocey Gaixet, 31 ans, à l’origine de ce projet, vêtue d’un bonnet de Père Noël et du déguisement de l’anti-héros des comics Marvel Deadpool. C’est là la particularité d’Et si c’était toi ? Les membres de cette association effectuent les maraudes…. déguisés en super-héros ! Ainsi Flash, Spiderman, Batman ou encore Black Panther sillonnent les rues du centre-ville bordelais armés de sacs de courses et de chariots.
« le déguisement enlève le côté anxiogène des maraudes plus classiques. Ça permet de briser la glace avec les personnes », souligne Matthieu Llirbat, 22 ans, commercial.
La première maraude remonte à janvier 2019. Une idée née lors d’une soirée festive dans un bar de Bordeaux. Depuis, ils sont une dizaine à faire partie de l’association. Moyenne d’âge : 25 ans. Les déguisements sont un bon moyen pour les bénévoles d’être reconnus et identifiés par les sans-abri. Et de faire connaître l’association et ses actions afin de récolter des dons. « J’aime faire le clown et me faire remarquer, s’amuse celle qui travaille également comme directrice de colonies de vacances dans toute la France, en parallèle d’être vidéaste en free-lance et vendeuse dans une chaîne de magasins de produits culturels et électroniques. Le ridicule ne tue pas, on est tous des grands enfants. »
« Les aider à notre manière »
Pour organiser cette première maraude de l’année 2024, l’association a réussi à récolter 168 euros grâce aux cagnottes en ligne. « Mais les dons sont de plus en plus difficiles à récolter », regrette Ocey Gaixet, qui recherche également des bénévoles.
« On ne veut pas faire de maraude pour faire de maraude. Ils ont souvent déjà à manger et à boire car c’est ce que leur donnent la plupart des gens. Ou c’est ce qu’ils réussissent à s’acheter avec l’argent gagné en faisant la manche. Ils ont surtout besoin de réchauds, de batteries externes, de téléphones, de tondeuses… Et ça, ça coûte cher, explique la fondatrice de l’association. Il y a deux ans, pour Noël, on avait réussi à leur offrir des kits de camping. Ils étaient en larmes quand on leur a offerts ! »
Le choix de costumes de super-héros ne s’est pas fait par hasard. « On ne se prend pas pour des héros, mais comme l’anti-héros Deadpool qui est un héros à sa façon, on essaie de les aider à notre manière », précise Ocey Gaixet. C’est ce qui a motivé Vale Fillon, 18 ans déguisé en Flash, à rejoindre l’association. « À moi aussi, cela aurait pu m’arriver de me retrouver à la rue. Je me suis dit : autant les aider plutôt que de ne rien faire et de rester spectateur. »
Bérénice Paquelet, 26 ans, l’une des bénévoles, prend le temps de discuter : « J’ai vécu dans la rue pendant trois mois, je sais ce que c’est. » C’est sa première maraude. Elle commence à s’engager dans des associations « pour agir et avoir un impact sur l’avenir de la planète ».
Entre 30 et 60 bénéficiaires
12h50. Les toasts sont prêts, les tomates et dés d’emmental trônent fièrement sur des pics à brochettes en bois, les sacs de courses sont remplis de bouteilles d’eau et de soda, et de produits d’hygiène. La maraude de Noël peut commencer, en musique sur des chansons joyeuses, issues de films Disney ou autres, et sous le regard parfois intrigué, parfois amusé des passants.
Cours Victor-Hugo, porte Dijeaux, place de la ferme de Richemont, rue Sainte-Catherine, place Saint-Projet, Mériadeck… Ils sont entre 30 et 60 bénéficiaires, entre 16 et 60 ans. « Ils sont ravis de nous voir, ils nous attendent de pied ferme. On essaie d’organiser une maraude tous les trois mois environ, au printemps, en été, pour Noël et en hiver », détaille Ocey Gaixet.
Quelques mots échangés, on prend des nouvelles, on « check » pour se dire bonjour. Les bénéficiaires sont ravis de ce réveillon improvisé en décalé. « Ça déchire ! », « Excellent ! ». Dom’ le Breton est ravi et a la banane. Florin, Roumain en France depuis un mois, salue la « bonne nouvelle ».
Parfois, l’association propose également des animations coiffure, avec l’autorisation de la mairie, et donne quelques coups de ciseaux ou de tondeuse pour permettre aux sans-abri de repartir un peu plus léger. Et avec quelques vêtements quand l’association réussit à en récolter.
« On peut toujours trouver du temps. Il faut en prendre en tout cas pour ceux qui en ont besoin », insiste Féni Urbanski, 18 ans.
– Jenny Delrieux
Photo de couverture : @Jenny Delrieux